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11/05/2021 | FRANCE | N°19NC03712

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 11 mai 2021, 19NC03712


Vu la procédure suivante :

La Fédération des entreprises de boulangerie a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision par laquelle le préfet de la Haute-Marne a implicitement rejeté sa demande, reçue le 13 juillet 2018, tendant à l'abrogation de l'arrêté du préfet du 31 janvier 1986 par lequel il a ordonné, dans ce département, la fermeture au public, le lundi, des établissements, parties d'établissements et leurs dépendances à poste fixe ou en ambulant, vendant au détail des produits de boulangerie.

Par un jugement no 18022

46 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a reje...

Vu la procédure suivante :

La Fédération des entreprises de boulangerie a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision par laquelle le préfet de la Haute-Marne a implicitement rejeté sa demande, reçue le 13 juillet 2018, tendant à l'abrogation de l'arrêté du préfet du 31 janvier 1986 par lequel il a ordonné, dans ce département, la fermeture au public, le lundi, des établissements, parties d'établissements et leurs dépendances à poste fixe ou en ambulant, vendant au détail des produits de boulangerie.

Par un jugement no 1802246 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 décembre 2019, le 30 octobre 2020 et le 24 mars 2021, la Fédération des entreprises de boulangerie, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 novembre 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 15 octobre 2018 par laquelle le préfet de la Haute-Marne a rejeté sa demande, reçue le 13 juillet 2018, tendant à l'abrogation de son arrêté du 31 janvier 1986 ordonnant, dans ce département, la fermeture au public, le lundi, des établissements, parties d'établissements et leurs dépendances à poste fixe ou en ambulant, vendant au détail des produits de boulangerie.

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Marne d'abroger l'arrêté du 31 janvier 1986 dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'abrogation de l'arrêté préfectoral du 31 janvier 1986 ;

- elle est fondée à solliciter l'abrogation de l'arrêté du 31 janvier 1986 en application de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration et de l'alinéa 1er de l'article L. 3132-29 du code du travail dès lors qu'un changement de circonstances de faits est établi, en particulier la disparition ou l'absence de majorité indiscutable ;

- l'arrêté du 31 janvier 1986 est illégal en ce qu'il prévoit en son article 3 une différence de traitement qui n'est pas justifiée ; compte tenu du caractère indivisible de l'ensemble des dispositions de l'arrêté préfectoral, celui-ci est illégal dans son intégralité ;

- à la date de son adoption, l'arrêté préfectoral du 31 janvier 1986 ne reposait pas sur la volonté de la majorité indiscutable des établissements concernés par l'activité de vente et de distribution de pains ;

- la charge de la preuve de l'absence de majorité indiscutable ne doit pas peser sur elle ; l'absence de demande de production par l'administration des éléments factuels sur lesquels elle s'est fondée méconnaît l'égalité des armes garanti par l'article 6 paragraphe 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle justifie d'allégations sérieuses concernant l'existence d'une majorité indiscutable au jour de l'édiction de l'arrêté préfectoral qui ne sont pas démenties par l'administration ;

- l'absence de négociation préalable régulière entache la condition de majorité qui ne peut être qualifiée d'indiscutable ;

- à la date de la demande d'abrogation, il n'existait pas de majorité indiscutable, eu égard notamment à l'évolution en 33 ans du tissu industriel et commercial de la vente de pains ;

- le préfet n'a procédé à aucune consultation des professionnels intéressés alors que l'article R. 3132-22 du code du travail, en raison de son caractère spécial s'appliquait ; en outre, compte tenu des allégations sérieuses qu'elle a fait valoir sur l'existence d'une majorité indiscutable, le préfet aurait dû procéder à une consultation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code du travail ;

- le code de la consommation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteure publique,

- et les observations de Me B... pour la Fédération des entreprises de boulangerie.

1. A la suite d'un accord conclu le 27 novembre 1984 entre des organisations représentatives d'employeurs et de salariés, le préfet de la Haute-Marne a prescrit, par un arrêté du 31 janvier 1986, pris en application de l'article L. 221-17 du code du travail, devenu désormais l'article L. 3132-29 du même code, la fermeture au public, le lundi, des établissements, parties d'établissements et leurs dépendances à poste fixe ou en ambulant, vendant au détail des produits de boulangerie. La demande présentée par la Fédération des entreprises de boulangerie, réceptionnée le 13 juillet 2018, tendant à l'abrogation de cet arrêté a été implicitement rejetée par le préfet de la Haute-Marne, compétent en application du 2ème alinéa de l'article L. 3132-29 du code du travail, puis explicitement par une décision du 15 octobre 2018. Par un jugement du 5 novembre 2019, dont fait appel la Fédération des entreprises de boulangerie, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, après avoir regardé la décision explicite du 15 octobre 2018 comme s'étant substituée à la décision implicite, a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision explicite refusant d'abroger l'arrêté du 31 janvier 1986.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 3132-29 du code du travail : " Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées. / A la demande des organisations syndicales représentatives des salariés ou des organisations représentatives des employeurs de la zone géographique concernée exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession de cette zone géographique, le préfet abroge l'arrêté mentionné au premier alinéa, sans que cette abrogation puisse prendre effet avant un délai de trois mois ".

3. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 3132-29 du code du travail, que le préfet, saisi d'une demande d'abrogation de cet arrêté par une organisation syndicale représentative d'employeurs de la zone géographique concernée, ne peut rejeter cette demande sans vérifier au préalable si cette condition de majorité indiscutable est toujours remplie au jour de cette demande, dès lors que l'organisation syndicale à l'origine de cette demande apporte des éléments suffisants en ce sens.

4. L'existence d'une majorité indiscutable en faveur du maintien de la réglementation est vérifiée lorsque les entreprises adhérentes à la ou aux organisations d'employeurs qui ont signé l'accord ou s'y sont déclarées expressément favorables exploitent la majorité des établissements intéressés ou lorsque la consultation de l'ensemble des entreprises concernées a montré que l'accord recueillait l'assentiment d'un nombre d'entreprises correspondant à la majorité des établissements intéressés, sans qu'il soit exigé que les organisations signataires de l'accord soient elles-mêmes représentatives de cette majorité.

5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non contredites par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en oeuvre ses pouvoirs généraux d'instruction et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.

6. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige a été pris par le préfet de la Haute-Marne à la suite de l'accord du 27 novembre 1984 signé entre le syndicat départemental de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie Haut-Marnaise et les unions départementales des syndicats représentant les salariés de la boulangerie FO, CFDT et CGT.

7. Pour rejeter la demande d'abrogation de l'arrêté en litige, le préfet de la Haute-Marne s'est fondé sur la circonstance, d'une part, que l'activité des entreprises représentées par la requérante ne pouvait pas être assimilée à une activité de boulangerie au sens de l'article L. 122-17 du code de la consommation et, d'autre part, que la requérante, dont les adhérents, à l'exception de quelques terminaux de cuisson, n'étaient pas implantés en Haute-Marne, ne pouvait être regardée comme exprimant la majorité des membres de la profession lui permettant de solliciter l'abrogation de l'arrêté du 31 janvier 1986. Toutefois, l'arrêté en litige mentionne, en son article 2, qu'à compter de sa publication, " seront fermés au public le lundi, les établissements, parties d'établissements et leurs dépendances à poste fixe ou en ambulant, vendant au détail des produits de boulangerie. Cette fermeture comporte également l'interdiction de la livraison et du colportage de toutes les marchandises rentrant dans le commerce de la boulangerie, pains de diverses natures, tels que pains ordinaires, pains viennois, pains dits au lait, lactés, briochés ou sucrés ". Ainsi, contrairement à ce que soutient l'administration, eu égard à ses prescriptions générales, l'arrêté en litige ne limite pas son champ d'application aux seuls établissements en droit d'utiliser la dénomination de " boulanger " ou de " boulangerie " au sens de l'article L. 122-17 du code de la consommation, lequel reprend les dispositions de l'article L 121-80 du code de la consommation, créé par la loi n°98-405 du 25 mai 1998. Il est donc susceptible de s'appliquer non seulement aux boulangeries mais également aux autres entreprises situées dans le département de la Haute-Marne, ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de produits issus du pain, et notamment celles relevant de la fabrication industrielle de pains, de la cuisson de produits de boulangerie, du commerce de détail de carburants, du commerce de détail de produits surgelés, du commerce d'alimentation générale (supérettes, supermarchés, hypermarchés), du commerce de détail alimentaire sur éventaires et marchés et de la restauration rapide.

8. Il ressort des éléments produits par la Fédération des entreprises de boulangerie, notamment du tableau recensant les entreprises susceptibles de commercialiser à titre principal ou accessoire du pain en 2019, que les boulangeries représentaient 96 établissements sur un total de 462 établissements susceptibles d'être concernés par l'arrêté en litige. Ces autres établissements, notamment des terminaux de cuisson, des commerces de détail de produits surgelés, des commerces d'alimentation générale, des commerces de détail de pain, pâtisserie et confiserie en magasin spécialisé, et des commerces de détail alimentaire sur éventaires et marchés, auxquelles l'arrêté en litige est applicable, sont suffisamment nombreux (plus de 150) pour douter que l'accord conclu le 27 novembre 1984 correspondait encore, à la date de la décision de refus d'abrogation, à la volonté de la majorité indiscutable des établissements concernés. Dans ces conditions, en se fondant uniquement sur les établissements de boulangerie inscrits au répertoire des métiers en 2018, généralement représentés par le syndicat départemental de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, pour regarder l'arrêté en litige comme correspondant encore à la volonté d'une majorité indiscutable des établissements commercialisant des produits de boulangerie, sans chercher à connaître l'opinion des autres établissements concernés, le préfet de la Haute-Marne a commis une erreur d'appréciation.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que la Fédération des entreprises de Boulangerie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

10. L'annulation de la décision refusant d'abroger l'arrêté du préfet de la Haute-Marne du 27 novembre 1984 implique seulement, compte tenu des motifs du présent arrêt, que la demande d'abrogation de la Fédération des entreprises de boulangerie soit réexaminée, afin que le préfet y statue après avoir vérifié l'existence ou non d'une majorité indiscutable de la profession en faveur de la fermeture au public un jour par semaine. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.

Sur les frais d'instance :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Fédération des entreprises de boulangerie et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement no 1802246 du 5 novembre 2019 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.

Article 2 : La décision du 15 octobre 2018 par laquelle le préfet de la Haute-Marne a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de son arrêté du 31 janvier 1986 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Marne de procéder au réexamen de la demande de la Fédération des entreprises de boulangerie dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la Fédération des entreprises de boulangerie une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la Fédération des entreprises de boulangerie est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... pour la Fédération des entreprises de boulangerie en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2021 et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Haute-Marne.

N° 19NC03712 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC03712
Date de la décision : 11/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-03-02-02 Travail et emploi. Conditions de travail. Repos hebdomadaire. Fermeture hebdomadaire des établissements.


Composition du Tribunal
Président : M. REES
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : AARPI ACTE DIXHUIT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-05-11;19nc03712 ?
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