Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Eurapack France a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des suppléments de retenue à la source de l'article 119 bis du code général des impôts qui lui ont été assignés au titre des années 2013, 2014 et 2015 à raison des revenus regardés comme distribués à son associée unique établie en Allemagne.
Par un jugement n°s 1805724 et 1909173 du 29 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir constaté un non-lieu à statuer à raison de dégrèvements prononcés en cours d'instance, a rejeté le surplus de ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 janvier 2021, et des mémoires enregistrés les 22 septembre et 11 octobre 2021, l'EURL Eurapack France, représentée par Me Kretz, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes ;
2°) de la décharger des impositions et pénalités laissées à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le solde du compte courant d'associé au 1er janvier 2013 est constitué des intérêts dus par la société au cours des années 2002 à 2012 en vertu de conventions de prêts du 29 décembre 2001 et du 11 octobre 2006 ; les pièces produites établissent la dette d'emprunt à l'égard de son associée ainsi que la dette d'intérêts lesquels sont en conséquences bien déductibles des bénéfices imposables, dès lors qu'ils n'excèdent pas le plafond légal ; ces documents sont dès lors de nature à démontrer l'existence de la dette inscrite en compte courant à l'égard de son associée et ces intérêts servis sont bien imposables en Allemagne ;
- il en va exactement de même des intérêts échus au titre des années 2013, 2014 et 2015 ;
- le solde créditeur du compte courant antérieur au 1er janvier 2013 ayant nécessairement été mis à disposition de son associée au plus tard le 31 décembre 2012, il ne peut l'avoir été au cours de l'année 2013 et aucune distribution passible de la retenue à la source ne peut être constatée au titre de cette année ;
- c'est à tort que l'administration a considéré que les bénéfices qu'elle a reconstitués au titre des exercices 2014 et 2015 ont été distribués et appréhendés par son associée alors qu'il résulte nécessairement des déclarations déposées tardivement au titre de ces exercices que ces bénéfices ont été mis en réserve ; il y aurait lieu, subsidiairement, de considérer que les montants distribués s'élèvent à 45 418 euros au titre de l'année 2014 et de 31 584 euros au titre de l'année 2015.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 août 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par l' EURL Eurapack France ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Kretz, représentant l'EURL Eurapack France .
Considérant ce qui suit :
1. L'EURL Eurapack France a pour activité la location de locaux nus à usage professionnel. Son associée unique, Mme B... C..., est résidente fiscale en Allemagne. L'EURL Eurapack France a expressément opté pour l'imposition de ses bénéfices à l'impôt sur les sociétés par lettre du 28 mars 2000. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ayant concerné la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. Par propositions de rectification des 22 décembre 2016 et 20 avril 2017, l'administration a informé la société qu'elle envisageait de taxer d'office ses bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés et de regarder ces bénéfices comme ayant été distribuées entre les mains de son associée unique. Le service a, en conséquence, assujetti ces distributions à la retenue à la source prévue à l'article 119 bis du code général des impôts et au taux prévu par la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959. Les réclamations préalables des 18 février 2018 et 28 juillet 2019 ont été rejetées. L'EURL Eurapack France relève appel du jugement du 29 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir constaté un non-lieu dans la mesure des importants dégrèvements accordés par l'administration en cours d'instance, a rejeté le surplus des conclusions de l'EURL Eurapack France tendant à la décharge de ces impositions.
2. Aux termes de l'article 119 bis du code général des impôts : " 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France ". Aux termes de l'article 187 du même code : " 1. Sous réserve des dispositions du 2, le taux de la retenue à la source prévue à l'article 119 bis est fixé à : (...) 30 % pour tous les autres revenus ".
3. Il résulte de l'instruction que l'EURL Eurapack France a déposé ses déclarations de résultats modèle 2065 de ses bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés plus de trente jours après avoir reçu une mise en demeure de déposer ces documents au titre des années 2013, 2014 et 2015. Par suite, ses bénéfices imposables ont régulièrement été taxés d'office en application des articles L. 66 et L. 68 du livre des procédures fiscales et la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions qui lui ont été assignées lui incombe en vertu des articles L. 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales.
4. Afin de reconstituer les bénéfices imposables de l'année 2013 et en l'absence de toute comptabilité, le service a tenu compte des chiffres déclarés hors délai par la société et a réintégré une somme de 2 608 euros de produits non déclarés, une somme de 1 720 482 euros correspondant au solde créditeur du compte courant d'associé de Mme C... au 1er janvier 2013 regardé comme un passif injustifié, une somme de 48 001 correspondant aux intérêts déduits afférent au compte courant d'associé et enfin la somme de 34 758 euros correspondant aux amortissements déduits mais non comptabilisés. Le service a enfin arrêté le bénéfice fiscal de l'année 2013 en n'admettant l'imputation des déficits reportables de l'exercice 2012 qu'à hauteur de la somme de 25 496 euros au lieu de 115 830 euros après avoir réintégré les intérêts du compte courant d'associé et les amortissements sur immobilisations. Le bénéfice fiscal a ainsi été arrêté à la somme de 1 1780 170 euros. S'agissant des années 2014 et 2015, à défaut de toute comptabilité, le service a suivi la même méthode de reconstitution des bénéfices à partir des éléments déclarés hors délai par la société, en reconstituant les produits de l'exercice à partir des loyers facturés et en réintégrant dans les bénéfices les intérêts des comptes courants d'associés et les amortissements des immobilisations.
5. Les bénéfices ci-dessus taxés d'office ont été substantiellement réduits par l'administration en ce qui concerne l'année 2013 par des décisions de dégrèvements prononcées au cours de l'année 2019. Les bénéfices ainsi laissés à sa charge ont été regardés par l'administration comme ayant été désinvestis et distribués au profit de son associée unique, Mme C..., et soumis à ce titre à la retenue à la source frappant les revenus de capitaux mobiliers servis à des personnes établies hors de France.
Sur le principe des distributions :
6. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". Aux termes de l'article 119 bis du même code : " (...) 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". Aux termes du 2 de l'article 1672 du code général des impôts : " La retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis est versée au Trésor par la personne qui assure le paiement des revenus (...) ".
7. Il n'est pas contesté que la société requérante n'a tenu aucune comptabilité au titre des années litigieuses. Dès lors, les bénéfices ci-dessus taxés d'office n'ont pu être ni mis en réserve, ni incorporés au capital social. En conséquence, c'est à juste titre que ces bénéfices ont été regardés par l'administration comme ayant été distribués au profit de son associée unique, domiciliée fiscalement en Allemagne, et soumis à ce titre à la retenue à la source prévue par les dispositions ci-dessus reproduites. La circonstance que la société requérante a déposé tardivement des déclarations de bénéfices n'est pas de nature à établir, en l'absence de toute comptabilité régulière et probante, que ces bénéfices ainsi déclarés n'auraient pas été désinvestis.
Sur le montant des produits distribués :
8. Il résulte de l'instruction que la société requérante a mentionné dans ses déclarations de bénéfices déposées hors délai une dette à l'égard de son associée unique portée au crédit de son compte courant. La société a également porté en déduction de ses bénéfices les intérêts échus sur ces sommes laissées en compte courant. Le service, estimant que la dette de la société à l'égard de son associée n'était pas justifiée a réintégré, à hauteur en dernier lieu de la somme de 407 069 euros, dans le bénéfice imposable de l'année 2013, le solde créditeur du compte courant d'associé regardé comme un passif injustifié et n'a pas admis en déduction les intérêts de ce compte courant.
9. D'une part, aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. ". Il appartient au contribuable, pour l'application de ces dispositions, de justifier l'inscription d'une dette au passif du bilan de son entreprise. D'autres part, il résulte de ces dispositions des articles 109 et 110 du code général des impôts ci-dessus reproduites au point 5, que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés sont, sauf preuve contraire, à la disposition de cet associé, alors même que l'inscription résulterait d'une erreur comptable involontaire, et ont donc, même dans une telle hypothèse, le caractère de revenus distribués, imposables entre les mains de cet associé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en vertu du 1º du 1 de l'article 109 du code général des impôts. Pour que l'associé échappe à cette imposition, il lui incombe de démontrer, le cas échéant, qu'il n'a pas pu avoir la disposition de ces sommes ou que ces sommes ne correspondent pas à la mise à disposition d'un revenu. Pour l'application de ces dispositions, les sommes mises à disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts, sont présumées distribuées à la date de clôture de l'exercice au terme duquel leur existence a été constatée, sauf si la société, l'associé, l'actionnaire ou le porteur de parts, ou l'administration apportent des éléments de nature à établir que la distribution a été, en fait, opérée à une autre date. Le principe d'annualité de l'impôt sur le revenu ne fait pas obstacle à l'application de la règle énoncée précédemment, dès lors que ni l'administration ni le contribuable, qui est imposé sur la base de fonds sociaux qu'il a appréhendés, ne sont en mesure d'établir qu'il doit être procédé à la répartition de ces sommes en fonction de la date à laquelle le contribuable en a effectivement disposé.
10. Afin de justifier l'existence d'un solde créditeur du compte courant de son associée unique ainsi que des intérêts y afférents, la société requérante produit divers documents traduits de l'allemand constitués de compte-rendus de réunions et d'échanges de lettres faisant état d'un prêt consenti par Mme C... au cours de l'année 2000 à l'EURL Eurapack France d'un montant de 3,9 millions de francs au taux d'intérêt annuel de 7,5 %. Elle produit également un document présenté comme constitutif de ce contrat de prêt, signé par M. et Mme C..., dépourvu de date certaine. La société requérante soutient en outre que Mme C... lui aurait consenti d'autres avances en prenant à sa charge des dépenses lui incombant. Il résulte de l'instruction que l'administration, alors pourtant que la société requérante n'a produit aucune comptabilité, a admis en dernier lieu que le compte courant d'associée présentait un solde créditeur au 1er janvier 2013 de 1 313 413 euros. Par les documents produits, dépourvus de date certaine, et ne justifiant pas les autres avances, la société requérante, en l'absence de comptabilité régulière et probante, ne justifie pas l'existence d'un passif de 407 069 euros demeurant inexpliqué au titre de l'exercice 2013. De la même manière, en l'absence de comptabilité régulière et probante, de pièce justificative ayant date certaine ou encore de procès-verbal de décisions de l'associée unique, elle ne justifie pas du montant des intérêts qui auraient été consentis à son associée unique au titre de ce compte courant, qu'elle a entendu déduire de ses bénéfices. Par suite, l'EURL Eurapack France n'est pas fondée à soutenir que ces sommes demeurant en litige devraient être exclues des bénéfices regardés comme distribués entre les mains de son associée unique.
11. La circonstance que le compte courant de Mme C... présentait déjà un solde créditeur au 1er janvier 2012 n'établit pas que l'intéressée n'aurait pas encore eu la disposition de ces sommes au 1er janvier 2013, date à laquelle cette mise à disposition a été constatée après que le service a réintégré dans le bénéfice imposable ce passif injustifié. Par suite, l'EURL Eurapack France n'est pas fondée à soutenir que la distribution de la somme de 407 069 euros demeurant en litige à ce titre ne pouvait pas être imposée au titre de l'année 2013.
Sur l'application de la convention fiscale franco-allemande :
12. Aux termes de l'article 9 de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 modifiée : " (1). Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un Etat contractant à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. (2). Chacun des Etats contractants conserve le droit de percevoir l'impôt sur les dividendes par voie de retenue à la source, conformément à sa législation. Toutefois, ce prélèvement ne peut excéder 15 % du montant brut des dividendes. (...) (6). Le terme " dividendes " employé dans le présent article désigne les revenus provenant d'actions, actions ou droits de jouissance, parts de mine, parts de fondateur ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances. Nonobstant toute autre disposition de la présente Convention, sont également considérés comme dividendes aux fins des paragraphes (2) à (5) : (...) a) Les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale de l'Etat contractant dont la société distributrice est un résident (...) ". Aux termes de l'article 25 b de la même convention : " (1). Lorsque dans un Etat contractant les dividendes, les intérêts, les redevances ou tout autre revenu, perçus par un résident de l'autre Etat contractant, sont imposés par voie de retenue à la source, les dispositions de la présente Convention n'affectent pas le droit, pour le premier Etat, d'appliquer la retenue au taux prévu par sa législation interne. Cette retenue doit être remboursée, à la demande de l'intéressé, si et dans la mesure où elle est réduite ou supprimée par la Convention. Toutefois, le bénéficiaire peut demander l'application directe, au moment du paiement, des dispositions de la Convention lorsque la législation interne de l'Etat concerné le permet. / (2) Les demandes de remboursement doivent être présentées avant la fin de la quatrième année civile suivant celle au cours de laquelle les dividendes, intérêts, redevances ou autres revenus ont été payés ".
13. Il résulte de ce qui précède que les sommes versées à Mme C... ont été à juste titre regardées comme des dividendes et soumises en conséquence à la retenue à la source de l'article 119 bis du code général des impôts selon les modalités prévues par les stipulations ci-dessus reproduites de la convention fiscale franco-allemande. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les sommes litigieuses constitueraient des intérêts imposables uniquement en Allemagne en vertu de la même convention.
14. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Eurapack France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'EURL Eurapack France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Eurapack France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2022, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Stenger, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2022.
Le rapporteur,
Signé : M. AGNELLe président,
Signé : J. MARTINEZ
La greffière,
Signé : C. SCHRAMM
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. SCHRAMM
N° 21NC00294
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