Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Grave Randoux, en qualité de liquidateur judiciaire de la société à responsabilité limitée (SARL) MS Mode, a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la restitution de la somme qui avait été accordée à la SARL MS Mode au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) de l'année 2016 à hauteur de 634 018 euros.
Par un jugement n° 1802303 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 décembre 2020 et un mémoire enregistré le 13 mai 2022, la SELARL Grave Randoux et la SELAS Bernard et Nicolas Soinne, en qualité de co-liquidateurs judiciaires de la SARL MS Mode, représentées par la SCP Bejin-Camus-Belot, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la restitution d'une somme de 634 018 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2018, date de la décision de remboursement prise par l'administration et sous astreinte de 1 000 euros par jour à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt ;
3°) avant dire-droit adresser au tribunal de commerce de Lille une question préjudicielle relative à l'application des règles de la procédure collective ou subsidiairement adresser au Tribunal des conflits une demande d'avis sur la compétence en application de l'article 35 du décret du 27 février 2015.
Elles soutiennent que :
- la question de savoir s'il y a matière ou non à compensation entre créances réciproques nées à l'occasion d'une procédure collective relève de la compétence exclusive des juridictions de l'ordre judiciaire, en l'occurrence le tribunal de commerce de Lille, en vertu de la jurisprudence du tribunal des conflits par une décision du 22 janvier 2001 alors même qu'il s'agit de créances postérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective en vertu d'un arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 1995 ; la question du présent litige étant de savoir s'il y a lieu d'appliquer les dispositions des articles L. 622-17 et L. 631-14 du code de commerce, lesquelles sont relatives à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective, c'est à tort que le jugement attaqué s'est reconnu compétent ; il y avait à tout le moins matière à renvoi préjudiciel en application de l'article R. 771-2 du code de justice administrative ;
- l'administration ayant accordé le remboursement de la créance de CICE le 17 janvier 2018, elle ne pouvait revenir sur cette décision en application de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, en violation du devoir de loyauté de l'administration et en violation du principe de sécurité juridique ;
- c'est à tort que l'administration a procédé à la compensation de la créance de CICE détenue par MS Mode avec ses dettes fiscales alors que cette compensation préjudicie aux droits des tiers en violation de l'article 1347-1 du code civil, que ces sommes sont dépourvues de connexité, qu'en sa qualité de représentant des créanciers de la SARL MS Mode elle n'était pas redevable de sommes envers l'administration, qu'au demeurant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est destinée à d'autres collectivités que l'Etat de sorte qu'il n'y a pas identité de parties, qu'il résulte du BOI-REC-PREA-10-30 au 12 septembre 2012 que l'article L. 257 B du livre des procédures fiscales n'est pas applicable en l'espèce, que le pôle recouvrement spécialisé de la Marne n'a pas justifié du caractère utile de sa créance au regard de l'article L. 622-17 du code de commerce, que cette créance ne saurait bénéficier du caractère privilégié de l'article L. 622-17 du code de commerce en l'absence de déclaration dans les délais du IV de cet article et de l'article L. 631-14 du même code.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens autres que ceux invoqués dans la réclamation préalable ne sont pas recevables en vertu de l'article R. 281-5 du livre des procédures fiscales ;
- les moyens soulevés par la SELARLGrave Randoux et la SELAS Bernard et Nicolas Soinne ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code civil ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par jugement du 12 octobre 2016, le tribunal de commerce de Lille Métropole a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la SARL MS Mode en fixant la fin de la période d'observation au 12 avril 2017. Par jugement du 24 janvier 2017, ce même tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de cette société. La SELARL Grave Randoux, en qualité de co-liquidateur judiciaire de la SARL Ms Mode, a saisi l'administration fiscale d'une demande de remboursement d'un crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi au titre de l'année 2016 pour une somme de 634 018 euros. Par un avis de remboursement du 17 janvier 2018, le directeur départemental des finances publiques de la Marne a fait droit à cette demande. Le 19 janvier 2018, l'administration fiscale, sur le fondement de l'article L. 257 B du livre des procédures fiscales, a décidé d'effectuer la restitution de ce crédit d'impôt de 634 018 euros par compensation avec les créances fiscales détenues par l'administration sur la SARL MS Mode à hauteur de 762 597 euros de taxe sur la valeur ajoutée et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Par une réclamation du 13 juillet 2018, la SELARL Grave Randoux s'est opposée à cette compensation et a demandé le paiement de la somme de 634 018 euros. Par une décision du 5 septembre 2018, le directeur départemental des finances publiques de la Marne a rejeté cette réclamation. La SELARL Grave Randoux et la SELAS Bernard et Nicolas Soinne relèvent appel du jugement du 19 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à la restitution de la somme litigieuse.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. / (...) Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter :/ 1° Sur la régularité en la forme de l'acte ;/ 2° A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée. / Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés dans le cas prévu au 1° devant le juge de l'exécution. Dans les cas prévus au 2°, ils sont portés :/
a) Pour les créances fiscales, devant le juge de l'impôt prévu à l'article L. 199 ". Aux termes de l'article L. 257 B du même livre : " Le comptable public compétent peut affecter au paiement des impôts, droits, taxes, pénalités ou intérêts de retard dus par un redevable les remboursements, dégrèvements ou restitutions d'impôts, droits, taxes, pénalités ou intérêts de retard constatés au bénéfice de celui-ci. / Pour l'application du premier alinéa, les créances doivent être liquides et exigibles ". Aux termes de l'article R. 257 B-1 du même livre : " Lorsqu'il a exercé la compensation prévue à l'article L. 257 B, le comptable public compétent notifie au redevable un avis lui précisant la nature et le montant des sommes affectées au paiement de la créance qu'il a prise en charge à sa caisse. / Les effets de cette compensation peuvent être contestés dans les formes et délais mentionnés aux articles L. 281 et R. * 281-1 à R. * 281-5 ".
3. En vertu des dispositions de l'article L 281 du LPF, la juridiction administrative est compétente pour connaître des contestations relatives au recouvrement des impositions mentionnées au premier alinéa de l'article L 199 du même livre lorsqu'elles portent sur l'existence de l'obligation de payer, le montant de la dette, l'exigibilité de la somme réclamée ou tout autre motif ne remettant pas en cause l'assiette et le calcul de l'impôt. Toutefois, le tribunal de la procédure collective est, quelle que soit la nature des créances en cause, seul compétent pour connaître des contestations relatives à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective.
4. Il résulte de l'instruction que les requérants, en leur qualité d'organes de la procédure collective ouverte à l'encontre de la SARL MS Mode, ont saisi l'administration d'une lettre tendant à contester la mise en œuvre de la compensation fiscale de recouvrement effectuée le 19 janvier 2018 par le pôle recouvrement spécialisé de la Marne. A l'appui de leur contestation, les requérants ont invoqué plusieurs moyens dont seul celui relatif aux conditions d'application de l'article L. 622-17 du code de commerce se rapporte à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective. Par suite, sous réserve d'un renvoi préjudiciel au juge judiciaire des questions relatives à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective, la requête ci-dessus visée, tendant à la restitution d'une somme correspondant à un crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et soulevant une contestation relative à l'application de la compensation fiscale de recouvrement, relève de la compétence de la juridiction administrative.
Sur l'application des règles propres à la procédure collective :
5. Si, en cas de contestation sérieuse portant sur l'application des règles propres à la procédure collective, les tribunaux de l'ordre administratif statuant en matière fiscale doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la mise en œuvre de ces règles soit tranchée par la juridiction judiciaire, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être tranchée par le juge saisi au principal.
6. Aux termes de l'article L. 622-17 du code de commerce dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. -Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. / (...) II. -Lorsqu'elles ne sont pas payées à l'échéance, ces créances sont payées par privilège avant toutes les autres créances (...) / IV. -Les créances impayées perdent le privilège que leur confère le II du présent article si elles n'ont pas été portées à la connaissance de l'administrateur et, à défaut, du mandataire judiciaire ou, lorsque ces organes ont cessé leurs fonctions, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur, dans le délai d'un an à compter de la fin de la période d'observation ".
7. Il résulte de l'instruction que les créances fiscales ayant fait l'objet du paiement forcé par compensation en vertu de la décision du 19 janvier 2018 sont constituées d'une dette de taxe sur la valeur ajoutée se rapportant à la période comprise entre le 12 et le 31 octobre 2016 pour la somme de 223 563 euros, mise en recouvrement le 17 janvier 2017, d'une dette de taxe sur la valeur ajoutée de janvier 2017 pour la somme de 500 400 euros mise en recouvrement le 27 juillet 2017 et d'un rappel de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises de l'année 2017 de 38 634 euros mis en recouvrement le 27 juillet 2017. Ces créances sont nées postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective.
8. D'une part, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de Cassation que les dettes fiscales, dont la taxe sur la valeur ajoutée et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, nées postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective sont inhérentes à la poursuite de l'activité et relèvent à ce titre du I de l'article L. 622-17 du code de commerce. Par suite, le moyen invoqué de ce chef par les requérants, selon lequel il ne serait pas justifié que ces dettes seraient nées pour les besoins du déroulement de la procédure, paraît manifestement infondé et il n'y a pas lieu de renvoyer cette contestation au juge judiciaire.
9. D'autre part, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de Cassation que les créanciers ont le droit d'obtenir le paiement de leurs créances répondant aux conditions du I de l'article L. 622-17 du code de commerce, y compris en exerçant leur droit de poursuite individuel ou en procédant à une compensation légale, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'ils ne pourraient se prévaloir du privilège prévu par le II du même article à défaut d'avoir effectué la déclaration prévue au IV du même texte. Par suite, les requérants ne sont manifestement pas fondés à soutenir que les créances fiscales ayant fait l'objet du paiement forcé par compensation n'étaient pas exigibles en l'absence de déclaration auprès des organes de la procédure collective et il n'y a pas lieu de renvoyer cette contestation au juge judiciaire. Au surplus, le moyen invoqué manque en fait dès lors qu'il résulte de l'instruction que par lettres des 22 février et 27 juillet 2017 l'administration a informé la SELAS Bernard et Nicolas Soinne de l'existence des créances fiscales ayant donné lieu à la compensation litigieuse, c'est-à-dire avant l'expiration du délai d'un an suivant la fin de la période d'observation le 12 avril 2017.
Sur les autres moyens :
10. Les dispositions de l'article L. 257 B du livre des procédures fiscales ne posent aucune condition d'identité entre le service de recouvrement et celui auprès duquel la demande de remboursement de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi a été déposée. Si les requérants soutiennent n'être redevables d'aucune somme à la caisse du service des impôts des entreprises de Reims, il n'en demeure pas moins que la Sarl MS Mode était redevable de sommes au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à l'égard du pôle de recouvrement spécialisé de la Marne. L'administration a pu dès lors compenser les sommes dues à la SARL MS Mode au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi avec les sommes dues par cette dernière au titre de ces impositions.
11. En ayant procédé à la compensation litigieuse, l'administration n'a pas remis en cause le bien-fondé et l'existence de la créance de restitution du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi au titre de l'année 2016. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'administration aurait retiré à la SARL MS Mode le bénéfice de l'avis de remboursement du 17 janvier 2018 et les moyens invoqués par eux, tirés de la violation de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, des " principes de loyauté ", de sécurité juridique, ou encore de confiance légitime sont inopérants.
12. Les règles civiles de la compensation prévues par les dispositions des articles 1347 et suivants du code civil sont inapplicables à la compensation fiscale de recouvrement instituée par les dispositions ci-dessus rappelées de l'article L. 257 B du livre des procédures fiscales. Par suite, les moyens tirés de ce que les créances et les dettes litigieuses ne seraient pas réciproques et connexes, de ce que la mise en œuvre de la compensation préjudicierait aux droits des tiers et de ce qu'elle méconnaîtrait les termes des instructions sous références BOI 12 C-3-09 du 25 septembre 2009 et BOI REC PREA-10-30 du 12 septembre 2012, relatives à la compensation civile, doivent être écartés comme inopérants.
13. L'instruction BOI-REC-PREA-10-30 en son paragraphe 60 comporte l'indication que la compensation fiscale de recouvrement de l'article L. 257 B du livre des procédures peut intervenir aussi bien avant qu'après l'ouverture de la procédure collective. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que cette instruction subordonnerait la compensation postérieurement au jugement d'ouverture à la réunion des conditions de cette mesure à la date du jugement.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir invoquée par le ministre en défense, que les sociétés requérantes ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande. Par suite, leur requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SELARL Grave Randoux et de la SELAS Bernard et Nicolas Soinne est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SELARL Grave Randoux, à la SELAS Bernard et Nicolas Soinne et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2022, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Lambing, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2022.
Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 20NC03779
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