La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2023 | FRANCE | N°22NC01953

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 27 juin 2023, 22NC01953


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 18 juin 2021 par lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement no 2101586 du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le

20 juillet 2022, M. B..., représenté par Me de Seze, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 18 juin 2021 par lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement no 2101586 du 28 septembre 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2022, M. B..., représenté par Me de Seze, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 28 septembre 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 juin 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, subsidiairement de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 47 du code civil, subsidiairement ont entaché le jugement d'insuffisance de motivation dans leur réponse à ce moyen ;

- le jugement est entaché d'insuffisance de motivation relativement aux moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la légalité de l'arrêté :

- il est entaché d'incompétence de son signataire ;

- il est entaché d'erreur de droit et méconnaît les dispositions de l'article 47 du code civil, le préfet n'apportant aucun élément de nature à mettre en doute son état civil ;

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu des liens peu intenses qu'il conserve avec sa famille restée en Côte d'Ivoire, du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, et de son intégration ;

- il est entaché de défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2022, le préfet de l'Aube, représenté par le cabinet Actis Avocats, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 13 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord de coopération en matière de justice du 24 avril 1961 entre la République de Côte d'Ivoire et la République française, publié par le décret n° 62-136 du 23 janvier 1962 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Brodier a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant ivoirien soutenant être né le 6 novembre 2002, est entré sur le territoire français en décembre 2016 selon ses déclarations. Il a été confié à l'aide sociale à l'enfance du département de l'Yonne par une ordonnance de placement provisoire du 28 décembre 2016 puis par un jugement en assistance éducative du 6 janvier 2017, avant d'être orienté vers le département de l'Aube. Le 6 août 2020, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais reprises à l'article L. 423-22 du même code. Par un arrêté du 18 juin 2021, le préfet de l'Aube a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. B... relève appel du jugement du 28 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il ressort du jugement du 28 septembre 2021 que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " alors même que M. B... serait fondé à soutenir que le préfet n'établit pas le caractère frauduleux des documents produits ", en retenant que le préfet aurait pris la même décision à son encontre en se fondant uniquement sur l'existence de liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et sur l'avis de la structure d'accueil. Le tribunal, qui a neutralisé le motif de la décision en litige tiré du caractère frauduleux des documents d'état civil produits par M. B..., n'était pas tenu dans ces conditions de répondre spécifiquement au moyen de la demande présenté comme tiré de l'erreur de droit au regard des dispositions de l'article 47 du code civil. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges, qui avaient visé ce moyen et y ont répondu, auraient entaché leur jugement d'une omission à statuer ou d'une insuffisance de motivation.

3. En second lieu, il ressort des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a indiqué avec suffisamment de précision les raisons pour lesquelles il estimait que la décision en litige ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. B... et ne méconnaissait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué à cet égard ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté en litige :

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'il y a lieu d'adopter les motifs retenus à bon droit par les premiers juges pour écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige.

5. En deuxième lieu, il ressort de la décision en litige que, pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. B... sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité, le préfet de l'Aube a retenu un premier motif tiré de ce que l'intéressé ne justifiait pas avoir l'âge permettant de solliciter le bénéfice de ces dispositions et un second motif tiré, d'une part, de ce qu'il n'établissait pas ne plus avoir de liens avec sa famille restée dans son pays d'origine, d'autre part, de ce que le rapport de sa structure d'accueil du 16 juillet 2020 dénonçait un comportement impulsif, insolent et violent ainsi qu'une addiction au cannabis et, enfin, que le caractère réel et sérieux du suivi de sa formation n'était pas démontré. Compte tenu des pièces qui accompagnaient sa demande de titre de séjour datée du 24 juillet 2020, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet de l'Aube, qui a tenu compte de son parcours scolaire, n'aurait pas pris en considération son parcours professionnel ni la prolongation de sa prise en charge par le département. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen sérieux de sa situation manque en fait et doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française ".

7. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir obtenu la moyenne au brevet d'études professionnelles " bois option menuiserie-agencement ", M. B... s'était inscrit en terminale pour l'année 2020/2021 mais, en l'absence de récépissé de demande de titre de séjour et de délivrance par la DIRECCTE de l'autorisation de travail sollicitée, l'entreprise de menuiserie avec laquelle il prévoyait de conclure un contrat d'apprentissage a dû renoncer à finaliser cette convention, tandis qu'il n'a pas pu trouver d'autre employeur au cours de cette année. Le suivi de sa formation à la date de la décision en litige n'était ainsi pas susceptible d'être apprécié. En revanche, il ressort du rapport établi le 3 novembre 2020 par les éducateurs du Centre départemental de l'enfance de l'Aube que le requérant a rencontré des difficultés à trouver sa place dès le début de sa prise en charge et qu'il a, à chaque fois, adopté un comportement inadapté ou irrespectueux du règlement intérieur des lieux dans lesquels il était hébergé, y compris lors de ses deux accueils en appartement extérieur, le premier s'étant soldé en juillet 2019 par la rédaction d'une note d'incident compte tenu notamment de ce qu'il consommait du cannabis et y faisait entrer de jeunes individus extérieurs à la structure et ayant nécessité l'intervention de la police pour le ramener à l'internat du foyer de l'enfance, le second dans l'année 2020 après qu'il avait failli mettre le feu en laissant une casserole sur la cuisinière. Enfin, si M. B... indique avoir fui la violence qu'il subissait de la part de son père, il n'est pas dépourvu d'attaches familiales en Côte d'Ivoire où résident notamment sa mère et son frère. Dans ces conditions, et alors même qu'il avait bénéficié d'un contrat jeune majeur avec le département de l'Aube et était susceptible de réussir son insertion professionnelle, les difficultés de M. B... à respecter les règles sociales s'imposant à lui et le comportement adopté dans le cadre de sa prise en charge par le centre départemental de l'enfance amènent à considérer que le préfet de l'Aube n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui délivrer le titre de séjour qu'elles prévoient.

8. En quatrième lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, et ainsi que les premiers juges l'ont à juste titre retenu, à supposer que l'administration puisse être regardée comme ne renversant pas la présomption de valeur probante qui s'attache aux actes d'état civil produits par le requérant au soutien de sa demande de titre de séjour, le préfet de l'Aube aurait pris à l'encontre de M. B... la même décision de refus de titre de séjour s'il ne s'était fondé que sur les considérations tenant à l'existence d'attaches familiales dans son pays d'origine et au contenu de l'avis établi par sa structure d'accueil. Par suite, il n'y a pas lieu d'examiner le moyen tiré de l'erreur de droit au regard des dispositions de l'article 47 du code civil.

9. En cinquième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. M. B... résidait depuis quatre ans et demi sur le territoire français à la date de la décision en litige. Pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance à son arrivée, il a été scolarisé et a obtenu un BEP " bois option menuiserie-agencement " en juillet 2020. Il a ensuite été empêché de poursuivre sa formation en contrat d'apprentissage au cours de l'année 2020/2021. Toutefois, en dépit des efforts entrepris pour pouvoir s'insérer professionnellement, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... aurait désormais en France l'essentiel de sa vie privée. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. En dernier lieu, et pour les mêmes motifs qu'énoncés aux points 7 et 10 du présent arrêt, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 juin 2021. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me de Seze et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de l'Aube.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère,

- Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

La rapporteure,

Signé : H. BrodierLa présidente,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : M. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. C...

2

No 22NC01953


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01953
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : DE SEZE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-06-27;22nc01953 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award