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01/02/2024 | FRANCE | N°21NC01732

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 01 février 2024, 21NC01732


Vu la procédure suivante :



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 15 juin 2021 et des mémoires complémentaires enregistrés le 26 avril 2022, le 24 mars 2023 et le 16 août 2023, la société d'exploitation du parc éolien de la Brie des Etangs, représentée par Me Cambus, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 14 avril 2021 par lequel le préfet de la Marne a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent

composée de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Baye et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 juin 2021 et des mémoires complémentaires enregistrés le 26 avril 2022, le 24 mars 2023 et le 16 août 2023, la société d'exploitation du parc éolien de la Brie des Etangs, représentée par Me Cambus, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 14 avril 2021 par lequel le préfet de la Marne a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent composée de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Baye et de Champaubert ;

2°) de lui délivrer l'autorisation sollicitée, et assortir cette autorisation des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, ou subsidiairement, enjoindre au préfet de la Marne de fixer, s'il y a lieu, lesdites prescriptions techniques dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que son projet ne porte pas atteinte à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la SEPE de la Brie des Etangs n'est fondé.

Par une intervention enregistrée le 1er mars 2023 et des mémoires enregistrés les 9 mars et 28 mars 2023, l'association " Collectif Environnement Champenois en péril ", l'association " Qui sème le vent " et Mme B... A..., représentés par Me Catry, demandent à ce que la cour rejette la requête n° 21NC01732.

Ils soutiennent que l'arrêté du 14 avril 2021 n'est pas entaché d'illégalité.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 juillet 2023 et le 22 août 2023, le préfet de la Marne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- à titre principal, la requête est irrecevable faute pour la SEPE de la Brie des Etangs de lui avoir notifié son recours conformément à l'article 25 du décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par la SEPE de la Brie des Etangs ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sibileau, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Cambus, pour la SEPE de la Brie des Etangs, ainsi que celles de Me Catry, pour l'association " Collectif Environnement Champenois en péril ", l'association " Qui sème le vent " et Mme B... A....

Une note en délibéré, présentée pour l'association " Collectif Environnement Champenois en péril ", l'association " Qui sème le vent " et Mme B... A..., a été enregistrée le 11 janvier 2024.

Une note en délibéré, présentée pour la SEPE de la Brie des Etangs a été enregistrée le 25 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La société d'exploitation du parc éolien de la Brie des Etangs (ci-après " la SEPE de la Brie des Etangs ") a présenté une demande d'autorisation, le 29 décembre 2016, pour exploiter un parc éolien de huit aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Baye et de Champaubert. Par un arrêté du 14 avril 2021 dont la SEPE de la Brie des Etangs demande l'annulation, le préfet de la Marne a rejeté la demande de la société.

Sur les interventions de l'association " Collectif Environnement Champenois en péril ", de l'association " Qui sème le vent " et de Mme A... :

2. En premier lieu, les statuts de l'association " Collectif Environnement Champenois en péril " indiquent que celle-ci a notamment pour objet de " lutter contre l'invasion de parc éoliens industriels et contre l'encerclement éolien de nos villages dans la Marne et plus spécifiquement dans le Sud-Ouest Marnais ". Les statuts de l'association " Qui sème le vent " indiquent quant à eux que celle-ci a pour objet la défense de l'environnement, la sauvegarde du cadre de vie notamment à Champaubert. Ces deux associations justifient ainsi, au regard de leurs objets statutaires, d'un intérêt au maintien de l'arrêté contesté. Leur intervention doit par suite, être admise.

3. En second lieu, il n'est pas contesté que Mme A... réside dans la commune de Champaubert à proximité du site d'implantation du projet de la SEPE de la Brie des Etangs. Mme A... a par suite intérêt au maintien de l'arrêté contesté et son intervention doit être admise.

Sur la légalité de l'arrêté du 14 avril 2021 :

4. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. / L'autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l'arrêté préfectoral. (...) " et aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ". Aux termes de l'article L. 350-1 du même code : " Le paysage désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels ou humains et de leurs interrelations dynamiques ".

5. Pour rechercher l'existence d'une atteinte contraire aux dispositions citées au point précédent, il appartient à l'autorité administrative d'identifier les éléments remarquables du site concerné par le projet, puis, si cette analyse la conduit à considérer qu'ils méritent une protection particulière, d'évaluer l'impact que ce projet, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur ce site naturel ou bâti. De surcroit, pour l'application de ces dispositions, le juge des installations classées pour la protection de l'environnement apprécie le paysage et les atteintes qui peuvent lui être portées en prenant en considération des éléments présentant, le cas échéant, des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques, y compris littéraires.

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le projet déposé par la SEPE de la Brie des Etangs est situé à une vingtaine de kilomètres au sud d'Epernay et comporte huit aérogénérateurs répartis en deux lignes parallèles, dont la hauteur pourra atteindre 137 mètres en bout de pâle et deux postes de livraison. Le projet s'inscrit dans un paysage ouvert de plaine agricole. D'une part, il résulte également de l'instruction que l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) a inscrit, en 2015 à l'occasion de la trente-neuvième session du comité du patrimoine mondial, " les Coteaux, maisons et caves de Champagne " sur la liste du patrimoine mondial au titre des biens culturels dans la catégorie des paysages culturels car ils forment un paysage agro-industriel spécifique, avec les vignobles comme bassin d'approvisionnement et les villages et espaces urbains concentrant les fonctions de production et commerciale. Le site d'implantation du projet, très proche des vignobles champenois, est par ailleurs compris dans la zone d'engagement du bien ainsi protégé.

7. D'autre part, il résulte également de l'instruction que le paysage du site d'implantation est marqué par la présence du site commémoratif de Mondement-Montgivroux, inscrit à l'inventaire des monuments historiques depuis le 4 octobre 1991, lui-même compris dans un site classé depuis 1934. De surcroît en 2023, l'UNESCO à l'occasion de la quarante-cinquième session du comité du patrimoine mondial a inscrit sur la liste du patrimoine mondial les sites funéraires et mémoriels de la Première guerre mondiale (Front Ouest), Belgique, France, parmi lesquels figure le cimetière communal français et la chapelle française de Mondement-Montgivroux. Cet ensemble est situé au Sud des marais de Saint-Gond, sur une crête surplombant la plaine de Champagne à 180 mètres d'altitude. Le monument du site commémoratif de Mondement-Montgivroux est situé à proximité et au Sud-Est du cimetière. Si l'inscription du cimetière communal français et de la chapelle française sur la liste du patrimoine mondial est postérieure à l'édiction de l'arrêté de refus du 14 avril 2021, il appartient toutefois au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de droit et de fait en vigueur à la date à laquelle il se prononce.

8. Il résulte de ce qui précède que le site d'implantation du projet éolien présente des éléments remarquables au sens des dispositions citées au point 4 ci-dessus.

9. En second lieu, il résulte de l'instruction que dans son avis du 14 avril 2020 la Mission régionale d'autorité environnementale du Grand Est a regretté le caractère incomplet et insuffisant des pièces présentées par la SEPE de la Brie des Etangs qui tendent à limiter les incidences potentielles et ne prennent pas en compte de manière satisfaisante la proximité entre le vignoble et le projet. Il résulte également de l'instruction que les vignobles avoisinants, reproduisent l'organisation traditionnelle du paysage champenois avec une ligne d'horizon ourlée de boisement en sommet de relief, des vignes sur les coteaux et des villages en fond de cuvette. L'implantation du parc présente un impact notable sur la qualité des paysages environnant et leur inscription à l'UNESCO n'a également pas fait l'objet d'une étude suffisante par le pétitionnaire. De surcroît, le projet remet en question la définition de l'organisation du territoire telle qu'elle est validée dans la définition de la valeur universelle exceptionnelle du classement au patrimoine mondial de l'humanité des sites évoqués aux points 6 et 7. La construction des éoliennes créera ainsi un phénomène de surplomb sur le relief de la cuesta de l'Île-de-France créant un point d'appel vertical direct et très marqué dans ce paysage aux lignes horizontales, perturbant la lecture historique de ce paysage, champ de la première bataille de la Marne qui s'est déroulée aux pieds du monument dans les marais de Saint-Gond et dans les vallées des Morin. Par conséquent, l'implantation des éoliennes est de nature à caractériser une atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la SEPE de la Brie des Etangs n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 14 avril 2021, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par le préfet de la Marne.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le présent arrêt, qui rejette la requête de la SEPE de la Brie des Etangs n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressée à fins de délivrance de l'autorisation environnementale et d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, les sommes demandées par la SEPE de la Brie des Etangs, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention de l'association " Collectif Environnement Champenois en péril ", de l'association " Qui sème le vent " et de Mme A... est admise.

Article 2 : La requête de la SEPE de la Brie des Etangs est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SEPE de la Brie des Etangs, à l'association " Collectif Environnement Champenois en péril ", à l'association " Qui sème le vent ", à Mme B... A... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet de la Marne.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Sibileau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er février 2024.

Le rapporteur,

Signé : J.-B. SibileauLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. RobinetLa République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 21NC01732


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01732
Date de la décision : 01/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste SIBILEAU
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : LPA-CGR

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-01;21nc01732 ?
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