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21/02/2024 | FRANCE | N°23NC00688

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 21 février 2024, 23NC00688


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éloignement.



Par un jugement n° 2201601 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ce recours.



Procé

dure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 1er mars 2023, Mme A... B..., représentée par Me Bu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éloignement.

Par un jugement n° 2201601 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ce recours.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er mars 2023, Mme A... B..., représentée par Me Burkatzki, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 25 mai 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2021, par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éloignement ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ainsi que de lui délivrer, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de son avocat à percevoir la contribution versée par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

S'agissant de la régularité du jugement :

- le jugement ne comprend pas les mentions requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire en ne communiquant pas à la préfète son mémoire enregistré le 6 mai 2022, en ne renvoyant pas l'affaire à une audience ultérieure comme ils l'ont pourtant faite pour la requête introduite par son père ; les deux affaires auraient dû être liées ;

- les premiers juges ont insuffisamment motivé leur jugement en ne prenant pas en compte les éléments qu'elle a transmis dans son mémoire enregistré le 6 mai 2022 ;

s'agissant de la légalité de l'arrêté du 22 décembre 2021 :

- il méconnaît l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il méconnaît l'article 19 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, signée à New-York le 30 mars 2007 ;

- la préfète du Bas-Rhin a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle.

Par une ordonnance du 13 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 juillet 2023.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 6 février 2023.

La requête a été communique à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits des personnes handicapées, signée à New York le 30 mars 2007 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Sibileau, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., ressortissante géorgienne née le 21 mai 1995, déclare être entrée en France le 27 mai 2017, accompagnée de ses parents et son jeune frère né en 2004. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté le 22 novembre 2018 sa demande d'admission au statut de réfugié. Le 16 mai 2019 la Cour nationale du droit d'asile a confirmé la décision de l'Office. Elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour temporaire sur le fondement de son état de santé le 16 juin 2019. Par un arrêté du 22 décembre 2021 la préfète du Bas-Rhin lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination. Par un jugement n° 2201601 du 25 mai 2022 dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ce recours.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative aux termes duquel : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

3. Il résulte de l'examen de la minute du jugement attaqué que celle-ci comporte toutes les signatures requises par les dispositions qui précèdent. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit dès lors être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". Aux termes du troisième alinéa e l'article R. 611-1 du même code : " Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pas pu préjudicier aux droits des parties.

5. D'une part, la circonstance que le mémoire du 6 mai 2022 présenté pour Mme B... n'a pas été communiqué par le tribunal administratif de Strasbourg n'affecte pas le caractère contradictoire de la procédure à l'égard de l'appelante et ne saurait, dès lors, être invoquée par elle. En tout état de cause, il ne ressort pas des motifs du jugement attaqué que, pour rejeter la demande de Mme B..., le tribunal administratif de Strasbourg se serait fondé sur les éléments figurant dans ce mémoire, lequel, au demeurant, a été visé. De surcroît, l'intéressée ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance que le tribunal ait communiqué, dans le cadre de l'instance n° 2201600 introduite par le père de Mme B... en ce qui le concerne, un mémoire reçu le même jour.

6. D'autre part, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif dispose, sans jamais y être tenu, de la faculté de joindre deux ou plusieurs affaires. L'absence de jonction est, par elle-même, insusceptible d'avoir un effet sur la régularité de la décision rendue et ne peut, par suite, être contestée en tant que telle devant le juge d'appel ou devant le juge de cassation. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif de Strasbourg aurait entaché la procédure juridictionnelle d'irrégularité en ne procédant pas à la jonction de l'instance introduite par l'intéressée d'une part et celle introduite par son père d'autre part, enregistrés respectivement sous les n° 2201601 et 2201600 pour y statuer par un jugement unique doit être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Strasbourg a répondu de manière suffisamment précise et complète aux moyens dont il était saisi. Mme B... ne peut utilement se prévaloir pour critiquer la motivation du jugement attaqué de ce que ce dernier reposerait sur une erreur matérielle ou de ce que les premiers juges auraient dû prendre en compte les éléments contenus dans le mémoire du 6 mai 2022. Par suite, alors que le tribunal n'était pas tenu de répondre à tous les arguments développés à l'appui des moyens dont il était saisi, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'il a insuffisamment motivé son jugement.

Sur la légalité de l'arrêté du 22 décembre 2021 :

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / [...] ".

9. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

10. Dans son avis du 7 octobre 2019, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration précise que l'état de santé de Mme B... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'au vu des éléments du dossier et à la date de l'avis, elle peut voyager sans risque.

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... souffre d'un retard psychomoteur léger suite à un ictère néonatal mal soigné en Géorgie qui se manifeste par des troubles anxio dépressif avec des passages à l'acte agressifs envers son entourage ainsi que des malaises à répétition avec morsures nocturnes de la langue. Toutefois, aucun des éléments versés par l'appelante n'établit que le défaut de traitement pourrait avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans ces conditions, les éléments produits ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation du collège de médecins de l'OFII. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. Mme B... fait valoir que ses parents et son frère ont durablement fixé leur résidence en France, qu'elle a quitté la Georgie depuis cinq ans, que malgré son handicap elle suit une scolarité en français, qu'elle est bénévole dans une association, que le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision d'éloignement visant son père par un jugement du 2 mars 2022 et que la cellule familiale ne peut se reconstituer hors de France. Il ressort toutefois des pièces du dossier que Mme B... est entrée irrégulièrement en France en 2017, que les autorités en charge de l'asile ont rejeté le 22 novembre 2018 et 16 mai 2019 ses demandes de protection internationale, qu'elle était âgée de 26 ans au jour de la décision et qu'il n'est ni établi ni même allégué qu'elle soit dépourvue de toute attache dans son pays d'origine. Par suite, compte tenu des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions de séjour de l'intéressée en France, l'arrêté litigieux du 22 décembre 2021 n'a pas porté au droit de l'appelante au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Ainsi la préfète du Bas-Rhin n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. En dernier lieu, les stipulations de l'article 19 de la convention relative aux droits des personnes handicapées signée à New York le 30 mars 2007, par lesquelles les Etats signataires s'engagent à prendre " des mesures efficaces " pour faciliter l'autonomie de vie des personnes handicapées et leur inclusion dans la société, ainsi que leur mobilité personnelle, requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers et sont, par suite, dépourvues d'effet direct. Dès lors, leur méconnaissance ne peut être utilement invoquée à l'encontre de l'arrêté attaqué.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, les conclusions présentées à fin d'injonction et celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 1er février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Sibileau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 février 2024.

Le rapporteur,

Signé : J.-B. SibileauLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 23NC00688


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00688
Date de la décision : 21/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste SIBILEAU
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : BERARD JEMOLI SANTELLI BURKATZKI BIZZARRI

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-21;23nc00688 ?
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