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17/10/2023 | FRANCE | N°22NC02772

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 17 octobre 2023, 22NC02772


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 20 août 2021 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de renouveler son titre de séjour.

Par un jugement n° 2200393 du 4 octobre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 novembre 2022, Mme C..., représentée par la SELARL Guitton et Grosset et Blandin, demande à la cour :

1°) de l'admettre provisoirement

à l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 4 octobre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 20 août 2021 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de renouveler son titre de séjour.

Par un jugement n° 2200393 du 4 octobre 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 novembre 2022, Mme C..., représentée par la SELARL Guitton et Grosset et Blandin, demande à la cour :

1°) de l'admettre provisoirement à l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 4 octobre 2022 ;

3°) d'annuler la décision du 20 août 2021 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour ;

4°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, moyennant la renonciation de son avocat à percevoir la contribution versée par l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est entachée d'incompétence ;

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- son droit à être entendu, protégé par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a été méconnu ;

- la filiation paternelle de son fils D... n'a pas été établie dans le seul but d'obtenir un titre de séjour ;

- la décision attaquée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision attaquée méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 16 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Sibileau, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante nigériane née le 12 juin 1985 a déclaré être entrée sur le territoire français le 1er juillet 2014. A la suite de la naissance de son fils sur le territoire français, le 25 novembre 2014, la requérante a été mise en possession d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " valable du 25 février 2016 au 24 février 2017, puis d'une carte de séjour pluriannuelle valable du 25 février 2017 au 24 février 2019 en sa qualité de parent d'un enfant français. Par un arrêté du 20 août 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de renouveler son titre de séjour. Par un jugement n° 2200393 du 4 octobre 2022 dont Mme A... interjette appel, le tribunal administratif de Nancy a rejeté le recours formé contre l'arrêté du 20 août 2021.

Sur la légalité de l'arrêté du 20 août 2021 :

2. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. / Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ". Aux termes de l'article L. 423-10 du même code : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France et titulaire depuis au moins trois années de la carte de séjour temporaire prévue à l'article L. 423-7 ou d'une carte de séjour pluriannuelle délivrée aux étrangers mentionnés aux articles L. 423-1, L. 423-7 et L. 423-23, sous réserve qu'il continue de remplir les conditions prévues pour l'obtention de cette carte de séjour, se voit délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans. / [...] L'enfant visé au premier alinéa s'entend de l'enfant ayant une filiation légalement établie, y compris l'enfant adopté, en vertu d'une décision d'adoption, sous réserve de la vérification par le ministère public de la régularité de cette décision lorsqu'elle a été prononcée à l'étranger ".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Il est constant que le 25 novembre 2014, Mme A... a donné naissance à un enfant, prénommé D..., qui avait fait l'objet d'une reconnaissance anticipée de paternité par M. B... E..., ressortissant français. Pour refuser de délivrer à Mme A... un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de Meurthe-et-Moselle s'est fondé sur la circonstance que la reconnaissance de paternité du jeune D... par M. B... E... était frauduleuse.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. E... a fait l'objet d'un signalement en reconnaissance multiple de paternité pour avoir reconnu trois enfants nés de trois mères différentes, toutes en situation irrégulière. Le préfet a saisi le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nancy d'une procédure en reconnaissance frauduleuse de paternité le 4 août 2019. Toutefois, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'établit ni même n'allègue que le procureur de la République ait réservé une suite quelconque à ce signalement intervenu plus de deux ans avant l'édiction de la décision en cause et qu'une décision rendue par le juge judiciaire ait remise en cause la filiation du jeune D.... Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que par un jugement du 24 janvier 2020, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nancy a fixé la contribution de M. E... à l'entretien et à l'éducation du jeune D.... Dans ces conditions, en présence d'éléments précis et concordants de nature à établir qu'un ressortissant français serait le père biologique de l'enfant de Mme A..., c'est à tort que le préfet de Meurthe-et-Moselle a estimé que la reconnaissance de paternité de cet enfant a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention par l'intéressée d'un titre de séjour.

6. Si Mme A... n'apporte aucun élément justifiant que M. E... contribuerait effectivement à l'entretien et à l'éducation de leur enfant, elle produit la copie d'un jugement du 24 janvier 2020 du juge aux affaire familiales du tribunal judiciaire de Nancy, qui condamne M. E... à lui payer la somme de 150 euros par mois au titre de la contribution à l'entretien et à l'éducation du jeune D.... Cette décision de justice suffit à elle seule à justifier de la contribution exigée par les articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'éventuelle circonstance que M. E... n'exécute pas les obligations découlant de ce jugement est sans incidence à cet égard. Par suite, le préfet n'était pas fondé à refuser de faire droit à la demande de titre de séjour de Mme A...

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard à ce qui a été dit précédemment, le présent arrêt implique nécessairement que soit délivré à Mme A... la carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de procéder à la délivrance de ce titre dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de mettre Mme A... en possession, dans les meilleurs délais, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant expressément à travailler.

Sur les frais d'instance :

8. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SELARL Guitton et Grosset et Blandin, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SELARL Guitton et Grosset et Blandin de la somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1 : Le jugement n°2200393 du 4 octobre 2022 du tribunal administratif de Nancy est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 20 août 2021 du préfet de Meurthe-et-Moselle est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de délivrer à Mme A... la carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, ainsi que de lui délivrer, dans l'attente et dans les meilleurs délais, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant expressément à travailler.

Article 4 : L'État versera la somme de 1 500 euros à la SELARL Guitton et Grosset et Blandin, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que la SELARL Guitton et Grosset et Blandin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Agnel, président de chambre,

- M. Sibileau, premier conseiller,

- Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2023.

Le rapporteur,

Signé : J.-B. SibileauLe président,

Signé : M. Agnel

Le greffier,

Signé : J.-Y. Gaillard

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

J.-Y. Gaillard

2

N° 22NC02772


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02772
Date de la décision : 17/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste SIBILEAU
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SELARL GUITTON et GROSSET BLANDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-10-17;22nc02772 ?
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