Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le département du Haut-Rhin à lui verser la somme de 8 288,37 euros au titre de la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi à raison de sa chute le 6 mai 2016 et d'ordonner avant-dire droit une seconde expertise médicale afin de déterminer la date de consolidation de son dommage corporel.
Par un jugement n° 1700770 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. B... et les conclusions de la caisse de sécurité sociale de droit allemand Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 mars 2020 et 11 juin 2021, M. B..., représenté par Me Feuerbach, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 5 novembre 2019 ;
2°) de condamner le département du Haut-Rhin à réparer les préjudices corporels et matériels subis et d'ordonner avant-dire droit qu'une expertise soit diligentée ;
3°) de condamner le département du Haut-Rhin à lui verser la somme de 8 298, 37 euros ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts, en réparation d'une partie du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de la chute qu'il a subie le 6 mai 2016 ;
4°) de mettre à la charge du département du Haut-Rhin les dépens et les frais exposés et non compris dans les dépens de première instance et la somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le département du Haut-Rhin est responsable de plein droit sur le fondement de l'article 1384 du code civil et en raison de la mise en place de produits défectueux ;
- il apporte la preuve que son dommage résulte entièrement du mauvais état de la voie ;
- en raison de la présence d'ornières et de l'absence de panneaux de signalisation et de travaux de réfection, le département du Haut-Rhin n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'entretien normal de la route départementale ;
- en l'absence de preuve de l'existence d'un excès de vitesse et d'un franchissement de la ligne continue, il n'a pas commis de faute de nature à exonérer le département de sa responsabilité ;
- le dommage est entièrement imputable au défaut d'entretien de la route départementale ; à titre subsidiaire, les responsabilités doivent être partagées ;
- il réserve le chiffrage de son préjudice corporel aux conclusions d'une seconde expertise médicale relative notamment à la fixation de la date de consolidation de son dommage ;
- en l'état, son préjudice matériel s'élève à la somme de 8 298,37 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 avril et 16 juillet 2021, le département du Haut-Rhin, aux droits et obligations duquel est venue la collectivité européenne d'Alsace, représentée par Me Pierson, conclut à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que la condamnation prononcée à son encontre soit ramenée à de plus justes proportions et à ce que soient mis à la charge de M. B... les dépens ainsi que la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, elle apporte la preuve de l'entretien normal de la route départementale ;
- à titre subsidiaire, M. B... a commis une faute de nature à exonérer le département de sa responsabilité ;
- à titre infiniment subsidiaire, le préjudice matériel allégué est injustifié et à tout le moins infondé ; l'indemnisation d'un préjudice corporel, qui n'est pas justifié, n'est pas chiffré et est irrecevable.
Par un mémoire, enregistré le 15 avril 2021, la caisse sociale de droit allemand dénommée Allgemeine Ortskrankenkasse Baden Württemberg, représentée par Me Jantkowiak, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 5 novembre 2019 ;
2°) de condamner le département du Haut-Rhin à lui verser la somme de 2 529,42 euros au titre du remboursement de ses débours ;
3°) de mettre à la charge du département du Haut-Rhin les dépens et la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que, sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et du § 116 du Sozialgesetzbuch, elle a droit au remboursement de ses prestations à hauteur de la somme de 2 529,42 euros.
Par ordonnance du 21 juillet 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 17 août 2021.
Un mémoire présenté pour M. B... a été enregistré le 19 août 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Gluntz, substituant Me Feuerbach, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Le 6 mai 2016 vers 12h20, M. B..., ressortissant allemand, a chuté, alors qu'il circulait à motocyclette, dans un virage sur la route départementale 415, au niveau du col du Bonhomme. Cette chute lui a occasionné une fracture du rachis lombaire ayant justifié une opération chirurgicale pratiquée le 10 mai 2016 aux Hôpitaux civils de Colmar, suivie d'une rééducation de plusieurs semaines en Allemagne. Par un jugement du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les demandes de M. B... et de la caisse de sécurité sociale de droit allemand Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg tendant à la condamnation du département du Haut-Rhin, devenu la collectivité européenne d'Alsace à indemniser les préjudices découlant de cet accident. M. B... et la caisse de sécurité sociale relèvent appel de ce jugement.
Sur la responsabilité de la collectivité européenne d'Alsace :
2. En premier lieu, la responsabilité qui peut incomber à une personne publique pour les dommages causés aux particuliers par des ouvrages publics n'est pas régie par les principes qui sont établis dans le code civil. Par suite, M. B... ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 1384 du code civil, devenu l'article 1242 du même code, relatives à la responsabilité des choses dont une personne a la garde. Pour les mêmes motifs, M. B... ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 1386-1 à 1386-18 du code civil, devenus les articles 1245 à 1245-17 du même code, relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux, pour rechercher la responsabilité de la collectivité européenne d'Alsace. En tout état de cause, concernant ce dernier fondement, il ne résulte aucunement de l'instruction que le dommage subi par M. B... serait imputable au caractère défectueux des produits utilisés dans l'entretien de la route départementale D 415.
3. En second lieu, il appartient à l'usager d'un ouvrage public, victime d'un dommage, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre l'ouvrage public et le dommage dont il se plaint. La collectivité en charge de l'ouvrage public doit, pour s'exonérer de sa responsabilité, justifier de l'entretien normal de l'ouvrage ou démontrer que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.
4. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'intervention du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du 6 mai 2016 et des allégations non démenties du requérant, que la chute en motocyclette subie par M. B... le 6 mai 2016 est survenue sur la route départementale D 415, dans la direction de Orbey à Plainfaing, au niveau d'un virage précédant l'arrivée sur le col du Bonhomme. Il résulte par ailleurs des photographies produites par les parties que, à l'endroit où l'intéressé a chuté, la route départementale D 415 est affectée de déformations, dans les deux sens de circulation. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que le dommage qu'il a subi le 6 mai 2016 est imputable aux ornières affectant la route départementale D 415.
5. D'autre part, il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du relevé manuscrit des interventions prévues par la patrouille du département du Haut-Rhin le 3 mai 2016, que la purge de plusieurs nids de poule était prévue et que la signalisation sur la route départementale D 415 devait être revue. Selon un extrait de l'agenda produit devant les premiers juges, une signalisation a été posée le 4 mai 2016, sur les secteurs E à F de la route départementale D 415. La collectivité européenne d'Alsace justifie également que des enrobés à froid ont été posés sur la route départementale D 415. Ces éléments établissent que la collectivité européenne d'Alsace a mis en place des mesures visant à l'entretien général de la route départementale D 415.
6. Il est vrai, toutefois, que ni ces éléments ni les photographies non localisées avec précision ou datées, dont la collectivité européenne d'Alsace se prévaut, ne justifient l'existence d'une signalisation spécifique ou provisoire alertant les usagers de l'existence de la déformation de la route à l'endroit où M. B... a chuté. Il résulte cependant de l'ensemble des éléments soumis à l'instruction, et en particulier des photographies produites par M. B..., que l'ornière qui a causé la chute de l'intéressé se présentait comme une bosselure s'étirant dans le sens du roulage. Ainsi, contrairement à ce qu'affirme le requérant, cette ornière ne formait pas une arrête. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que la profondeur de cette ornière serait supérieure à 4 centimètres. Compte tenu de sa localisation, dans un virage où la vitesse était limitée à 30 kilomètres par heure, cette ornière, en raison de sa nature et de sa faible profondeur, ne constituait pas un obstacle dépassant ceux auxquels un usager normalement attentif doit s'attendre. Par suite, même en l'absence d'éléments établissant l'existence d'une signalisation provisoire spécifique, la collectivité européenne d'Alsace doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'entretien normal de la route départementale D 415 à l'endroit où M. B... a chuté.
7. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'une éventuelle faute imputable à M. B..., la responsabilité de la collectivité ayant la charge de l'entretien de la route départementale D 415 ne saurait être engagée.
8. Il résulte de ce qui précède que ni le requérant, ni la caisse de sécurité sociale de droit allemand Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg ne sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs conclusions.
Sur les dépens :
9. D'une part, les frais d'expertise ont été liquidés et taxés par ordonnance du président du tribunal administratif de Strasbourg le 28 mai 2018 et ont été mis à la charge de M. B.... Ce dernier ayant la qualité de partie perdante, il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire supporter la charge définitive de ces frais à une autre partie.
10. D'autre part, l'instance d'appel n'a donné lieu à l'exposé d'aucun dépens.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la collectivité européenne d'Alsace, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que M. B... et la caisse de sécurité sociale de droit allemand Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... le versement d'une somme de 1 500 euros à la collectivité européenne d'Alsace sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera à la collectivité européenne d'Alsace une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la collectivité européenne d'Alsace et à la caisse de sécurité sociale de droit allemand Allgemeine Ortskrankenkasse Baden-Württemberg.
Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.
Le rapporteur,
Signé : A. DenizotLa présidente,
Signé : A. Samson-Dye
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au préfet du Haut-Rhin en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 20NC00551