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07/11/2023 | FRANCE | N°23NC00357

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 07 novembre 2023, 23NC00357


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 7 décembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a rejeté son recours administratif préalable obligatoire formé à l'encontre de la décision du 24 mars 2020 à laquelle s'est substituée la décision du 24 juin 2020 par laquelle le général de division commandant la gendarmerie outre-mer a décidé de la muter d'office à la brigade de proximité de Saint-Hyppolyte

compter du 1er juillet 2020 dans l'intérêt du service.



Par un jugement n° 2100176...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 7 décembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a rejeté son recours administratif préalable obligatoire formé à l'encontre de la décision du 24 mars 2020 à laquelle s'est substituée la décision du 24 juin 2020 par laquelle le général de division commandant la gendarmerie outre-mer a décidé de la muter d'office à la brigade de proximité de Saint-Hyppolyte à compter du 1er juillet 2020 dans l'intérêt du service.

Par un jugement n° 2100176 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Besançon a, d'une part, annulé la décision du 7 décembre 2020 et, d'autre part, enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réintégrer Mme B... dans l'emploi qu'elle occupait avant l'exécution de cette décision et de reconstituer sa carrière dans un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er février 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 1er décembre 2022 ;

2°) de rejeter les conclusions d'annulation de la demande de Mme B....

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal s'est fondé, pour annuler la décision du 7 décembre 2020, sur le moyen tiré de ce qu'elle constituerait une sanction disciplinaire déguisée ;

- la mutation d'office de Mme B... est parfaitement justifiée car elle a été prise dans l'intérêt du service et ne révèle aucune sanction déguisée à l'encontre de celle-ci ;

. c'est en violation des dispositions légales et réglementaires relatives au cumul d'activités et en toute connaissance de cause, qu'elle a créé et exploité une poissonnerie avec son compagnon également gendarme ;

. cette activité et la publicité qui en a été faite, ne permettaient plus de garantir son indépendance et son impartialité dans l'exercice des fonctions de sous-officier de gendarmerie sur le territoire dans lequel elle était affectée ;

. le comportement de Mme B... a porté atteinte à l'honneur et à la dignité de la fonction de gendarme ;

. elle a perdu la confiance de l'autorité judiciaire pour pouvoir continuer à exercer ses fonctions dans le ressort du tribunal de première instance de Nouméa ;

. le maintien dans ses fonctions était de nature à porter atteinte au bon fonctionnement du service ;

. ses deux derniers motifs, à savoir la perte de confiance de l'autorité judiciaire ainsi que l'atteinte à l'image de l'institution, suffisaient à eux seuls à justifier la décision litigieuse ; l'autre motif doit être neutralisé ;

- aucune sanction déguisée n'a été prise à son encontre :

. la procédure de mutation d'office prise dans l'intérêt du service, qui n'est pas une des sanctions disciplinaires énumérées limitativement à l'article L. 4137-2 du code de la défense, a été conduite parallèlement à la procédure disciplinaire qui a donné lieu à un blâme ;

- aucun détournement de pouvoir ne pourra être retenu.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Maumont, conclut :

1°) au rejet de la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de mutation d'office prononcée à son encontre n'a pas été prise dans l'intérêt du service et constitue en réalité une sanction disciplinaire :

. elle a été privée de ses droits et garanties dont elle pouvait bénéficier dans le cadre d'une procédure disciplinaire ;

. l'administration n'a pas tenu compte de ses vœux de mutation ; elle a subi une rétrogradation fonctionnelle dans une unité sans spécialisation et une baisse de solde ;

- le ministre a commis une erreur d'appréciation : aucune atteinte effective et durable au service n'est démontrée ;

. elle a seulement participé de manière épisodique à l'activité d'une poissonnerie, dans le cadre d'un cumul d'activité par ailleurs autorisé en tant que tel par l'article R. 4122-26 du code de la défense, et ses compétences professionnelles de gendarme et sa disponibilité, ainsi que son intégrité n'ont jamais sérieusement été remises en question ;

. les faits qui fondent la décision litigieuse sont matériellement inexacts et irrégulièrement qualifiés ;

. son éloignement n'était pas justifié : il n'y a eu aucune perte de confiance de l'autorité judiciaire, aucune atteinte à l'image de l'institution et aucune répercussion médiatique de l'affaire ; alors qu'elle n'exerçait pas de fonctions en lien avec la police judiciaire à son poste à la brigade de la prévention et délinquance juvénile (BPDJ), elle a été détachée, de manière totalement incohérente, du 17 décembre 2019 au 30 juin 2020, à la brigade de Koné qui est une unité à vocation judicaire ;

. elle a été relaxée et le jugement du tribunal correctionnel de Nouméa, devenu définitif, précise qu'elle ne s'est pas rendue coupable de travail clandestin par dissimulation d'emploi salarié ; le procureur n'a jamais recherché la responsabilité pénale de son compagnon ;

. la mesure infligée est disproportionnée ;

- la mesure litigieuse constitue un détournement de pouvoir et de procédure.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Moumni, représentant Mme B... et de Mme A..., représentant le ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., gendarme, née à Bourail (Nouvelle-Calédonie), a intégré la gendarmerie nationale en 2004 et était, au moment des faits, affectée à la brigade de prévention de la délinquance juvénile de Koné. Elle a créé en novembre 2018 avec son conjoint, également gendarme, un commerce de produit de la mer sous la forme d'une société à responsabilité limitée, sans en avoir informé sa hiérarchie. En 2019, lors d'une visio-conférence les intéressés ont révélé à leur autorité hiérarchique qu'ils étaient actionnaires de cette structure. Par courrier du 12 septembre 2019, le commandant de gendarmerie pour la Nouvelle-Calédonie leur a rappelé la règlementation sur les cumuls d'activités et l'interdiction d'intervenir à titre professionnelle ou privé dans la gestion ou l'activité commerciale de ce commerce. A la suite d'une émission de télévision dans laquelle Mme B... est citée dans le générique et où son conjoint est présenté comme l'exploitant, une enquête préliminaire est ouverte le 23 septembre 2019 à l'égard des deux fonctionnaires pour des faits susceptibles de constituer des infractions pénales (travail dissimulé). Par un courrier du 17 décembre 2019, le procureur de la République près le tribunal de première instance de Nouméa a informé le commandant de gendarmerie pour la Nouvelle-Calédonie que " la confiance et la crédibilité de ces militaires, exerçant sur le Territoire " lui paraissaient entamées. Ce dernier a alors établi, le 8 janvier 2020, un rapport dans lequel il a sollicité, au regard de la perte de confiance accordée aux intéressés par leur autorité hiérarchique et le procureur de la République ainsi que du retentissement local de cette affaire mettant en cause leur intégrité et indépendance, la mutation d'office des deux gendarmes hors du territoire calédonien. Alors que son compagnon n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale, le gendarme B... a fait l'objet d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qu'elle a refusée. Le 24 janvier 2020, elle a complété une fiche de vœux d'affectation sur des unités spécialisées et Etat-major en métropole. Un premier ordre de mutation est décidé à la brigade de proximité (BP) de Saint-Hyppolyte en qualité d'enquêtrice en gendarmerie départementale à compter du 15 avril 2020. Par ordre de mutation du 24 mars 2020, la prise d'effet de la mutation est reportée au 1er juillet 2020. Le 18 mai 2020, le gendarme B... forme un recours administratif obligatoire devant la commission de recours des militaires. Si un nouvel ordre de mutation a été édicté le 10 juin 2020 pour une affectation à la BP d'Ornans, il sera retiré le 24 juin 2020 pour une affectation à Saint-Hyppolite. Par une décision du 7 décembre 2020, le ministre de l'intérieur, qui a regardé le recours comme dirigé contre le dernier ordre de mutation du 24 juin 2020, l'a rejeté. La sanction disciplinaire de blâme est prononcée à l'encontre du gendarme le 5 janvier 2022. Par un jugement du 1er décembre 2022, rectifié par une ordonnance du 21 décembre 2022, le tribunal administratif de Besançon a, à la demande de Mme B..., annulé la décision du 7 décembre 2020 et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réintégrer l'intéressée dans l'emploi qu'elle occupait avant l'exécution de cette décision ainsi que de reconstituer sa carrière dans un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de l'article 1er de ce jugement, qui annule la décision du 7 décembre 2020.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 4121-5 du code de la défense : " Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu (...) ". Il appartient dès lors à l'autorité militaire d'apprécier l'intérêt du service pour prononcer la mutation des personnels. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 4137-2 du code de la défense : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : 1° Les sanctions du premier groupe sont : a) L'avertissement ; b) La consigne ; c) La réprimande ; d) Le blâme ; e) Les arrêts ; f) Le blâme du ministre ; 2° Les sanctions du deuxième groupe sont : a) L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de cinq jours privative de toute rémunération ; b) L'abaissement temporaire d'échelon ; c) La radiation du tableau d'avancement ; 3° Les sanctions du troisième groupe sont : a) Le retrait d'emploi, défini par les dispositions de l'article L.4138-15 ; b) La radiation des cadres ou la résiliation du contrat ". Enfin, aux termes de l'article L. 4137-1 du même code : " (...) Le militaire à l'encontre duquel une procédure de sanction est engagée a droit à la communication de son dossier individuel, à l'information par son administration de ce droit, à la préparation et à la présentation de sa défense (...) ".

3. La mutation dans l'intérêt du service constitue une sanction déguisée dès lors qu'il est établi que l'auteur de l'acte a eu l'intention de sanctionner l'agent et que la décision a porté atteinte à la situation professionnelle et matérielle de ce dernier.

4. Pour prononcer une mutation d'office dans l'intérêt du service à l'encontre de Mme B..., la décision ministérielle du 7 décembre 2020 relève la création d'une société ayant pour objet un commerce de produits de la mer dont le siège social est fixé au logement concédé par nécessité de service sans autorisation préalable de sa hiérarchie au titre du cumul d'activité, l'information de la hiérarchie de la création de cette société le 5 septembre 2019, peu avant la diffusion d'un reportage télévisé, ainsi que l'ouverture d'une enquête préliminaire qui " a permis d'établir que l'adjudant D... et sa compagne le gendarme B... avaient commis des faits susceptibles de constituer des infractions pénales (gestion de fait, conflit d'intérêt et travail dissimulé) ". Elle indique également que les faits commis par le gendarme B... ont porté atteinte à l'honneur et à la dignité de la fonction de gendarme et mentionne un courrier du 17 décembre 2019 du procureur de la République informant le commandement qu'il estimait que l'adjudant D... et le gendarme B... avaient " perdu tout crédit et toute confiance pour pouvoir exercer leurs fonctions dans le ressort du TPI de Nouméa ". Le ministre en déduit que, compte tenu notamment des répercussions médiatiques de l'affaire, le maintien du gendarme B... est de nature à porter atteinte au bon fonctionnement du service.

5. D'une part, la décision litigieuse qui éloigne Mme B... de près de 17 000 kilomètres de son domicile et de son lieu de naissance, alors que la requérante allègue, sans être efficacement contredite, qu'il existait d'autres postes disponibles plus proches, pour l'affecter sur un poste en métropole alors que le centre de ses intérêts matériels et moraux a été fixé en Nouvelle-Calédonie depuis le 20 octobre 2014, a pour effet d'entraîner une dégradation objective de sa situation professionnelle et matérielle.

6. D'autre part, il ressort de l'ensemble des pièces du dossier, et en particulier des termes mêmes de la décision ministérielle, que la mesure est motivée, notamment, par une atteinte portée à " l'honneur et à la dignité de la fonction de gendarme ". Si l'administration demande que ce motif soit neutralisé, il ne résulte pas de l'instruction que la même décision aurait été édictée uniquement au regard des autres motifs, étant précisé que Mme B... a été détachée du 17 décembre 2019 au 30 juin 2020 à la brigade de Koné, qui est une unité à vocation judicaire alors qu'elle n'exerçait pas de fonctions en lien avec la police judiciaire à son poste à la brigade de la prévention et délinquance juvénile (BPDJ). L'intention poursuivie par l'administration dans ce contexte révèle ainsi une volonté de sanctionner Mme B..., laquelle a d'ailleurs été affectée en métropole uniquement sur le dixième des onze vœux géographiques qu'elle avait formulés, davantage qu'une volonté de préserver le bon fonctionnement du service.

7. Il suit de là que la mesure n'a pas été prise uniquement dans l'intérêt du service mais constitue en réalité une sanction, laquelle était donc subordonnée à l'application des dispositions des articles L. 4137-1 et L. 4137-2 précités du code de la défense. Dès lors qu'il n'est pas contesté que la procédure préalable et les garanties accordées aux militaires faisant l'objet d'une sanction disciplinaire n'ont pas été respectées, le ministre de l'intérieur a entaché sa décision d'un détournement de procédure.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision du 7 décembre 2020.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme C... B....

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 23NC00357


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00357
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SOCIETÉ D'AVOCATS MAUMONT MOUMNI

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-07;23nc00357 ?
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