Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 11 novembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français durant deux ans et l'arrêté du même jour par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a maintenu en rétention administrative.
Par un jugement numéros 2107717 et 2107836 du 1er décembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 décembre 2021, la préfète du Bas-Rhin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé l'arrêté portant obligation de quitter le territoire et interdiction de retour ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.
Elle soutient que :
- l'intéressé ayant déjà présenté deux demandes d'asile pour lesquelles il ne s'est pas présenté aux rendez-vous qui lui avaient été accordés, il en découle que sa demande du 15 novembre 2021 est abusive et ne pouvait faire obstacle à la mesure d'éloignement ; c'est donc à tort que le tribunal administratif a jugé le contraire ;
- les autres moyens de la demande ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant kosovien né le 28 janvier 1998 à Tushila, a été placé en rétention administrative le 11 novembre 2021 à la suite d'une remise par les autorités allemandes. Par un premier arrêté du 11 novembre 2021, la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de deux an. Par un second arrêté du même jour, elle a également placé M. A... en rétention administrative pour une durée de 48 heures. Par une ordonnance du 13 novembre 2021, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg a ordonné la prolongation de la rétention de M. A... pour une durée de 28 jours. Cette ordonnance a été confirmée par la cour d'appel de Colmar le 16 novembre 2021. Parallèlement à cette procédure, le 15 novembre 2021, M. A..., alors placé en rétention administrative, a présenté une demande d'asile. Par un second arrêté du 15 novembre 2021, la préfète du Bas-Rhin a ordonné son maintien en rétention en considérant que sa demande d'asile n'avait été présenté que dans l'unique but de retarder ou de compromettre l'exécution de la mesure d'éloignement dont il faisait l'objet. La préfète du Bas-Rhin relève appel du jugement du 1er décembre 2021 en tant que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté portant obligation de quitter le territoire et interdiction de retour.
Sur le moyen d'annulation retenu par le jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement ". Aux termes de l'article L. 521-7 du même code : " Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'État. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 311-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux c ou d du 2° de l'article L. 542-2. / Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention ". Aux termes de l'article L. 541-2 du même code : " L'attestation délivrée en application de l'article L. 521-7, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile statuent ". Enfin, aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : (...) 2° Lorsque le demandeur : (...) c) présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen ; d) fait l'objet d'une décision définitive d'extradition vers un État autre que son pays d'origine ou d'une décision de remise sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen ou d'une demande de remise par une cour pénale internationale ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'enregistrement de sa demande relève du préfet de département (...) ", et aux termes de l'article R. 521-4 du même code : " Lorsque l'étranger se présente en personne auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire, en vue de demander l'asile, il est orienté vers l'autorité compétente. (...) Ces autorités fournissent à l'étranger les informations utiles en vue de l'enregistrement de sa demande d'asile et dispensent pour cela la formation adéquate à leurs personnels ".
4. Les dispositions précitées ont pour effet d'obliger l'autorité de police à transmettre au préfet, et ce dernier à enregistrer, une demande d'admission au séjour lorsqu'un étranger, à l'occasion de son interpellation, formule une première demande d'asile. Hors les cas concernant l'hypothèse d'un ressortissant étranger formulant sa demande d'asile à la frontière ou en rétention, et hors les cas prévus aux c et d du 2° de l'article L. 542-2 précité, le préfet saisi d'une première demande d'asile est ainsi tenu de délivrer au demandeur l'attestation mentionnée à l'article L. 521-7 précité. Ces dispositions font donc nécessairement obstacle à ce que l'autorité administrative prenne une mesure d'éloignement à l'encontre de l'étranger qui, avant le prononcé d'une telle mesure, a clairement exprimé le souhait de former une demande d'asile devant les services de police lors de son interpellation, même s'il ne s'est pas volontairement présenté devant eux, et sans égard au caractère éventuellement dilatoire d'une telle demande.
5. Il ressort des pièces du dossier que, lors de son audition par les services de la police aux frontières d'Entzheim le 11 novembre 2021, M. A... a expressément déclaré qu'il souhaitait demander l'asile en France, spécifiquement à Mulhouse, ce dont atteste au demeurant la convocation qu'il produit à l'instance pour un rendez-vous auprès de la structure du premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA) de Mulhouse le 10 novembre 2021 à 10h45. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé, afin de déposer une demande d'asile, avait sollicité et obtenu un rendez-vous auprès des services de la préfecture de Beauvais pour le 3 novembre 2021 et un autre rendez-vous auprès des services de la préfecture de Mulhouse pour le 10 novembre 2021. Il est établi que M. A... n'a pas jugé utile d'honorer ces deux rendez-vous. Il résulte des principes du droit d'asile et des dispositions de l'article L. 521-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'étranger qui recherche le bénéfice de la protection internationale doit respecter les exigences des autorités chargées de l'asile et collaborer avec elles dans un esprit de coopération, ce qui n'a pas été le cas en l'occurrence de la part de M. A.... Il ressort également des pièces du dossier que l'intéressé n'a apporté aucune précision utile sur les raisons pour lesquelles il entendait demander l'asile en France. Il ressort enfin des pièces du dossier que la demande de l'intéressé a été enregistrée en procédure accélérée, a donné lieu à un entretien en langue albanaise avec les agents de protection le 22 novembre 2021 et a été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides le 24 novembre 2021. Il résulte de ces éléments que la demande d'asile invoquée par M. A... présente un caractère abusif et n'a d'autre objet que de faire obstacle à toute mesure d'éloignement. Par suite, la préfète du Bas-Rhin est fondée à soutenir que c'est à tort qu'afin l'arrêté ci-dessus visé portant obligation de quitter le territoire et interdiction de retour, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg s'est fondé sur l'existence de la demande d'asile présentée par M. A... le 10 novembre 2021.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet d'évolutif de l'appel de statuer sur les autres moyens invoqués par M. A... à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif.
Sur les autres moyens invoqués par M. A... :
7. L'arrêté litigieux portant obligation de quitter le territoire et interdiction de retour a été signé par M. C..., sous-préfet de Saverne de permanence en vertu d'une délégation de signature du 27 août 2021 publié au recueil des actes administratifs du même jour. Le moyen d'incompétence sera, par suite, écarté.
8. L'arrêté litigieux énonce de manière suffisante et non stéréotypée les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet s'est fondé afin de prendre à l'encontre de M. A... les décisions qu'il comporte.
9. L'arrêté attaqué a été notifié à l'intéressé en main propre et porté à sa connaissance par un interprète en langue albanaise. Le moyen invoqué de ce chef sera en tout état de cause écarté.
10. M. A..., qui a soutenu se trouver sur le territoire depuis deux mois à la date de l'arrêté attaqué, est célibataire et sans attache en France où il ne peut faire état d'aucune intégration. La mesure d'éloignement ne porte par suite aucune atteinte disproportionnée à son droit à la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales.
11. Compte tenu des éléments ci-dessus et de la circonstance que l'intéressé ne présente aucune garantie de représentation, l'administration a pu à bon droit lui refuser tout délai de départ volontaire en application des articles L. 312-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Le requérant ne justifie d'aucune circonstance de nature à démontrer qu'un retour au Kosovo l'exposerait à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen invoqué de ce chef à l'appui des conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destinations sera écarté.
13. M. A... ne justifie d'aucune circonstance humanitaire de nature à faire obstacle à la mesure d'interdiction de retour sur le territoire prise à son encontre sur le fondement de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
14. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 11 novembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français durant deux ans.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Bas-Rhin est fondée à demander l'annulation du jugement du 1er décembre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a annulé l'arrêté ci-dessus analysé.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 1er décembre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il a annulé l'arrêté du 11 novembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français durant deux ans.
Article 2 : La demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif tendant à l'annulation de l'arrêté ci-dessus analysé est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 19 mai 2022, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Lambing, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juin 2022.
Le rapporteur,
Signé : M. AGNELLe président,
Signé : J. MARTINEZ
La greffière,
Signé : C. SCHRAMM
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. SCHRAMM
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N° 21NC03355