Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Besançon de prononcer, en droits et pénalités, la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu établies au titre des années 2012, 2013 et 2014.
Par un jugement rendu sous le numéro 1800429 du 28 janvier 2020, le tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 mars 2020, Mme B..., représentée par Me Sirat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) principalement, de prononcer la décharge des impositions et des pénalités contestées ;
3°) subsidiairement, d'enjoindre à l'administration fiscale de mettre en œuvre la procédure amiable prévue par l'article 27 de la convention fiscale franco-suisse ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que l'administration et le jugement ont estimé que l'article 25 de la convention fiscale franco-suisse ne lui était pas applicable au motif qu'elle relèverait du régime prétendument dérogatoire des travailleurs transfrontaliers alors que ce régime est prévu par l'article 17 § 4 de la convention et de l'accord du 11 avril 1983 et que ne pouvant en bénéficier en l'absence de l'attestation de résidence, elle relevait de plein droit du régime de l'article 25 lui ouvrant droit au crédit d'impôt prévu au a) du 1 du A de cet article à raison des impositions dont elle s'est acquittée en Suisse, cet Etat ayant retrouvé son droit d'imposer ses salaires conformément au 1 de l'article 17 de la convention ;
- ayant saisi l'administration d'une demande de mise en œuvre de la procédure amiable et cette dernière ne s'étant pas exécutée, il y a lieu de lui enjoindre de le faire.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 janvier 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 ;
- l'accord du 11 avril 1983 conclu entre le gouvernement de la république française et le Conseil fédéral suisse relatif à l'imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers, complété par l'échange de lettres des 5 et 12 juillet 2007 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., résidente française, exerce une activité salariée au sein d'une entreprise située en Suisse dans le canton de Vaud. Après avoir déposé tardivement en 2015 ses déclarations de revenus au titre des années 2012, 2013 et 2014, elle a été soumise sur le montant de ses salaires à des cotisations d'impôt sur le revenu assorties de pénalités pour dépôt tardif de ses déclarations. Par trois réclamations du 26 décembre 2017 adressées à l'administration fiscale française, Mme B... a sollicité le bénéfice du crédit d'impôt prévu par les stipulations de l'article 25 de la convention fiscale franco-suisse et a demandé subsidiairement que soit mise en œuvre la procédure amiable prévue à l'article 27 de cette convention. Par une décision du 17 janvier 2018, l'administration a rejeté tant la demande en décharge que la demande de mise en œuvre la procédure amiable. Mme B... relève appel du jugement du 28 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande présentée formellement comme tendant à la décharge de ces impositions.
2. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
3. Aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française ". Aux termes de l'article 4 B du même code : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal [...] ". Il est constant que Mme B... est résidente en France au sens des dispositions ci-dessus reproduites du code général des impôts et se trouvait passible de l'impôt sur le revenu à raison des salaires perçus en rémunération de son emploi occupé au sein d'une entreprise située en Suisse dans le canton de Vaud au titre des années litigieuses 2012, 2013 et 2014.
4. Mais, aux termes de l'article 17 de la convention ci-dessus visée du 9 septembre 1966 : " 1. (...) les salaires (...) qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat (...) 4. Les dispositions de l'accord du 11 avril 1983 relatif à l'imposition des travailleurs frontaliers, qui font partie intégrante de la présente convention s'appliquent nonobstant les dispositions précédentes du présent article ". Aux termes de l'article 1er de l'accord du 11 avril 1983 ci-dessus visé applicable notamment aux travailleurs frontaliers, résidents en France, qui travaillent en Suisse dans certains cantons, dont celui de Vaud : " les salaires, traitements et autres rémunérations similaires reçus par les travailleurs frontaliers ne sont imposables que dans l'Etat où ils sont résidents, moyennant une compensation financière au profit de l'autre Etat ". En vertu de l'article 3 du même accord est considérée comme travailleur frontalier " toute personne résidente d'un Etat qui exerce une activité salariée dans l'autre Etat chez un employeur établi dans cet autre Etat et qui retourne, en règle générale, chaque jour dans l'Etat dont elle est le résident ". Aux termes de l'article 25 de la convention du 9 septembre 1966 : " Il est entendu que la double imposition sera évitée de la manière suivante : A. En ce qui concerne la France : 1. Nonobstant toute autre disposition de la présente convention, les revenus qui sont imposables ou ne sont imposables qu'en Suisse conformément aux dispositions de la convention, et qui constituent des revenus imposables d'un résident de France, sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsqu'ils ne sont pas exemptés de l'impôt sur les sociétés en application de la législation interne française. Dans ce cas, l'impôt suisse n'est pas déductible de ces revenus, mais le résident de France a droit, sous réserve des conditions et limites prévues aux a et b, à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français. Ce crédit d'impôt est égal : a) Pour les revenus non mentionnés au paragraphe 1, b, au montant de l'impôt français correspondant à ces revenus à condition que le résident de France soit soumis à l'impôt suisse à raison de ces revenus ". Par lettres des 5 et 12 juillet 2007, les autorités compétentes française et suisse ont convenu, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 31 de la convention ci-dessus visée, de nouvelles modalités d'application de l'accord du 11 avril 1983. A partir du 1er janvier 2008, pour bénéficier de l'exonération de retenue à la source sur leur salaire, les salariés qui remplissent les conditions prévues par le régime frontalier mis en place par l'accord doivent remettre à leur employeur établi dans l'autre Etat, au plus tard le 1er janvier de l'année au titre de laquelle l'application du régime spécifique des travailleurs frontaliers est demandée, une attestation de résidence visée par l'administration fiscale de leur Etat de résidence. A défaut de production de cette attestation, l'employeur est tenu de prélever la retenue à la source, conformément aux dispositions légales en vigueur. Aux termes de l'article 31 de la convention du 9 septembre 1966 " 1. Les autorités compétentes des Etats contractants déterminent les modalités d'application de la présente convention. Elles s'entendront en particulier sur la procédure de dégrèvement prévue aux articles 11 à 14. / 2. Pour obtenir dans un Etat contractant les avantages prévus par la présente convention, les résidents de l'autre Etat contractant doivent, à moins que les autorités compétentes en disposent autrement, présenter un formulaire d'attestation de résidence indiquant en particulier la nature ainsi que le montant ou la valeur des revenus ou de la fortune concernée, et comportant la certification des services fiscaux de cet autre Etat ". Enfin, l'article 27 de la même convention prévoit la faculté pour le contribuable concerné de demander la mise en œuvre d'une procédure de règlement amiable destinée notamment à éviter la double imposition dans les cas non prévus par la convention.
5. Il n'est pas contesté que Mme B... exerce sa profession salariée dans le canton de Vaud dans des conditions de trajet répondant à la définition des travailleurs transfrontaliers au sens de l'accord du 11 avril 1983. Il résulte des stipulations du § 4 de l'article 17 de la convention et de l'accord de 1983 que dans un tel cas, l'imposition à l'impôt sur le revenu des salaires perçus est attribuée à la France. Il résulte toutefois de l'instruction que Mme B... n'a pas remis à son employeur au titre des années litigieuses l'attestation de résidence prévue par l'échange de lettres des 5 et 12 juillet 2007 et a en conséquence été soumise en Suisse à l'impôt sur le revenu sur les salaires perçus dont les cotisations ont été retenues à la source par son employeur. Mme B... doit être regardée comme soutenant qu'en l'absence de remise des attestations, ses salaires étaient imposables en Suisse en vertu du § 1 de l'article 17 de la convention, excluant son imposition en France, et qu'à tout le moins elle doit bénéficier du crédit d'impôt prévu par les stipulations de l'article 25 de la convention fiscale franco-suisse.
6. Le présent litige pose les questions de savoir si la remise de l'attestation de résidence prévue par l'échange de lettres des 5 et 12 juillet 2007 constitue une condition de fond de l'application du régime des travailleurs frontaliers prévu par le § 4 de l'article 17 de la convention et par l'accord du 11 avril 1983, rendant les salaires imposables en France, et si l'absence de remise de ces attestations par le salarié fait obstacle à son imposition par la France et a pour effet de rendre ses salaires imposables en Suisse.
7. Aux termes de l'article L. 113-1 du code de justice administrative : " Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai ".
8. Les questions de droit analysées au point 6 ci-dessus sont nouvelles et présentent une difficulté sérieuse susceptible de se poser dans de nombreux litiges. Par suite, il y a lieu pour la cour de surseoir à statuer sur les conclusions des parties et de transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat afin de recueillir son avis en application des dispositions ci-dessus reproduites de l'article L. 113-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le dossier de la requête ci-dessus visée de Mme B... est transmis au Conseil d'Etat pour examen de la question de droit suivante :
" Dans le cas d'un salarié revendiquant la qualité de travailleur frontalier, laquelle est déterminée par les critères fixés à l'article 3 de l'accord particulier du 11 avril 1983, la remise à l'employeur suisse d'une attestation de résidence fiscale visée par l'administration française est une formalité nécessaire pour bénéficier de l'exonération de la retenue à la source suisse prélevée sur ses salaires de sorte qu'à défaut de cette attestation, l'employeur suisse est tenu d'opérer ce prélèvement à la source. Le non-respect par le contribuable de cette formalité conduit-elle ainsi à transférer le pouvoir d'imposition aux autorités suisses sur le fondement du § 1 de l'article 17 de la convention fiscale franco-suisse faisant ainsi obstacle à l'imposition des salaires en France '
Ou s'agit-il au contraire d'une circonstance sans incidence sur l'application du régime spécifique des travailleurs frontaliers prévu par le § 4 de l'article 17 de la convention fiscale franco-suisse et par l'accord du 11 avril 1983, et notamment sur l'application du principe selon lequel les salaires perçus par ces travailleurs salariés ne sont imposables que dans l'Etat de résidence ' ".
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête ci-dessus visée jusqu'à l'avis du Conseil d'Etat.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, à Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
N° 20NC00819
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