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21/12/2021 | FRANCE | N°20NC03060

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 21 décembre 2021, 20NC03060


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... ont respectivement demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 20 juillet 2020 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a refusé de renouveler leur attestation de demande d'asile, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être reconduits d'office à l'expiration de ce délai.

Par deux jugements n° 2004789 et 2004788 du 24 septembre 2020, le tribunal administratif

de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

I- Par une req...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... ont respectivement demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 20 juillet 2020 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a refusé de renouveler leur attestation de demande d'asile, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être reconduits d'office à l'expiration de ce délai.

Par deux jugements n° 2004789 et 2004788 du 24 septembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

I- Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2020, sous le n° 20NC03060, Mme A... C..., représentée par Me Kilinç, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2004789 du tribunal administratif de Strasbourg du 24 septembre 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté contesté ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours suivant la notification du présent arrêt ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son avocat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il méconnaît les stipulations du § 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, la Syrie, viole les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de défense.

II- Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2020, sous le n° 20NC03062, M. B... C..., représenté par Me Kilinç, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2004788 du tribunal administratif de Strasbourg du 24 septembre 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté contesté ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours suivant la notification du présent arrêt ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son avocat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il méconnaît les stipulations du § 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, la Syrie, viole les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de défense.

M. et Mme C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 24 novembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience

Le rapport de Mme Stenger, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme C..., ressortissants syriens, nés respectivement le 2 février 1987 et le 10 mai 1994, ont déclaré être entrés en France le 13 juin 2016, accompagnés de leurs trois enfants. Le 16 février 2017, ils ont déposé une demande d'asile, puis se sont désistés de leur demande respective par un courrier du 12 avril 2017. Les requérants ont sollicité le réexamen de leur demande d'asile, mais l'office français de protection des réfugiés et apatrides leur a opposé à chacun une décision d'irrecevabilité le 12 janvier 2018 qui a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 5 février 2019. Par deux arrêtés du 20 juillet 2020, la préfète du Bas-Rhin a refusé de renouveler leur attestation de demande d'asile, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils sont susceptibles d'être éloignés. Par deux requêtes distinctes qu'il y a lieu de joindre, M. et Mme C... relèvent appel des deux jugements susvisés du 24 septembre 2020 par lesquels le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la légalité des arrêtés du 20 juillet 2020 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Les requérants font valoir qu'ils se sont installés depuis leur arrivée en France le 13 juin 2016, qu'ils y ont scolarisé leurs enfants et que leur quatrième enfant y est né. Ils affirment ainsi que leurs enfants présentent des liens familiaux, sociaux et culturels intenses avec la France dès lors que leur fils aîné y a passé la moitié de sa vie et que deux de leurs quatre enfants n'ont jamais vécu en Syrie. Ils justifient en outre que le père de M. C... et les frère et sœur de Mme C... résident régulièrement sur le territoire français et soutiennent qu'ils n'ont plus de famille en Syrie. Toutefois, ces éléments ne sont pas suffisants pour établir que les requérants sont dépourvus d'attaches familiales dans leur pays d'origine où ils ont vécu respectivement jusqu'à l'âge de 29 et 22 ans. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que la cellule familiale des requérants ne pourrait perdurer qu'en France. Les circonstances que l'un de leurs enfants est né en France et que leurs autres enfants y sont scolarisés ne sauraient suffire à leur ouvrir un droit au séjour à ces seuls titres. Ainsi, compte tenu des conditions et de la durée de leur séjour en France, les requérants n'établissent pas avoir transféré en France le centre de leurs intérêts personnels et familiaux. Par suite, les décisions contestées n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elles ont été prises. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté. Pour ces mêmes motifs, le moyen tiré de ce que les arrêtés litigieux sont entachés d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle des requérants doit également être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

5. Les décisions en litige n'ont ni pour objet ni pour effet de séparer les quatre enfants de leurs parents, alors qu'ils ont vocation à rester avec ces derniers avec lesquels ils sont arrivés en France en 2016. La seule circonstance que les enfants des requérants soient scolarisés depuis leur arrivée en France ne saurait entacher la légalité des arrêtés contestés, alors qu'il n'est pas établi qu'ils ne seraient pas en mesure de poursuivre leur scolarité en Syrie. Par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.

6. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains et dégradants ".

7. La Cour européenne des droits de l'homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (23 août 2016, J.K et autres c/ Suède, n° 59166/1228). Selon cette même cour, l'appréciation d'un risque réel de traitement contraire à l'article 3 précité doit se concentrer sur les conséquences prévisibles de l'éloignement du requérant vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres à l'intéressé (30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, paragraphe 108, série A n° 215). A cet égard, et s'il y a lieu, il faut rechercher s'il existe une situation générale de violence dans le pays de destination ou dans certaines régions de ce pays si l'intéressé en est originaire ou s'il doit être éloigné spécifiquement à destination de l'une d'entre elles. Cependant, toute situation générale de violence n'engendre pas un risque réel de traitement contraire à l'article 3, la Cour européenne des droits de l'homme ayant précisé qu'une situation générale de violence serait d'une intensité suffisante pour créer un tel risque uniquement " dans les cas les plus extrêmes " où l'intéressé encourt un risque réel de mauvais traitements du seul fait qu'un éventuel retour l'exposerait à une telle violence.

8. Si M. et Mme C... soutiennent qu'ils encourent des risques pour leur sécurité physique et psychique en cas de retour en Syrie en raison de l'intensité du conflit armé qui y sévit, ils n'apportent toutefois à l'appui de leurs affirmations aucun élément de nature à établir, à la date de la décision contestée, la réalité des risques de tortures ou traitements inhumains et dégradants auxquels ils seraient personnellement exposés en cas de retour dans leur pays d'origine, alors qu'il est par ailleurs constant qu'ils se sont, chacun, désistés de leur première demande d'asile. La circonstance que des affrontements violents aient lieu dans le pays n'est pas de nature à caractériser une situation de violence généralisée telle qu'un ressortissant du pays devrait de ce seul fait être regardé comme personnellement soumis à des risques de traitement contraires aux stipulations de l'article 3 précitée de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, en fixant la Syrie comme pays à destination duquel M. et Mme C... sont susceptibles d'être reconduits d'office, la préfète du Bas-Rhin n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni n'a entaché ses arrêtés d'une erreur manifeste d'appréciation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. et Mme C..., ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction et d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1 : Les requêtes de M. et Mme C... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

N° 20NC03060-20NC03062 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03060
Date de la décision : 21/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. REES
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : KILINC UMIT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-12-21;20nc03060 ?
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