Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes n° 2203207 et n° 2203208, M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son assignation à résidence dans le département de Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq jours et l'a obligé à se présenter les mardis et jeudis hors jour férié entre 9 h et 11 h à l'hôtel de police de Nancy et d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement commun n°s 2203207 et 2203208 du 15 novembre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté les demandes de M. B....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 22NC03159 le 15 décembre 2022, M. B..., représenté par Me Pereira, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 15 novembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile ;
3°) d'annuler l'arrêter du 17 octobre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son assignation à résidence ;
4°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement porte des indications erronées ce qui démontre que le tribunal n'a pas attentivement étudié son dossier ;
S'agissant de la décision portant transfert :
- son droit à l'information, et notamment l'article du règlement UE n° 604/2013, a été méconnu ;
- le préfet a commis une erreur de droit dès lors que la France aurait dû être regardée comme responsable de l'examen de sa demande d'asile et en l'absence de preuve de la date à laquelle les autorités italiennes lui auraient délivré un visa ;
- la décision porte atteinte à son droit de mener une vie familiale normale dès lors que le préfet n'a pas tenu compte de son état de santé ;
- le renvoi en Italie l'exposerait à un traitement inhumain et dégradant en raison des défaillances systémiques dont pâtit le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 ;
- il encourt des risques en cas de retour dans son pays d'origine du fait de la situation actuelle entre la Russie et l'Ukraine ;
- il n'a pas bénéficié d'un entretien individuel ;
- le délai de saisine de l'Etat responsable prévu à l'article 21 du règlement n° 604/2013 n'a pas été respecté ;
S'agissant de la décision portant assignation à résidence :
- l'arrêté a été pris par une autorité incompétente ;
- la décision est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen sérieux ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les droits de la défense ont été méconnus dès lors qu'il na pas pu être entendu.
La procédure a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de défense.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Peton, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant russe, déclare être entré en France en 2022. Il a présenté une demande d'asile et lors de l'instruction de cette demande, la consultation du fichier Vis a indiqué que l'intéressé était en possession d'un visa délivré par les autorités italiennes périmé depuis moins de six mois au moment de la demande. La France a saisi les autorités italiennes le 8 août 2022 d'une demande de prise en charge à laquelle une suite favorable a été donnée le 5 octobre 2022. Par deux arrêtés du 17 octobre 2022, la préfète du Bas-Rhin a, d'une part, ordonné son transfert aux autorités italiennes et, d'autre part, ordonné son assignation à résidence dans le département de Meurthe-et-Moselle pour une durée de quarante-cinq jours. M. B... relève appel du jugement du 15 novembre 2022, par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, si le tribunal administratif de Nancy a, par une erreur de plume, mentionné dans la partie du jugement relative aux visas de l'audience un nom de requérant erroné ainsi qu'un mémoire complémentaire, une telle circonstance est sans incidence sur la régularité du jugement. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
3. En second lieu, il résulte des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif de Nancy a expressément répondu aux moyens soulevés par le requérant en analysant la situation personnelle de ce dernier. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité en raison d'une insuffisance d'examen de sa situation personnelle.
Sur la légalité de l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes :
4. En premier lieu, le compte-rendu d'entretien produit en première instance par la préfète du Bas-Rhin, mentionne la tenue d'un entretien individuel et confidentiel, mené le 8 juillet 2022 par un agent qualifié de la préfecture, avec la participation d'un interprète en langue russe que M. B... a déclaré comprendre. Lors de cette entrevue, M. B... a pu présenter toutes les observations qu'il estimait utiles sur son parcours et sa situation personnelle. Il s'est vu remettre la brochure d'information intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' ", ainsi que la brochure intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " en langue russe. Par ailleurs, le compte-rendu de cet entretien fait état d'informations personnelles concernant l'intéressé de nature à démontrer un examen sérieux de sa situation. En conséquence, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions des articles 4 et 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoient le droit à l'information des intéressés ainsi que l'organisation d'un entretien individuel, n'auraient pas été respectées.
5. En deuxième lieu, l'article 21 du règlement 604/2013 prévoit que la requête aux fins de prise en charge auprès de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile doit être introduite dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande et qu'à défaut de présentation de cette requête dans ce délai, la demande d'asile doit être instruite par l'Etat membre dans lequel elle a été introduite.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier qu'une attestation de demande d'asile a été remise à M. B... le 8 juillet 2022 au moment de la présentation de sa demande, les autorités italiennes ont ensuite été saisies le 8 août 2022 d'une demande de prise en charge à la suite des informations obtenues lors de la consultation du fichier Vis. M. B... ne peut dès lors soutenir que la France était devenue responsable de l'examen de sa demande d'asile faute d'avoir respecté le délai de trois mois prévu pour la présentation d'une telle demande de prise en charge.
7. En troisième lieu, M. B... soutient que la date de délivrance de son visa par les autorités italiennes n'est pas mentionnée. Ces allégations ne sont toutefois assorties d'aucune autre précision suffisante qui permettrait de remettre utilement en cause les mentions de l'arrêté en litige indiquant que ce visa était expiré depuis moins de six mois à la date de présentation de la demande d'asile alors que le fichier visabio du ministère de l'Intérieur mentionne que le visa délivré par les autorités italiennes avait une période de validité courant du 27 mai au 19 juin 2022. En conséquence, M. B... n'établit pas que l'Italie ne pouvait pas être regardée comme l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile en application de l'article 12 du règlement 604/2013.
8. En quatrième lieu, l'article 17 du règlement 604/2013 permet à l'Etat membre dans lequel est déposée une demande d'asile de se déclarer responsable de son examen alors même que cet examen ne lui incomberait pas. M. B... soutient que la décision méconnaît ces dispositions dès lors qu'il n'a pas été vérifié que son état de santé serait compatible avec un éloignement vers l'Italie. Le requérant n'apporte toutefois aucun élément au soutien de ses allégations et il n'établit pas que la préfète, en choisissant de ne pas déclarer la France comme responsable de l'examen de sa demande d'asile, aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.
9. En cinquième lieu, en vertu des article L. 572-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 3 du règlement 604/2013, la procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillance systémique dans l'Etat considéré.
10. L'Italie est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
11. M. B... soutient que le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie pâtit de défaillances systémiques. Toutefois, il n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations de nature à démontrer l'existence d'une défaillance systémique dans la mise en œuvre de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Ces allégations ne sont pas plus de nature à démontrer que le transfert en Italie pour le traitement de sa demande d'asile comporterait, par lui-même, un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. En sixième lieu, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
13. M. B... fait état des risques qu'il encourrait en cas de retour en Russie, en invoquant le conflit actuel avec l'Ukraine où il résidait avant son arrivée sur le territoire européen et de son état de santé. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 11, le requérant n'apporte aucun élément probant de nature à démontrer l'existence de défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile en Italie qui le conduiraient à être renvoyé en Russie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur l'arrêté portant assignation à résidence :
14. En premier lieu, l'arrêté en litige est signé par M. A..., chef du bureau de l'asile et de la lutte contre l'immigration irrégulière auquel la préfète du Bas-Rhin a délégué sa signature à l'effet de signer tous arrêtés et décisions relevant de ses attributions et compétences de son bureau par un arrêté du 4 octobre 2022 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 7 octobre 2022. En conséquence, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.
15. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué énonce ainsi les considérations de droit et de fait qui le fondent et est, par suite, suffisamment motivé.
16. En troisième lieu, l'arrêté en litige précise que les autorités italiennes ont fait connaître leur accord pour la prise en charge de M. B... et que son éloignement demeure ainsi une perspective raisonnable. Il indique également que M. B... dispose de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à l'exécution de la décision de transfert dont il fait l'objet. Le requérant soutient que la décision ordonnant son assignation à résidence n'était ni justifiée ni proportionnée, sans apporter aucun élément au soutien de ses allégations. En conséquence, il n'établit pas que la préfète du Bas-Rhin ne pouvait légalement prononcer une telle mesure à son encontre.
17. En dernier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. En outre, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision.
18. En l'espèce, M. B... soutient avoir vainement sollicité un entretien auprès des services préfectoraux et avoir été privé de la possibilité de présenter ses observations sur sa situation. Toutefois, il indique dans le même temps avoir informé la préfecture de son état de santé. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
20. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. B....
Sur les frais liés à l'instance :
21. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
22. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er février 2024.
La rapporteure,
Signé : N. Peton Le président,
Signé : M. Wallerich
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 22NC03159