Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 19 novembre 2021 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a, d'une part, décidé son transfert aux autorités espagnoles et, d'autre part, ordonné son assignation à résidence.
Par un jugement n° 2108636 du 6 janvier 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 décembre 2022, M. B..., représenté par Me Carraud, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 janvier 2022 ;
2°) d'annuler ces arrêtés du 19 novembre 2021 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande d'asile, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision de transfert :
-il n'est pas justifié qu'il aurait bénéficié d'un entretien individuel conforme aux dispositions de l'article 5 du règlement (CE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision en litige est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 16 du règlement (CE) n° 604/2013 ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 17 du règlement (CE) n° 604/2013 ;
Sur la décision portant assignation à résidence :
- elle est entachée de défaut de motivation ;
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision de transfert ;
- elle est disproportionnée, dans son principe et sa durée.
Par une lettre du 9 janvier 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision de transfert, dont la caducité, entraînée par l'expiration du délai d'exécution de six mois défini à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, serait intervenue avant l'introduction de la requête d'appel.
Par un mémoire en réponse au moyen d'ordre public, enregistré le 23 janvier 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert, au motif qu'elle ne peut plus être exécutée.
Un mémoire en réponse au moyen d'ordre public, présenté pour M. B..., a été enregistré le 30 janvier 2023.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la requête, qui se borne à reprendre la demande de première instance, est irrecevable ;
- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 9 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Brodier, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant arménien né en 2000, est entré sur le territoire français le 14 septembre 2021 selon ses déclarations afin d'y solliciter l'asile. Il s'est alors vu remettre une attestation de demande d'asile " procédure Dublin ". Par un arrêté du 19 novembre 2021, la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités espagnoles responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par un arrêté du même jour, elle a prononcé son assignation à résidence. M. B... relève appel du jugement du 6 janvier 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. L'article 29 du règlement (UE) n° 604/213 du 26 juin 2013 dispose que : " 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
3. La préfète du Bas-Rhin justifie que l'arrêté du 19 novembre 2021 ordonnant le transfert de M. B... aux autorités espagnoles a été exécuté le 4 avril 2022, dans le délai de six mois prévu à l'article 29 précité à compter de la notification du jugement administratif. Dès lors, la requête d'appel de M. B... n'est pas dépourvue d'objet et il y a lieu de statuer sur ses conclusions.
Sur la légalité de la décision de transfert :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié d'un entretien individuel le 22 septembre 2021 avec un agent qualifié de la préfecture du Bas-Rhin, par le biais des services téléphoniques d'un interprète en langue arménienne de la société ISM interprétariat. Il ressort du procès-verbal de cet entretien, dont le requérant a signé le résumé, qu'il a présenté des observations personnelles. Ainsi, et alors qu'il ne fait état d'aucun élément établissant que cet entretien ne se serait pas déroulé dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. / 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. / (...) ". Aux termes de l'article 12 du même règlement : " (...) / 2. Si le demandeur est titulaire d'un visa en cours de validité, l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d'un autre État membre en vertu d'un accord de représentation prévu à l'article 8 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas. Dans ce cas, l'État membre représenté est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. / (...) ". Aux termes de l'article 16 de ce règlement : " 1. Lorsque, du fait d'une grossesse, d'un enfant nouveau-né, d'une maladie grave, d'un handicap grave ou de la vieillesse, le demandeur est dépendant de l'assistance de son enfant, de ses frères ou sœurs, ou de son père ou de sa mère résidant légalement dans un des États membres, ou lorsque son enfant, son frère ou sa sœur, ou son père ou sa mère, qui réside légalement dans un État membre est dépendant de l'assistance du demandeur, les États membres laissent généralement ensemble ou rapprochent le demandeur et cet enfant, ce frère ou cette sœur, ou ce père ou cette mère, à condition que les liens familiaux aient existé dans le pays d'origine, que l'enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère ou le demandeur soit capable de prendre soin de la personne à charge et que les personnes concernées en aient exprimé le souhait par écrit. / (...) ".
7. Il ressort de la décision de transfert de M. B... aux autorités espagnoles responsables de l'examen de sa demande d'asile que la préfète du Bas-Rhin a fait application du critère de l'article 12-2 du règlement (UE) n° 604/2013 au motif qu'il était ressorti de la consultation du fichier VIS que l'intéressé était en possession d'un visa délivré par ces mêmes autorités, en cours de validité au moment du dépôt de sa demande d'asile en France. Le requérant ne conteste pas que l'article 12, paragraphe 2 du règlement du 26 juin 2013 s'appliquait à sa situation. Par suite, et alors qu'en vertu de l'article 7 du même règlement, les critères de détermination de l'Etat membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans les articles 8 à 16 du règlement du 26 juin 2013, M. B... ne saurait utilement soutenir que la décision en litige serait entachée d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article 16 de ce règlement. En tout état de cause, le requérant ne justifie pas, par les certificats médicaux qu'il produit, y compris pour la première fois à hauteur d'appel, que sa mère, qui n'est au demeurant pas entrée sur le territoire français en même temps que lui, serait dépendante de son assistance. Par suite le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". Aux termes de l'article L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, il est procédé à l'enregistrement de la demande selon les modalités prévues au chapitre I du titre II. / (...) / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".
9. Il ressort des pièces du dossier que la sœur et la mère de M. B... résidaient déjà sur le territoire français, depuis 2018 pour la première et depuis mars 2021 pour la seconde, lorsque l'intéressé y est entré, en septembre 2021, afin de solliciter l'asile. Si le requérant soutient que l'état de santé de sa mère nécessite sa présence à ses côtés, les pièces qu'il produit ne suffisent pas à établir que cette assistance quotidienne ne pourrait pas lui être apportée par une autre personne que son fils. Dans ces conditions, l'aide que M. B... est susceptible d'apporter à sa mère ne caractérise pas une circonstance humanitaire justifiant que la France se déclare responsable de l'examen de sa demande d'asile. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en ne faisant pas usage de la faculté qu'elle tient des articles L. 571-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 17 du règlement (UE) n° 604/2013, la préfète du Bas-Rhin aurait entaché la décision de transfert d'une erreur de droit ou d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la légalité de l'assignation à résidence :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision l'assignant à résidence serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision de transfert.
11. En deuxième lieu, aux termes des premier et quatrième alinéas de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge peut être assigné à résidence par l'autorité administrative pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. / (...) / L'étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut également être assigné à résidence en application du présent article, même s'il n'était pas assigné à résidence lorsque la décision de transfert lui a été notifiée ". Aux termes des dispositions de l'article L. 732-1 du même code, applicables en vertu de l'article L. 751-4 : " Les décisions d'assignation à résidence, y compris de renouvellement, sont motivées ".
12. Il ressort des termes mêmes de la décision en litige, qui vise les dispositions applicables et précise que M. B... ne dispose pas des moyens lui permettant de se rendre en Espagne, que son transfert demeure une perspective raisonnable et qu'il dispose de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à l'exécution de la décision de transfert, qu'elle comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et doit être écarté.
13. En dernier lieu, M. B... ne se prévaut d'aucune circonstance personnelle permettant de considérer qu'en prononçant son assignation à résidence pendant une durée de quarante-cinq jours et en mettant à sa charge une obligation de présentation hebdomadaire auprès des services de la police aux frontières de l'aéroport d'Entzheim, la préfète du Bas-Rhin aurait entaché sa décision d'erreur d'appréciation.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 19 novembre 2021. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Guidi, présidente,
- M. Barteaux, premier conseiller,
- Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2023.
La rapporteure,
Signé : H. BrodierLa présidente,
Signé : L. Guidi
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 22NC03108