La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2022 | FRANCE | N°21NC01651

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 09 juin 2022, 21NC01651


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 4 mai 2021 par lequel le préfet de la Moselle lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2101344 du 12 mai 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juin 2021, le préfet de la Moselle demande à la cour :

1°) d'ann

uler ce jugement du 12 mai 2021 ;

2°) de rejeter la demande de M. C... présentée devant le tribunal adm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 4 mai 2021 par lequel le préfet de la Moselle lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2101344 du 12 mai 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juin 2021, le préfet de la Moselle demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 mai 2021 ;

2°) de rejeter la demande de M. C... présentée devant le tribunal administratif de Nancy ;

Le préfet soutient que :

- c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a estimé que la durée de l'interdiction de retour prise le 4 mai 2021 se cumulait avec la durée de l'interdiction de retour prise le 8 décembre 2020, portant ainsi à trois ans la durée totale de l'interdiction de retour ;

- la décision du 4 mai 2021, prise sur le fondement de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a nécessairement eu pour effet d'abroger implicitement la précédente décision d'interdiction de retour d'une durée d'un an du 8 décembre 2020.

M. C... n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme G... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... C..., ressortissant bosnien né le 24 mars 1980, serait entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 14 décembre 2009. Par un arrêté du 17 septembre 2020, le préfet de la Moselle a pris à son encontre une décision l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de soixante jours et le 8 décembre 2020 une décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. C... avait par ailleurs été condamné à une peine de six mois d'emprisonnement par un jugement du 11 juin 2019 du tribunal correctionnel pour des faits de " violence sans incapacité sur un mineur de quinze ans par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime et rébellion ". A sa levée d'écrou, le préfet de la Moselle a pris à son encontre, le 4 mai 2021, une décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Le préfet de la Moselle relève appel du jugement du 12 mai 2021 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté du 4 mai 2021.

Sur la légalité de l'arrêté du 4 mai 2021 :

2. Aux termes de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ".

3. La magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté préfectoral du 4 mai 2021 pour erreur de droit au motif que la décision du 4 mai 2021 par laquelle le préfet de la Moselle a pris à l'encontre de M. C... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans se cumulait avec la première décision d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an prise à l'encontre de l'intéressé le 8 décembre 2020 par l'autorité préfectorale, portant ainsi à trois ans la durée totale de l'interdiction de retour prise à l'encontre du requérant, en méconnaissance de la durée de deux ans, prescrite par les dispositions précitées de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. Cependant, comme le soutient le préfet de la Moselle dans sa requête d'appel, la décision attaquée du 4 mai 2021 par laquelle il a prononcé à l'encontre de M. C... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, prise sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a nécessairement eu pour effet d'abroger implicitement la précédente décision d'interdiction de retour d'une durée d'un an qu'il avait édictée le 8 décembre 2020 à l'encontre de M. C... dès lors que les deux décisions ont prononcé une mesure d'interdiction différente à compter de l'exécution de la même obligation de quitter le territoire français du 17 septembre 2020. Il s'ensuit que le préfet, qui a pris en compte le déroulement de la procédure pénale suivie à l'encontre de l'intéressé postérieurement à sa décision du 8 décembre 2020, doit être regardé comme ayant entendu substituer une durée d'interdiction de territoire de deux ans à celle d'un an fixée initialement. Par conséquent, c'est à tort que le juge de première instance a considéré que le préfet de la Moselle avait commis l'erreur de droit visée au point précédent.

5. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur les autres moyens invoqués par M. C... :

6. En premier lieu, la décision litigieuse est signée par M. B... H..., chef du bureau de l'éloignement et de l'asile, qui dispose d'une délégation à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme D... A..., directrice de l'immigration et de l'intégration, l'ensemble des actes se rapportant aux matières relevant de la direction de l'immigration et de l'intégration. Par suite le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté litigieux ne peut qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

8. Il ressort de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

9. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

10. En l'espèce, la décision attaquée vise, notamment, les dispositions de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle précise également que le requérant est entré en France en 2009, qu'il a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement en 2020 qu'il n'a pas exécutée et que son comportement représente une menace pour l'ordre public. Il y est aussi indiqué que l'intéressé est divorcé et père de trois enfants et qu'il n'est pas dépourvu de liens familiaux dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée doit être écarté.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". En troisième lieu, aux termes du § 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces dernières stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

12. M. C... fait valoir que son épouse, dont il est divorcé et ses trois enfants résident régulièrement en France et qu'il n'a plus que son père en Bosnie. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, particulièrement du jugement du 11 juin 2019 du tribunal correctionnel de Thionville et de la fiche pénale de l'intéressé datée du 9 décembre 2019, que ce dernier a été condamné à plusieurs reprises pour, notamment, des faits de harcèlement et de violences habituelles sur son ex-épouse et des faits de violence sur l'un de ses enfants. En outre, M. C... ne démontre, par aucune pièce, qu'il est inséré dans la société française. Enfin, le requérant déclare lui-même avoir toujours son père dans son pays d'origine. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés. Pour les mêmes motifs, le préfet de la Moselle n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation du requérant.

13. Comme indiqué aux points précédents, pour fixer à deux ans la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prise à l'encontre de M. C..., le préfet de la Moselle a pris en considération la durée de sa présence sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France ainsi que l'existence d'une précédente mesure d'éloignement prise à son encontre. Il a également mentionné que l'intéressé était défavorablement connu des services de police et que son comportement représente une menace pour l'ordre public pour les raisons indiquées au point 13 du présent arrêt. Par suite, le préfet n'a pas méconnu les dispositions de l'article L.612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prenant à son encontre une mesure d'interdiction de retour en France d'une durée de deux ans ni n'a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 4 mai 2021.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 12 mai 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nancy est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. F... C....

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 19 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Martinez, président,

- M. Agnel, président assesseur,

- Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juin 2022.

La rapporteure,

Signé : L. G... Le président,

Signé : J. MARTINEZ

La greffière,

Signé : C. SCHRAMM

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. SCHRAMM

N°21NC01651 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01651
Date de la décision : 09/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-06-09;21nc01651 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award