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04/07/2023 | FRANCE | N°22NC01885

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 04 juillet 2023, 22NC01885


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 25 mars 2022, par lequel le préfet des Ardennes a rejeté sa demande de délivrance d'une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d'enfant malade, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a assorti l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois et a fixé le pays à destinatio

n duquel elle pourra être reconduite d'office.

Par un jugement n° 2200931 du 8...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 25 mars 2022, par lequel le préfet des Ardennes a rejeté sa demande de délivrance d'une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d'enfant malade, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a assorti l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office.

Par un jugement n° 2200931 du 8 juillet 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 juillet 2022, Mme F..., représentée par Me Segaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Ardennes du 25 mars 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Ardennes de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sur le fondement de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- les décisions refusant de l'admettre au séjour et l'obligeant à quitter le territoire français sont insuffisamment motivées ;

- elles ont été prises à l'issue d'une procédure irrégulière, en l'absence de saisine pour avis du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration ;

- les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la décision portant refus d'autorisation provisoire de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet des Ardennes qui n'a pas produit d'observations en défense.

Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 16 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience publique.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bourguet-Chassagnon,

- et les observations de M. B..., membre de la mission chrétienne, recueillies en vertu de l'article R. 732-1 du code de justice administrative.

Une note en délibéré présentée pour Mme F... a été enregistrée le 1er juin 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F..., ressortissante albanaise née le 10 février 1998, entrée sur le territoire français le 12 septembre 2020, a présenté le 1er octobre suivant une demande d'asile qui a été rejetée par une décision du 26 février 2021 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée le 29 juillet 2021 par la Cour nationale du droit d'asile. Parallèlement, sa demande de délivrance d'une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d'enfant malade, formulée en février 2021, a été considérée comme tardive par les services de la préfecture. En août 2021, en raison de l'aggravation de l'état de santé de son fils E..., Mme F... a demandé au préfet des Ardennes la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour prévue par les dispositions de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les services de la préfecture ont enregistré sa demande le 19 novembre 2021. Par un arrêté du 25 mars 2022, le préfet des Ardennes a refusé de l'admettre provisoirement au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a prononcé, à son encontre, une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office. Par un jugement du 8 juillet 2022, dont Mme F... relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

3. Pour rejeter la demande d'autorisation provisoire de séjour de Mme F..., le préfet des Ardennes s'est notamment fondé sur l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 22 mars 2022 selon lequel si l'état de santé de son fils E... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ce dernier peut toutefois effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, l'Albanie, à destination duquel il peut voyager sans risque. Il ressort des pièces du dossier, notamment du certificat médical établi le 20 décembre 2021 par le docteur A..., médecin pédiatre du centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP) des Ardennes, que l'enfant E..., né en octobre 2019, est porteur d'une trisomie 21, qu'il a été opéré en France en 2020 et 2021 d'une cataracte congénitale aux deux yeux, qu'il est affecté d'une malformation cardiaque à type de communication interventriculaire (CIV) membraneuse et d'une fuite mitrale sur fente nécessitant une intervention chirurgicale, laquelle doit être effectuée par un chirurgien cardio-pédiatre, et qu'il bénéficie d'une prise en charge en psychomotricité au sein du CAMSP, l'enfant qui " ne semble pas voir au-delà d'un mètre ", présentant un retard de développement sévère et global tant du point de sa mobilité que dans sa capacité d'expression orale ou d'interaction avec son environnement. Le docteur G..., chirurgien cardio-pédiatre de l'hôpital américain de Reims, atteste que l'état de santé de E... " nécessite un suivi régulier dans un service de cardiologie pédiatrique et congénitale, spécialité à part entière " et que l'enfant devra subir une chirurgie cardiaque vers l'âge de 3 ans. S'agissant plus particulièrement de l'accès au traitement en Albanie, le docteur A... rappelle que les complications cardiaques et pulmonaires sont responsables de 75 % de la mortalité des patients porteurs de trisomie 21 dans l'enfance et précise que l'Albanie ne dispose pas de cardio-pédiatres. Outre la liste indicative des médecins généralistes et spécialistes exerçant en Albanie, parmi lesquels ne figure aucun chirurgien cardio-pédiatre, publiée par l'ambassade de France en Albanie, la requérante produit en appel un certificat médical d'un praticien de l'hôpital Shkoder (Albanie) daté du 2 septembre 2022, lequel indique " il est impossible une prise en charge médicale dans les structures hospitalières de notre pays, car les équipements médicaux ne sont pas adaptés. (...) En ce qui concerne ses problèmes cardiaques, en Albanie, il n'y a pas de médecin cardio pédiatre, uniquement des cardiologues. Dans ces conditions, il est impossible que l'enfant E... se fasse opérer en Albanie, les médecins sont incapables d'assurer une telle intervention ". En se bornant à produire à l'occasion de la première instance l'avis du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration du 22 mars 2022, le préfet des Ardennes n'apporte pas d'élément suffisants de nature à contredire les conclusions des certificats médicaux produits par la requérante. Dans ces conditions, compte tenu de la mise en place depuis 2020 du suivi médico-éducatif rendu nécessaire par le handicap et les différentes pathologies affectant E..., de la nécessité d'un suivi régulier au sein d'un service de cardiologie pédiatrique et congénitale et de l'intervention chirurgicale prévue pour ses trois ans et ne pouvant être réalisée en Albanie, le retour de cet enfant dans son pays d'origine, pour y suivre sa mère qui en assure seule l'entretien, serait de nature à porter atteinte à son intérêt supérieur. Dans les circonstances particulières de l'espèce, Mme F... est fondée à soutenir qu'en refusant de lui octroyer l'autorisation provisoire de séjour sollicitée en tant que parent d'enfant malade, le préfet des Ardennes a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant citées au point précédent. Il suit de là que la décision de refus d'admission au séjour en litige doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français et fixant le pays de renvoi.

4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 25 mars 2022.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

5. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité délivre à Mme F... une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d'enfant malade. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet des Ardennes de délivrer ce titre dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a toutefois pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

6. Par la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 16 décembre 2022, Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Segaud, conseil de Mme F..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat d'une somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2200931 du 8 juillet 2022 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et l'arrêté du 25 mars 2022 par lequel le préfet des Ardennes a rejeté la demande d'admission au séjour présentée par Mme F..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Ardennes de délivrer à Mme F... une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d'enfant malade dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Segaud, avocate de Mme F..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Segaud renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Segaud.

Copie en sera adressée au préfet des Ardennes.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,

- Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.

La rapporteure,

Signé : M. Bourguet-ChassagnonLa présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : M. D...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. D...

2

N° 22NC01885


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01885
Date de la décision : 04/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Mariannick BOURGUET-CHASSAGNON
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SEGAUD JULIE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-07-04;22nc01885 ?
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