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14/10/2021 | FRANCE | N°19NC00021

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 14 octobre 2021, 19NC00021


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 9 septembre 2016 par laquelle le directeur services-courrier-colis de Lorraine de la société La Poste a rejeté sa demande de reconnaissance de l'imputabilité de sa maladie au service et la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique présenté le 2 décembre 2016 à l'encontre de la décision du 9 septembre 2016.

Par un jugement n° 1700987 du 6 novembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a annulé l

a décision du 9 septembre 2016 ainsi que la décision implicite rejetant le recours ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 9 septembre 2016 par laquelle le directeur services-courrier-colis de Lorraine de la société La Poste a rejeté sa demande de reconnaissance de l'imputabilité de sa maladie au service et la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique présenté le 2 décembre 2016 à l'encontre de la décision du 9 septembre 2016.

Par un jugement n° 1700987 du 6 novembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du 9 septembre 2016 ainsi que la décision implicite rejetant le recours hiérarchique de Mme A... du 2 décembre 2016 et a enjoint à la société La Poste de placer Mme A... en congé de longue maladie imputable au service, au titre de la période du 27 mars 2012 au 26 mars 2015, avec les avantages et droits qui y sont attachés, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 octobre 2019 et 28 mai 2020, la société anonyme La Poste, représentée par Me Bellanger, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 novembre 2018 ;

2°) de rejeter la demande de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- le jugement est entaché d'un défaut de motivation ;

Sur la légalité des décisions attaquées :

- la restructuration des services en 2012 ne peut constituer un accident de service à l'origine de l'affection de Mme A... ; la maladie de cette dernière n'est pas en lien avec un fait précis de service ;

- la charge de la preuve de l'imputabilité au service pèse sur Mme A... ;

- il n'est pas établi de lien suffisamment direct entre la pathologie de Mme A... et un fait de service ; le seul ressenti de l'agent ne suffit pas à fonder une décision d'imputabilité.

Par des mémoires, enregistrés les 7 juin 2019 et 17 août 2021, Mme B... A..., représentée par Me Bineteau, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société La Poste une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société La Poste ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n°90-568 du 2 juillet 1990 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lambing,

- les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Cortes, représentant la société La Poste et Mme A..., non représentée.

Une note en délibéré, enregistrée au greffe le 3 octobre 2021, a été présentée pour la société La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. Fonctionnaire depuis le 4 octobre 1984 au sein de la société La Poste, au grade de contrôleur, Mme A... a été promue, à la suite de la réussite d'un concours interne, au grade de cadre supérieur à compter de 2007. De 2008 à 2016, elle a exercé les fonctions de chargée d'études gestion au sein de la direction optimisation du traitement du courrier (DOTC) de Lorraine. Du 27 mars 2012 au 26 mars 2015, Mme A... a été placée en congé de longue maladie. Le 22 mars 2016, Mme A... a demandé que la maladie à l'origine de son congé de longue maladie soit reconnue imputable au service. Par décision du 9 septembre 2016, le directeur services-courrier-colis de Lorraine de la société La Poste a rejeté la demande d'imputabilité au service. Par courrier du 2 décembre 2016, Mme A... a saisi la directrice-exécutive courrier Nord-Est d'un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision, qui a été implicitement rejeté. La société La Poste relève appel du jugement du 6 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé ces décisions et a enjoint à la société La Poste de placer Mme A... en congé de longue maladie imputable au service, au titre de la période du 27 mars 2012 au 26 mars 2015, avec les avantages et droits qui y sont attachés, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Il résulte de la lecture du jugement attaqué que les premiers juges ont clairement et précisément indiqué les considérations de droit et de fait sur lesquelles ils s'étaient fondés pour considérer que la maladie de Mme A... présente, en l'état des pièces du dossier, un lien suffisamment direct avec le service au regard des restructurations au sein de son entreprise depuis 2012. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de ce jugement ne peut qu'être écarté.

Sur les conclusions à fin d'annulation pour excès de pouvoir :

4. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 applicable aux personnels de la société La Poste en vertu de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...)2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...). Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident / 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. L'intéressé conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Les dispositions du deuxième alinéa du 2° du présent article sont applicables au congé de longue maladie (...) ".

5. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., qui était affectée depuis le 1er janvier 2008 au service ressources humaines de la direction optimisation du traitement courrier (DOTC) de Lorraine, en qualité de chargée d'études gestion, a été en arrêt maladie à partir du 27 mars 2012, puis placée en congé de longue maladie à compter de cette date jusqu'au 26 mars 2015. Elle a repris le travail sur un poste aménagé qui a été supprimé quelques mois plus tard. La commission de réforme, par une décision du 9 septembre 2016, a rejeté la demande d'imputabilité au motif notamment que le poste de Mme A... n'a pas été affecté par les réorganisations et que les annonces officielles de ces changements le 2 mai 2012 sont postérieures à l'arrêt de maladie de cette dernière. Toutefois, les certificats médicaux produits, notamment ceux du psychiatre qui a régulièrement suivi l'état de santé de l'intéressée entre 2013 et 2015 lors de ses demandes de prolongation de son congé de longue maladie, relèvent un état dépressif caractérisé en relation avec des difficultés professionnelles dans un " contexte d'allure névrotique sans antécédent " " malgré ses qualités intellectuelles et sa facilité d'adaptation ". Le rapport d'expertise du 4 mai 2016, établi dans le cadre de la demande d'imputabilité de sa maladie au service, qui conclut à l'absence d'imputabilité au service du congé de longue maladie, estime que " les troubles étaient également en lien avec des difficultés d'adaptation inhérentes à l'organisation de sa personnalité ". Cependant, l'expert indique également dans ses conclusions que les troubles anxio-dépressifs de Mme A... entre 2012 et 2015 sont réactionnels aux " restructurations au sein de son entreprise dont elle a fait les frais " et que " son parcours professionnel a été chaotique et anxiogène ". Par ailleurs, la Poste se prévaut d'un compte-rendu d'une réunion relative à une première information générale au personnel du 2 mai 2012 au cours de laquelle la restructuration des établissements est présentée de manière précise avec un calendrier. Toutefois, il n'en demeure pas moins que les tracts des organisations syndicales produits en première instance par Mme A... évoquent une réunion bilatérale avec la direction sur le projet " décentralisation " dès le 29 février 2012, où ont été évoqués la réduction du nombre d'établissements et le devenir des services support, dont relève l'intéressée. Le manque d'information y est par ailleurs déploré. Contrairement à ce que soutient la société La Poste, les organisations syndicales ont ainsi eu connaissance de premiers éléments s'agissant du projet de réorganisation dont ils ont fait part aux agents avant l'arrêt pour maladie de Mme A... le 27 mars 2012. En outre, Mme A... a produit une fiche de méthodologie établie par La Poste le 12 mai 2012 issue du rapport de la commission du grand dialogue de La Poste publié en septembre 2012. Ce rapport est la synthèse de réunions d'écoute organisées auprès des salariés de La Poste qui se sont déroulées d'avril à juin 2012. Il en ressort que la modification significative des organisations de façon continue " a été indéniablement une source de déstabilisation importante dans les équipes : perte de repères, délai insuffisant entre deux réorganisations ". Il est également relevé un malaise résultant du manque de vision de la finalité des transformations qui est consécutif à la grande mouvance de l'entreprise. Si les entretiens avec les personnels se sont déroulés postérieurement à l'arrêt maladie de Mme A..., les propos recueillis se rapportent nécessairement pour partie à une période antérieure. Dans ces conditions, eu égard aux incertitudes pesant sur la réorganisation et à l'impact éventuel sur les services support ainsi que l'ampleur de cette décentralisation des services, il existait un contexte professionnel pathogène qui est directement à l'origine de l'anxiété de Mme A....

7. Par ailleurs, il est constant que Mme A... a été régulièrement confrontée à des réorganisations et à des suppressions de poste en 1995, 1998 et 2007 qui l'ont contrainte à apprendre un nouveau métier à chaque nouvelle affectation. Il est également établi par les comptes rendus d'évaluation professionnelle de Mme A..., notamment ceux relatifs aux années 1993, 1999 et 2010, que cette dernière a toujours fait preuve d'une grande capacité d'adaptation tout au long de sa carrière en exerçant de nouvelles fonctions. Si le rapport d'expertise du 4 mai 2016 évoque une " position victimaire de nature névrotique " de Mme A... et " des difficultés d'adaptation inhérentes à l'organisation de sa personnalité ", cet état constaté quatre ans après le début de son arrêt maladie apparaît, au regard des pièces du dossier, consécutif aux incertitudes des conséquences de la réorganisation sur le poste de Mme A.... L'expert relève d'ailleurs dans les propos de l'intéressée, relatant son état d'esprit en 2012, la " peur d'être nommée n'importe où, d'être encore débutante " à cinquante ans. Dans ces circonstances, eu égard notamment au déroulé de la carrière de Mme A... et à l'absence de toute information de la part de la direction avant le 2 mai 2012 dans un contexte d'incertitude, la perception de l'intéressée de son devenir professionnel ne saurait être regardée comme une circonstance particulière qui détacherait du service la survenance de la maladie. Par suite, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état dépressif de Mme A... résulterait d'une cause étrangère au service, cet état doit être regardé comme directement en lien avec l'exercice des fonctions.

8. Il résulte de tout ce qui précède, que la société La Poste n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du 9 septembre 2016 et la décision implicite rejetant le recours hiérarchique de Mme A... du 2 décembre 2016 et a enjoint à la société La Poste de placer Mme A... en congé de longue maladie imputable au service, au titre de la période du 27 mars 2012 au 26 mars 2015, avec les avantages et droits qui y sont attachés.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

9. Il n'y a pas lieu, de mettre à la charge de Mme A... le versement des sommes demandée par la société la société La Poste en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société la société La Poste le versement d'une somme de 1 500 euros en application de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société La Poste est rejetée.

Article 2 : la société La Poste versera la somme de 1 500 euros à Mme A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme La Poste et à Mme B... A....

2

N° 19NC00021


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00021
Date de la décision : 14/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-05-04-01 Fonctionnaires et agents publics. - Positions. - Congés. - Congés de maladie.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Stéphanie LAMBING
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : SCP HERALD

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-10-14;19nc00021 ?
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