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21/12/2021 | FRANCE | N°20NC03786

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 21 décembre 2021, 20NC03786


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... I... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 13 août 2018 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a refusé le regroupement familial sur place au bénéfice de son époux, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui accorder le bénéfice du regroupement familial sur place et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi d

u 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 1901368 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... I... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 13 août 2018 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a refusé le regroupement familial sur place au bénéfice de son époux, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui accorder le bénéfice du regroupement familial sur place et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Par un jugement n° 1901368 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 20NC03786 le 24 décembre 2020, Mme F..., représentée par Me Levi-Cyferman, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 2 juillet 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 13 août 2018 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a refusé le regroupement familial sur place au bénéfice de son époux ;

3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui accorder le bénéfice du regroupement familial sur place ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet l991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas exposé les raisons pour lesquelles il a écarté la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision du préfet est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît 1'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 15 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendu au cour de l'audience publique :

- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,

- et les observations de Me Cyferman, pour Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F..., née I..., ressortissante nigériane, entrée en France le 25 novembre 2013, s'est vu délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de mère d'un enfant français, né le 5 février 2014. Le 23 juin 2018, elle a épousé à Vandœuvre-lès-Nancy M. E..., de nationalité nigériane, entré en France, selon ses déclarations, le 27 juin 2014. Le 6 juillet 2018, elle a sollicité du préfet de Meurthe-et-Moselle le regroupement familial sur place au bénéfice de son époux. Par une décision du 13 août 2018, le préfet a rejeté sa demande. Mme F... relève appel du jugement du 2 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal a omis d'examiner le moyen soulevé devant lui par Mme F... et qui n'était pas inopérant, tiré de ce que le rejet de sa demande de regroupement familial sur place au profit de son époux méconnaissait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Ainsi, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité. Mme F... est par suite fondée à en demander l'annulation.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme F... devant le Tribunal administratif de Nancy.

Sur la légalité de la décision du 13 août 2018 :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. En premier lieu, la décision du 13 août 2018, est signée de Mme D... G..., chef du service immigration et intégration, à qui le préfet de Meurthe-et-Moselle, par un arrêté du 29 décembre 2017, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, a délégué sa signature, en cas d'absence ou d'empêchement de M. H... C..., directeur de la citoyenneté et de l'action locale, à l'effet de signer notamment toutes décisions défavorables relevant de la compétence du service immigration et intégration. Il n'est pas établi, ni même allégué que M. C... n'aurait pas été absent ou empêché. Ainsi, le moyen tiré de 1'incompétence de la signataire de la décision attaquée doit être écarté comme manquant en fait.

5. En second lieu, la décision litigieuse énonce en termes suffisamment précis les considérations de droit, mais également de fait sur lesquelles elle est fondée. Elle satisfait dès lors à l'obligation de motivation.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans ". Aux termes de l'article L. 411-6 dudit code : " Peut être exclu du regroupement familial : / (...) / 3° Un membre de la famille résidant en France ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises notamment, comme en l'espèce, en cas de présence anticipée sur le territoire français du membre de la famille bénéficiaire de la demande. Le préfet dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il serait porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale ou qu'un refus méconnaitrait l'intérêt supérieur de l'enfant au profit duquel l'autorisation de regroupement familial est demandée.

7. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme F..., née I..., est entrée irrégulièrement en France en novembre 2013, en compagnie de sa fille, née en Italie en 2012 de sa relation avec un compatriote, M. F.... Le 5 février 2014, elle a donné naissance en France à un deuxième enfant, alors reconnu par un ressortissant français. Le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a délivré en conséquence une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " en qualité d'enfant français. Le 10 octobre 2016, un troisième enfant est né de la relation de la requérante avec M. F..., entré irrégulièrement en France à la date alléguée du 27 juin 2014, avec lequel elle s'est mariée le 23 juin 2018 à Vandœuvre-lès-Nancy. Eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment aux conditions irrégulières de l'entrée et du séjour en France de M. F..., à l'âge des enfants du couple, à la durée et aux conditions au demeurant non précisées de la vie de la famille en France ainsi qu'à la possibilité ouverte à la requérante de former une nouvelle demande de regroupement familial au bénéfice de son époux après un retour de celui-ci dans son pays d'origine, la décision du préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante et des membres de sa famille, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise et n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle des intéressés.

9. En second lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

10. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 8, compte tenu notamment de l'âge des enfants et A... la durée de présence en France de l'époux de Mme F... à la date de la décision attaquée ainsi que de la possibilité alors offerte à la requérante de solliciter le regroupement familial au profit de son époux à la suite du retour provisoire de celui-ci dans son pays d'origine, la décision contestée du préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas été prise en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Au surplus, si la situation actuelle de la famille de Mme F... et les conséquences d'un retour, même provisoire, de son époux dans son pays d'origine, pourraient, le cas échéant, justifier qu'il soit fait droit à une éventuelle nouvelle demande de regroupement familial sur place, elles sont en revanche sans influence sur la légalité de la décision contestée, qui s'apprécie à la date d'édiction de cette décision.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme F....

Sur les frais liés à l'instance :

13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme F... au titre de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 2 juillet 2020 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme F... devant le tribunal administratif de Nancy, ainsi que le surplus des conclusions de sa requête d'appel, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... I... épouse E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

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N° 20NC03786


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03786
Date de la décision : 21/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REES
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : ANNIE LEVI-CYFERMAN - LAURENT CYFERMAN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-12-21;20nc03786 ?
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