Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Grimteck a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler d'une part l'arrêté du 22 janvier 2020 par lequel la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand Est a suspendu le contrat d'apprentissage de Mme A... et d'autre part l'arrêté du 22 janvier 2020 par lequel la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand Est a suspendu le contrat d'apprentissage de M. E....
Par deux jugements n°s 2002593 et 2002594 du 9 mars 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 21NC01030 le 9 avril 2021 et un mémoire complémentaire enregistré le 23 janvier 2023, la société Grimteck, représentée par Me Worms, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2002593 du tribunal administratif de Strasbourg du 9 mars 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 22 janvier 2020 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand Est a suspendu le contrat d'apprentissage de Mme A....
Elle soutient que :
- la décision du 22 janvier 2020 est insuffisamment motivée et entachée d'une erreur de visas ;
- cette décision repose sur des faits matériellement inexacts ;
- elle méconnaît la présomption d'innocence ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- la décision du 22 janvier 2020 méconnait la liberté du travail ;
- il ne saurait être tenu de payer un service qui n'est pas accompli ;
- la décision du 22 janvier 2020 est préjudiciable à Mme A... qui est privée de toute contact avec l'entreprise et de toute formation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 janvier 2023, Mme C... A..., représentée par Me Charret conclut à ce qu'elle soit admise à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, au rejet de la requête de la société Grimteck et à ce qu'une comme de 1 200 euros soit mise à la charge de la société Grimteck au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 21NC01031 le 9 avril 2021, la société Grimteck, représentée par Me Worms, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2002594 du tribunal administratif de Strasbourg du 9 mars 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 22 janvier 2020 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand Est a suspendu le contrat d'apprentissage de M. E....
Elle soutient que :
- la décision du 22 janvier 2020 est insuffisamment motivée et entachée d'une erreur de visas ;
- cette décision repose sur des faits matériellement inexacts ;
- elle méconnaît la présomption d'innocence ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- la décision du 22 janvier 2020 méconnait la liberté du travail ;
- il ne saurait être tenu de payer un service qui n'est pas accompli ;
- la décision du 22 janvier 2020 est préjudiciable à M. E... qui est privé de toute contact avec l'entreprise et de toute formation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sibileau, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par deux décisions en date du 22 janvier 2020, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand Est (ci-après " la directrice ") a suspendu les contrats d'apprentissage liant Mme C... A... et M. D... E... à la société Grimteck dirigée par M. B.... Par deux jugements n° 2002593 et n° 2002594 du 9 mars 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions à fin d'annulation de ces deux décisions présentées par la société Grimteck. Cette dernière interjette appel de ces jugements.
Sur la jonction :
2. Les requêtes susvisées n° 21NC01030 et n° 21NC01031, présentées pour la société Grimteck présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
3. En raison de l'urgence, il y a lieu d'admettre, à titre provisoire, Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur la légalité des arrêtés du 22 janvier 2020 :
4. En vertu de l'article L. 6225-4 du code du travail : " En cas de risque sérieux d'atteinte à la santé ou à l'intégrité physique ou morale de l'apprenti, l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 ou le fonctionnaire de contrôle assimilé propose au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi la suspension du contrat d'apprentissage. / Cette suspension s'accompagne du maintien par l'employeur de la rémunération de l'apprenti. ".
5. En premier lieu, les arrêtés du 22 janvier 2020 précisent les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par ailleurs, si la société Grimteck soutient également que les décisions attaquées sont entachées d'un défaut de visa, cette circonstance à la supposer établie, ne peut être utilement soulevée dès lors qu'une erreur dans les visas est sans incidence sur la légalité des décisions attaquées.
6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a subi entre septembre 2018 et février 2019, alors qu'elle était mineure, de nombreux comportements déplacés de la part de M. B..., dirigeant de la société Grimteck, ainsi que des sollicitations de nature sexuelle. Une stagiaire, précédemment accueillie par la même société confirme la matérialité et la fréquence de tels comportements. Il ressort également des pièces du dossier que M. B... insultait régulièrement un autre apprenti, M. E..., tout en se livrant à son encontre à des commentaires à connotation sexuelle dans des termes crus et vulgaires. Par ailleurs, il ressort de diverses photographies issues du site internet de la société que des évènements d'entreprise, dont il n'est pas établi que les apprentis étaient absents, associaient aux employés des jeunes femmes en maillot de bain deux pièces posant dans des positions sexuellement connotées. Enfin, il est constant qu'à l'occasion de son audition par deux inspectrices du travail, M. B... a, à plusieurs reprises, exprimé des menaces de violence physique à l'encontre de Mme A....
7. Compte tenu de ces éléments, la directrice disposait au jour du 22 janvier 2020 de suffisamment d'éléments pouvant lui faire penser avec suffisamment de vraisemblance qu'il existait un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique et morale de Mme A... et de M. E.... Par suite, la société Grimteck n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées reposent sur des faits matériellement inexistants et que la directrice a fait une inexacte application des dispositions précitées.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que pour prendre ses décisions, la directrice s'est bornée à constater la vraisemblance de la matérialité des faits reprochés à M. B... en s'abstenant d'en tirer quelque qualification pénale que ce soit. Par suite, la société Grimteck n'est pas fondée à soutenir que la directrice ait méconnu la présomption d'innocence en retranscrivant les propos de Mme A... qui estimait avoir cédé aux avances de M. B... sans voir pu exprimer un consentement libre.
9. En quatrième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté du travail n'est pas assorti des précisions utiles permettant d'en apprécier le bien-fondé.
10. En cinquième lieu, il ressort des dispositions citées au point 4 ci-dessus que la rémunération prévue reste due à l'apprenti pendant la suspension de son contrat. Par suite, la société Grimteck n'est pas fondée à soutenir qu'en laissant à sa charge la rémunération de Mme A... et M. E..., la directrice a méconnu l'alinéa second de l'article L. 6225-4 du code du travail.
11. En sixième et dernier lieu, il résulte de ce qui précède que les décisions du 22 janvier 2020 ont pour objet d'éviter la réalisation d'un risque sérieux d'atteinte à la santé ou à l'intégrité physique ou morale de Mme A... et M. E.... Par suite, la société Grimteck n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées portent atteinte aux intérêts des deux apprentis.
Sur l'amende pour recours abusif :
12. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ".
13. En raison du caractère répété des fautes commises par son dirigeant dans l'exercice quotidien de ses fonctions et dont l'appelante ne pouvait ignorer l'exceptionnelle gravité des conséquences à l'encontre d'un public à la fois jeune et placé en position de subordination, la requête de la société Grimteck présente un caractère abusif. Il y a lieu de condamner la société Grimteck à payer une amende de 4 000 euros.
Sur les frais d'instance :
14. En application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Mme A... soit admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre définitif, et sous réserve que Me Charret renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de la société Grimteck le versement de la somme de 1 200 euros à Me Charret, ou au bénéfice de Mme A... dans le cas où l'aide juridictionnelle ne lui serait pas accordée à titre définitif.
D E C I D E :
Article 1er : Mme A... est admise, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Les requêtes de la société Grimteck sont rejetées.
Article 3 : La société Grimteck est condamnée à payer une amende de 4 000 euros.
Article 4 : La société Grimteck versera à Me Charret une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat à la mission de l'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, dans l'hypothèse où Mme A... obtiendrait l'aide juridictionnelle à titre définitif. Dans l'hypothèse où Mme A... n'obtiendrait pas le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre définitif, la société Grimteck versera directement à Mme A... la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Grimteck, à Mme C... A..., à M. D... E..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à la Direction Départementale des Finances Publiques de la Moselle.
Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Metz.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- M. Sibileau, premier conseiller,
- Mme Barrois, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 avril 2023.
Le rapporteur,
Signé : J.-B. SibileauLe président,
Signé : M. F...
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 21NC01030-21NC01031