La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/01/2022 | FRANCE | N°21NC00136

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 20 janvier 2022, 21NC00136


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2020 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2006541 du 23 novembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la

cour :

Par une requête enregistrée le 14 janvier 2021, M. B... A..., représenté par Me R...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2020 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2006541 du 23 novembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 janvier 2021, M. B... A..., représenté par Me Rudloff demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2006541 du tribunal administratif de Strasbourg du 23 novembre 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté contesté ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation administrative dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne le jugement :

- le tribunal a procédé à une analyse sommaire et lacunaire des éléments du dossier, n'a apporté qu'une réponse partielle aux moyens soulevés devant lui, et n'a pas répondu à son moyen tiré de ce que la préfète n'a pas motivé sa décision d'interdiction de retour sur le territoire français au regard de l'absence de circonstance humanitaire ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- la préfète n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la préfète a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision de refus d'un délai de départ volontaire :

- il justifie de garanties de représentation et n'a pas cherché à se soustraire à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ;

- la préfète a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus d'un délai de départ volontaire ;

- la préfète s'est crue, à tort, compte tenu de l'illégalité de la décision de refus de lui accorder un délai de départ volontaire, en situation de compétence liée ;

- elle a commis une erreur d'appréciation ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle est illégale du fait de l'illégalité des décisions précédentes.

La requête a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin, qui n'a pas présenté d'observations en défense.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 18 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Rees, président, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur la régularité du jugement attaqué :

1. En premier lieu, en se bornant à soutenir que le tribunal n'a répondu que de manière partielle à ses moyens soulevés contre l'obligation de quitter le territoire français, sans indiquer en quoi, pour chacun de ces moyens, la motivation du jugement serait insuffisante, le requérant ne met pas la cour à même d'apprécier le bien-fondé de son moyen.

2. En deuxième lieu, en se bornant à soutenir que le tribunal n'a analysé aucun de ses moyens dirigés contre l'interdiction de retour sur le territoire français, alors que ces moyens sont analysés dans les visas du jugement et qu'il y est répondu dans ses motifs, le requérant ne met pas la cour à même d'apprécier le bien-fondé de son moyen.

3. En troisième lieu, le tribunal, qui a répondu, au point 14 du jugement, au moyen tiré du défaut de motivation de l'interdiction de retour sur le territoire français, et n'était pas tenu de se prononcer expressément sur chacun des arguments développés par le requérant, notamment celui relatif à la prise en compte des circonstances humanitaires propres à sa situation, a régulièrement motivé sa décision.

4. En quatrième lieu, le caractère insuffisant et lacunaire de l'examen des éléments du dossier de première instance par le tribunal, allégué par le requérant, n'est susceptible d'affecter que le bien-fondé du jugement attaqué, et non sa régularité.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète n'a pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A....

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. M. A..., ressortissant algérien né en juillet 1988, est entré en France, selon ses déclarations, en octobre 2016, soit quatre ans avant la décision contestée. La relation dont il se prévaut avec une ressortissante française depuis juin 2019, et leur vie commune depuis septembre 2019, présentent un caractère récent et leur stabilité n'est pas établie. Il ne fait valoir aucune autre attache personnelle ou familiale, ni aucune intégration particulière en France. Il ne peut pas utilement se prévaloir de son état de santé qui, par lui-même, ne constitue pas une attache personnelle ou familiale au sens des stipulations précitées. Au surplus, sa demande d'admission au séjour à ce titre a été précédemment rejetée. Enfin, il ne démontre pas être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de 28 ans, et où résident encore son père, son frère et ses neveux et nièces. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que la préfète a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle l'a obligé à quitter le territoire français.

8. En troisième lieu, pour les mêmes raisons que celles indiquées au point précédent, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la préfète s'est livrée à une appréciation manifestement erronée des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

Sur la légalité du refus de délai de départ volontaire :

9. En premier lieu, aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier que la notification de l'arrêté du 26 avril 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a rejeté la demande d'admission au séjour qu'avait présentée M. A... en raison de son état de santé, et avait obligé l'intéressé à quitter le territoire français, a été retournée aux services de la préfecture avec la mention " destinataire inconnu à l'adresse ". Il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est pas soutenu, que l'adresse à laquelle ce courrier a été envoyé n'était pas celle que M. A... avait déclarée aux services de la préfecture, ni qu'il les aurait informés de son changement d'adresse, comme il lui incombait de le faire. Dans ces conditions, M. A... doit être regardé comme s'étant, au sens du d) du II de l'article L. 511-1, soustrait à une précédente mesure d'éloignement. Par suite, et alors même qu'il justifierait, par ailleurs, de garanties de représentation suffisantes au sens du f) de cet article, il n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée est dépourvue de base légale.

11. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation au regard des dispositions précitées.

Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

12. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

13. En premier lieu, la décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

14. D'une part, il ressort des énonciations de l'arrêté contesté que sa motivation atteste de la prise en compte par la préfète, au vu de la situation du requérant, de l'ensemble des critères prévus par la loi, y compris l'ancienneté de son séjour en France. Compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, la circonstance qu'il ne mentionne pas, en outre, le critère de la menace pour l'ordre public, est sans incidence sur la régularité de cette motivation, dès lors que la préfète n'a pas retenu ce motif. D'autre part, la préfète n'avait pas à se prononcer expressément sur l'absence de circonstances humanitaires de nature à justifier que l'interdiction de retour sur le territoire français ne soit pas prononcée à l'encontre de M. A..., dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas soutenu, que ce dernier aurait fait valoir de telles circonstances avant qu'elle ne prenne sa décision.

15. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision lui refusant un délai de départ volontaire.

16. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète se soit abstenue de s'interroger sur l'existence de circonstances humanitaires de nature à justifier que l'interdiction de retour sur le territoire français ne soit pas prononcée à l'encontre de M. A.... Par ailleurs, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier qu'elle ait commis une erreur d'appréciation en estimant que la situation personnelle de l'intéressé, et en particulier son handicap, ne permettait pas de caractériser une circonstance de cette nature.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

17. Compte tenu de ce qui tout ce qui vient d'être dit, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité des autres décisions figurant dans l'arrêté contesté ne peut qu'être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A..., ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

N° 21NC00136 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21NC00136
Date de la décision : 20/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REES
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : RUDLOFF

Origine de la décision
Date de l'import : 25/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-01-20;21nc00136 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award