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04/05/2021 | FRANCE | N°19NC00929

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 04 mai 2021, 19NC00929


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement départemental public d'accompagnement médico-social (EDPAMS) Jacques Sourdille a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) à lui payer une indemnité d'assurance égale à la somme de 372 664,71 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre de ses préjudices matériels ainsi que la somme de 334 775,47 euros au titre de ses préjudices immatériels, outre le versement des intérêts au ti

tre de ces sommes et enfin, à la garantir de son éventuelle condamnation au béné...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement départemental public d'accompagnement médico-social (EDPAMS) Jacques Sourdille a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) à lui payer une indemnité d'assurance égale à la somme de 372 664,71 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre de ses préjudices matériels ainsi que la somme de 334 775,47 euros au titre de ses préjudices immatériels, outre le versement des intérêts au titre de ces sommes et enfin, à la garantir de son éventuelle condamnation au bénéfice de la société APE pour un montant au principal de 26 693,67 euros, outre les accessoires.

Par un jugement n° 1602480 du 29 janvier 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 mars 2019, 14 février, 1er juillet et 23 septembre 2020, l'établissement départemental public d'accompagnement médico-social (EDPAMS) Jacques Sourdille, représenté par la SCP Blocquaux et associés, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

à titre principal :

1°) de condamner la SMABTP à lui verser la somme de 372 664,71 euros à laquelle s'ajoute la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 5,5 % en réparation des désordres et des mesures conservatoires, cette somme devant être majorée des intérêts au double des intérêts légaux à compter du 12 avril 2011 ou, à titre subsidiaire, à compter du 12 avril ou des 16 ou 19 mai ou 17 juin 2011 ou 9 avril 2013 ou 10 mars 2014 et de la capitalisation des intérêts ;

2°) de condamner la SMABTP à lui verser la somme de 321 775 euros à laquelle s'ajoute la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 5,5 % au titre des dommages immatériels correspondant au plafond contractuel ;

3°) de condamner la SMABTP à la garantir de l'éventuelle condamnation au bénéfice de la société APE pour un montant au principal de 26 693,67 euros, outre les accessoires ;

à titre subsidiaire :

4°) d'ordonner une expertise avant dire-droit afin d'examiner d'une part, les carottages conservés par Me G... dans son étude selon le procès-verbal du 20 avril 2011 et d'autre part, le quantum de son préjudice immatériel ;

en tout état de cause :

5°) de condamner la SMABTP à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, dès lors que son obligation n'est pas sérieusement contestable ;

6°) de disjoindre l'appel principal de l'appel provoqué présenté par la SMABTP à l'encontre des constructeurs ;

7°) de mettre les entiers dépens à la charge de la SMABTP, y compris les droits de plaidoirie ;

8°) de mettre à la charge de la SMABTP la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la SMABTP a méconnu le délai de soixante jours prévu par l'article L. 242-1 du code des assurances qui lui est imparti pour faire connaître sa position quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues par la convention d'assurance dommages-ouvrage et ne peut donc refuser la garantie prévue par le contrat d'assurance pour le sinistre en litige ;

- la SMABTP n'a pas motivé sa décision de refus de la garantie prévue par la convention d'assurance dommages-ouvrage en méconnaissance de l'annexe II à l'article A. 243-1 du code des assurances ;

- alors même que la SMABTP aurait respecté ses obligations formelles, il est recevable à demander le bénéfice de la garantie du contrat dommages-ouvrage ;

- après mise en demeure infructueuse, il a résilié le contrat avec la société Tardiveau ;

- les désordres affectant la chape destinée à accueillir le plancher chauffant, qui sont de nature décennale, ainsi que l'a admis le maître d'oeuvre en demandant la reprise de la chape, permettent la mise en jeu de la garantie contractuelle ;

- l'exception de prescription en application de l'article L. 114-1 du code des assurances doit être écartée, dès lors qu'il a adressé plusieurs courriers à la SMABTP relatifs à la prise en charge du sinistre ;

- il a notifié à la SMABTP les travaux de reprise qu'il entendait réaliser ;

- le courrier du 12 mai 2011 doit être regardé comme une mise en demeure adressée à l'assureur d'avoir à verser l'indemnité prévue au contrat d'assurance ;

- les intérêts au double du taux légal doivent courir à compter du 12 avril 2011 ou subsidiairement des 16 ou 19 mai 2011 ou encore du 17 juin 2011 ou du 9 avril 2013 ou du 10 mars 2014 ;

- les travaux de reprise sont strictement identiques à ceux confiés initialement à la société Tardiveau et étaient nécessaires à la reprise des désordres ;

- le coût des travaux doit être actualisé ;

- la nécessité de démolir et de reconstruire la chape l'a contraint à engager des dépenses pendant un délai supplémentaire de 21 mois ;

- une expertise pourrait être ordonnée pour déterminer les dommages immatériels subis ;

- la SMABTP doit être condamnée à le garantir du coût de la reprise des carrelages à laquelle la société APE a dû procéder à la suite des travaux de reprise de la dalle ;

- il réduit sa réclamation au titre des dommages immatériels dans la limite du plafond contractuel ;

- le taux de 5,5% de la taxe sur la valeur ajoutée est applicable ;

- il y a lieu de disjoindre l'appel principal et les appels provoqués ;

- les conclusions présentées par la voie de l'appel provoqué par la SMABTP, qui soulèvent un litige distinct de l'appel principal sont irrecevables ;

- la SMABTP n'est pas subrogée dans ses droits.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 octobre 2019 et 27 octobre 2020, la société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), représentée par la SCP Badré Hyonne Sens - Salis Denis Roger Daillencourt, conclut à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, au rejet de la requête en l'absence de caractère décennal des désordres, à titre plus subsidiaire, au rejet des demandes indemnitaires de la requérante, faute pour elle d'établir le montant des préjudices subis et à ce que la réparation de son dommage immatériel ne puisse excéder 43 749 euros, à titre plus subsidiaire, à ce que le point de départ des intérêts soit fixé au jour d'enregistrement de la requête, au respect du plafond prévu par le contrat d'assurance en ce qui concerne les dommages immatériels et le taux de 5,5 % de la taxe de la valeur ajoutée, par la voie de l'appel provoqué, à ce que la société Richter Architectes, la Sarl Gilbert Jost BET, la Sarl Tardiveau prise en la personne de son mandataire liquidateur et la société Qualiconsult soient condamnées in solidum à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être mises à sa charge en principal, intérêts, frais et accessoires et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge soit de l'EDPAMS Jacques Sourdille, soit in solidum de la société Richter Architectes, de la Sarl Gilbert Jost BET, de la Sarl Tardiveau prise en la personne de Me D..., son mandataire liquidateur et de la société Qualiconsult au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a notifié son refus de principe, le 11 avril 2011, dans le délai de soixante jours prévu par l'article L. 242-1 du code des assurances ;

- son refus du 11 avril 2011 de mettre en oeuvre la garantie dommages-ouvrage est suffisamment motivé ;

- les conditions permettant de mettre en oeuvre la garantie prévue par le contrat dommages-ouvrage ne sont pas satisfaites, dès lors que le marché avec la société Tardiveau a été résilié postérieurement à la décision de refus de garantie et que les désordres ne sont pas de nature décennale ;

- l'action de l'EDPAMS tendant à ce qu'il soit indemnisé au titre des travaux de reprise des désordres est prescrite en application de l'article L. 114-1 du code des assurances ;

- la convention dommages-ouvrage prévoit que la taxe sur la valeur ajoutée est appliquée au taux de 5,5% ;

- un plafond contractuel est prévu pour les dommages immatériels ;

- l'EDPAMS n'établit pas que les travaux réalisés étaient objectivement nécessaires à la reprise des désordres, alors que les avis des experts divergeaient ;

- le montant demandé au titre des dommages matériels ne tient pas compte des sommes non versées à la société Tardiveau dont le marché a été résilié ;

- les travaux de reprise ont été réalisés et la demande d'actualisation de leur coût présentée par l'EDPAMS doit être rejetée ;

- la réalité des dommages immatériels subis en raison du retard des travaux n'est pas établie ;

- la demande d'intérêts au double du taux légal ne peut qu'être rejetée ;

- la demande de garantie des sommes qui seraient demandées par l'APE doit être rejetée, dès lors que la notification du décompte général et définitif de cette société fait obstacle à toute demande à l'encontre du maître de l'ouvrage à ce titre ;

- en cas de condamnation à son encontre, elle serait recevable à se prévaloir de la subrogation légale prévue par l'article L. 121-12 du code des assurances et à demander la condamnation des constructeurs à la garantir des sommes mises à sa charge ;

- la responsabilité contractuelle de la société Tardiveau est de nature à être engagée pour la réalisation d'un ouvrage non conforme à ses obligations contractuelles ;

- la société Richter Architectes et le BET Gilbert Jost ont manqué à leur mission de surveillance de l'exécution des travaux ;

- la société Richter Architectes a constaté les désordres au mois d'octobre 2010, sans prendre les mesures nécessaires ;

- la société Qualiconsult n'a pas fait preuve des diligences nécessaires dans l'exercice de ses missions dès l'apparition des désordres en octobre 2010.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 juin et 27 octobre 2020, la société Qualiconsult, représentée par Me C..., conclut, à titre principal, au rejet pour irrecevabilité des conclusions présentées par la voie de l'appel provoqué par la SMABTP et au rejet de toutes les demandes dirigées contre elle, à titre subsidiaire, au rejet de la requête de l'EDPAMS Jacques Sourdille et des conclusions en appel en garantie dirigées contre elle par la SMABTP, à titre plus subsidiaire, à la condamnation de la société Richter Architectes, de la Sarl Jost Gilbert BET et de la Sarl Tardiveau, représentée par Me D..., son mandataire liquidateur, à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être mises à sa charge en principal, intérêts, frais et accessoires et au rejet de toutes les demandes dirigées contre elle et enfin à ce qu'une somme de 7 000 euros soit mise à la charge de la SMABTP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'appel en garantie de la SMABTP est irrecevable en l'absence de subrogation légale de cette dernière ;

- la SMABTP n'a commis aucun manquement à ses obligations contractuelles ;

- sa responsabilité décennale ne saurait être engagée, dès lors que les désordres sont apparus avant réception des travaux ;

- elle n'a commis aucune faute au titre de ses obligations contractuelles ;

- les autres constructeurs n'invoquent à son encontre aucune faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle ;

- en l'état de l'instruction, les responsabilités encourues ne peuvent pas être appréciées ;

- les désordres sont liés à un défaut d'exécution des ouvrages par la société Tardiveau ;

- le montant des dommages matériels et immatériels demandés par l'EDPAMS n'est pas justifié ;

- la demande de garantie au titre de la majoration des intérêts légaux ne saurait incomber aux constructeurs ;

- la demande de garantie des condamnations à verser à la société APE est purement hypothétique ;

- la demande d'expertise présentée par l'EDPAMS ne présente aucune utilité ;

- la société Tardiveau a commis une faute dans l'exécution des travaux, de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle à son encontre ;

- le maître d'oeuvre devait assurer le suivi de l'exécution des travaux ;

- les appels en garantie dirigés contre elle doivent être rejetés, dès lors qu'elle a émis un avis défavorable sur les chapes et n'a commis aucun manquement dans l'exécution de ses missions.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 juillet et 28 septembre 2020, la Sarl BET Gilbert Jost, représentée par Me B..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et au rejet, en conséquence, de l'appel provoqué de la SMABTP pour irrecevabilité, à titre subsidiaire, au rejet de toutes les conclusions en appel en garantie dirigées contre elle et au rejet des demandes indemnitaires au titre des dommages matériels et immatériels, à titre plus subsidiaire, à ce que le doublement de l'intérêt au taux légal soit laissé à la charge de la SMABTP, de même qu'une éventuelle condamnation au profit de la société APE, à ce que la société Qualiconsult et la Sarl Tardiveau, représentée par Me D..., son mandataire liquidateur, sur le fondement de la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle et la société Richter Architectes, sur le fondement de la responsabilité contractuelle et subsidiairement, de la responsabilité délictuelle, soient condamnées à la garantir de toutes les condamnations qui pourraient être mises à sa charge en principal, intérêts, frais et accessoires et subsidiairement, de fixer les parts de responsabilité et de condamner la société Richter Architectes, sur le fondement de la responsabilité contractuelle et subsidiairement, de la responsabilité délictuelle, à la garantir à hauteur de 80 % de la part qui resterait à la charge du groupement de maîtrise d'oeuvre et enfin à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge in solidum de la SMABTP et de toute partie perdante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le refus de garantie opposé par la SMABTP est fondé ;

- l'EDPAMS n'a pas engagé de procédure en référé expertise ce qui aurait été de nature à établir la nature et le montant des travaux nécessaires à la reprise des désordres dans le cadre d'une procédure contradictoire ;

- il n'établit pas qu'il n'a engagé que les stricts travaux nécessaires à la reprise des désordres ;

- la réalité et le quantum des dommages immatériels invoqués par l'EDPAMS ne sont pas établis ;

- la demande de garantie au titre de la majoration des intérêts légaux ne saurait lui incomber ;

- la demande de l'EDPAMS tendant à être garanti des condamnations à verser à la société APE a trait aux relations contractuelles entre ces deux parties et ne saurait être mise à sa charge ;

- la demande de condamnation de la SMABTP au versement de dommages et intérêts ne saurait lui incomber ;

- la demande d'expertise ne présente aucune utilité ;

- il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre elle par la SMABTP, dès lors que l'appel de l'EDPAMS doit être rejeté ;

- il n'y a pas lieu de disjoindre les instances comme le demande l'EDPAMS ;

- le recours de la SMABTP est irrecevable en l'absence de subrogation ;

- elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles consistant essentiellement à rédiger le CCTP ;

- aucune condamnation in solidum ne peut être prononcée ;

- les constructeurs ne pourraient être condamnés qu'à hauteur de leur part de responsabilité ;

- la société Tardiveau a commis une faute dans l'exécution des travaux, de nature à engager sa responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle à son encontre ;

- elle devra être entièrement garantie par la société Richter Architectes, ou à tout le moins à hauteur de 80%, dès lors que le CCTP qu'elle a rédigé n'est pas en cause dans les désordres ;

- la société Qualiconsult n'a pas assuré correctement sa mission relative à la solidité des ouvrages et à la prévention des aléas techniques.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 août 2020, la société Richter Architectes, représentée par Me F..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, au rejet de toutes les conclusions dirigées contre elle, à titre plus subsidiaire, à ce qu'une part de responsabilité soit laissée à la charge de la Sarl Tardiveau, représentée par Me D..., son mandataire liquidateur et à ce que la société Qualiconsult et le BET Gilbert Jost soient condamnés in solidum à la garantir des condamnations qui pourraient être mises à sa charge, et enfin à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la SMABTP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le refus de garantie opposé par la SMABTP est fondé,

- la SMABTP ne saurait invoquer la responsabilité décennale dans le cadre de son appel en garantie, en l'absence de réception des travaux ;

- elle n'a commis aucune faute dans l'exercice de ses missions de maîtrise d'oeuvre et est intervenue à plusieurs reprises auprès de la société Tardiveau pour qu'elle reprenne ses ouvrages ;

- la société Tardiveau a commis une faute en réalisant un béton trop poreux ;

- sa responsabilité dans les désordres est prépondérante ;

- le BET Gilbert Jost, chargé des études relatives aux planchers chauffants, a permis la construction d'un ouvrage non conforme ;

- la société Qualiconsult a manqué à sa mission de contrôle de la solidité des ouvrages ;

- elle s'en remet à la sagesse de la cour sur l'utilité de la demande d'expertise présentée par l'EDPAMS et sa demande de disjonction des instances.

La procédure a été communiquée à Me D..., mandataire liquidateur de la Sarl Tardiveau, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Grenier, présidente assesseur,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me A... pour l'EDPAMS Jacques Sourdille et de Me E..., substituant Me B..., pour le BET Gilbert Jost.

Une note en délibéré, enregistrée le 7 avril 2021, a été présentée pour l'EDPAMS Jacques Sourdille.

Considérant ce qui suit :

1. L'établissement départemental public d'accompagnement médico-social (EDPAMS) Jacques Sourdille a entrepris la construction d'un foyer pour adultes handicapés sur le territoire de la commune d'Acy Romance. La maîtrise d'oeuvre de cette opération a été attribuée à un groupement conjoint non solidaire comprenant cinq cotraitants, dont la société Richter Architectes, mandataire et le BET Gilbert Jost, chargé des fluides. Les lots n° 14 " chauffage, ventilation " et n° 15 " plomberie sanitaire " ont été confiés à la société Tardiveau. Cette dernière a sous-traité ses travaux à la société Bâti Ela. Le contrôle technique de cette opération de construction a été attribué à la société Qualiconsult. En cours de travaux, des dégradations ont été observées sur la chape enrobant les éléments des planchers chauffants ainsi que des défectuosités dans les joints de fractionnement. Une expertise, réalisée le 7 février 2011 à la demande de l'EDPAMS Jacques Sourdille, a conclu à la nécessité de démolir la chape pour remédier à ces désordres, alors que celle-ci était déjà partiellement recouverte de carrelages posés par la société APE. L'EDPAMS Jacques Sourdille a alors adressé plusieurs déclarations de sinistre, dès le 9 février 2011, à la société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), avec laquelle il a conclu, le 31 décembre 2009, un contrat d'assurance prenant effet au 31 juillet précédent, comprenant une assurance dommages-ouvrage, une assurance responsabilité civile du maître d'ouvrage et enfin, une garantie des dommages en cours de travaux (" tous risques chantier "). La SMABTP a opposé un refus d'indemnisation au titre des assurances dommages-ouvrage et garantie des dommages en cours de travaux. Par une demande du 9 avril 2013, rejetée le 23 mai suivant par la SMABTP, l'EDPAMS Jacques Sourdille a demandé à son assureur de l'indemniser au titre des préjudices subis à hauteur du coût des travaux de reprise du plancher chauffant qu'elle a engagés et des frais annexes en résultant. Le 10 mai 2014, l'EDPAMS Jacques Sourdille a assigné la SMABTP devant le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières. Par une ordonnance du 23 novembre 2016, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Charleville-Mézières a jugé que l'action de l'EDPAMS Jacques Sourdille contre son assureur, fondée sur le contrat d'assurance, ne relevait pas de la compétence du juge judiciaire, mais de celle du juge administratif et a sursis à statuer sur les appels en garantie formés par la SMABTP contre les assureurs des constructeurs. Le 5 décembre 2016, l'EDPAMS Jacques Sourdille a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la SMABTP à l'indemniser au titre des dommages matériels et immatériels subis. Par un jugement du 29 janvier 2019, dont l'EDPAMS Jacques Sourdille relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur la méconnaissance par la SMABTP des obligations résultant des articles L. 242-1 et A. 243-1 du code des assurances :

2. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des assurances : " Toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l'ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l'article 1792 du code civil. / Toutefois, l'obligation prévue au premier alinéa ci-dessus ne s'applique ni aux personnes morales de droit public, ni aux personnes morales assurant la maîtrise d'ouvrage dans le cadre d'un contrat de partenariat conclu en application de l'article 1er de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, ni aux personnes morales exerçant une activité dont l'importance dépasse les seuils mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 111-6, lorsque ces personnes font réaliser pour leur compte des travaux de construction pour un usage autre que l'habitation. / L'assureur a un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, pour notifier à l'assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat. (...) / Lorsque l'assureur ne respecte pas l'un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d'indemnité manifestement insuffisante, l'assuré peut, après l'avoir notifié à l'assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L'indemnité versée par l'assureur est alors majorée de plein droit d'un intérêt égal au double du taux de l'intérêt légal (...) ". Selon l'annexe II à l'article A. 243-1 du même code, dans sa rédaction applicable au contrat litigieux conclu le 3 décembre 2009 : " B.-Obligations de l'assureur en cas de sinistre / (...) 2° Rapport préliminaire, mise en jeu des garanties, mesures conservatoires : / a) Dans un délai maximum de soixante jours courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre réputée constituée, l'assureur, sauf s'il a fait application des dispositions du deuxième alinéa du d du 1°, sur le vu du rapport préliminaire établi par l'expert, notifie à celui-ci sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties du contrat. L'assureur communique à l'assuré ce rapport préliminaire, préalablement ou au plus tard lors de cette notification. / Toute décision négative de l'assureur, ayant pour effet de rejeter la demande d'indemnisation, doit être expressément motivée (...) / c) Faute, pour l'assureur, de respecter le délai fixé au paragraphe a, et sur simple notification faite à l'assureur, les garanties du présent contrat jouent pour ce qui concerne le sinistre déclaré, et l'assuré est autorisé à engager les dépenses correspondant à l'exécution des mesures conservatoires nécessaires à la non-aggravation des dommages, dans la limite de l'estimation portée dans le rapport préliminaire de l'expert. Si, dans le même délai, l'assuré n'a pu avoir connaissance du rapport préliminaire, il est autorisé de la même manière à engager les dépenses en cause dans la limite de l'estimation qu'il a pu en faire lui-même (...) ". Les conditions générales de la convention d'assurance dommages-ouvrage souscrite par l'EDPAMS Jacques Sourdille reprennent ces dispositions.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'EDPAMS a adressé, le 9 février 2011, une déclaration de sinistre à son assureur relative aux désordres relevés sur les planchers chauffants réalisés par la société Tardiveau, dont la SMABTP a accusé réception le 11 février suivant. Le délai de soixante jours prévu par l'article L. 242-1 du code des assurances, cité au point précédent, expirait le 12 avril 2011 à minuit. Le courrier du 11 avril 2011, envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception, par lequel la SMABTP a refusé la prise en charge de ce sinistre a été expédié le 12 avril 2011, soit avant l'expiration du délai de 60 jours au sens et pour l'application de l'article L. 242-1 du code des assurances. Par suite, l'EDPAMS Jacques Sourdille n'est pas fondé à soutenir que la SMABTP aurait méconnu le délai de soixante jours prévu pour prendre position.

4. En second lieu, il résulte de l'instruction que la lettre du 11 avril 2011 adressée par la SMABTP à l'établissement requérant, après avoir rappelé les conditions dans lesquelles la garantie prévue par la convention dommages-ouvrage peut être mise en jeu, notamment lorsque, comme en l'espèce, les désordres apparaissent avant réception des travaux, précise les deux motifs pour lesquels l'assureur refuse la prise en charge du sinistre litigieux, à savoir, d'une part, l'absence de résiliation du contrat conclu entre l'EDPAMS Jacques Sourdille et la société Tardiveau et d'autre part, l'absence de degré de gravité requis des désordres qui ne sont pas de nature décennale. Alors même que ces motifs ne seraient pas fondés, la décision de refus de prise en charge de l'assureur est suffisamment motivée en application du a) du 2° du B de l'annexe II à l'article A243-1 du code des assurances cité au point 2 du présent arrêt. Il s'ensuit que la SMABTP a bien pris position quant au principe de mise en jeu des garanties prévues au contrat.

5. Il résulte de ce qui précède que l'EDPAMS Jacques Sourdille n'est pas fondé à demander la condamnation de la SMABTP à l'indemniser de ses préjudices sur le fondement de la méconnaissance des dispositions du code des assurances citées au point 2 du présent arrêt, reprises dans le contrat d'assurances.

Sur les conditions de mise en jeu de la garantie prévue par la convention dommages-ouvrage :

6. Il résulte de l'instruction que l'article 1.1 des conditions générales de la convention dommages-ouvrage litigieuse, qui reprend les dispositions de l'article L. 242-1 du code des assurances, prévoit que la garantie peut être mise en oeuvre, en dehors de toute recherche de responsabilité, pour le paiement des travaux de réparation des dommages de " la nature dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1 du code civil ", à savoir ceux qui compromettent la solidité des ouvrages constitutifs de l'opération de construction ou qui, affectant ces ouvrages dans l'un de leurs éléments constitutifs ou l'un de leurs éléments d'équipement, les rendent impropres à leur destination. L'article 4.1.1 de ce même contrat stipule que la garantie est acquise, avant réception " lorsque, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution par celui-ci de son obligation de réparer ". En conséquence, l'assuré peut bénéficier de la garantie dommages-ouvrages à la double condition, d'une part, que le contrat conclu avec l'entrepreneur après mise en demeure restée infructueuse ait été résilié pour inexécution de ses obligations contractuelles, et d'autre part, que les désordres revêtent un caractère décennal.

7. En premier lieu, il ne résulte ni des dispositions de l'article L. 242-1 du code des assurances, ni du contrat d'assurances en litige que la résiliation de l'entrepreneur défaillant doit être prononcée dans le délai de 60 jours imparti à l'assureur pour prendre position. Par suite, la SMABTP ne pouvait refuser d'indemniser l'EDPAMS Jacques Sourdille au motif du défaut de résiliation du contrat conclu avec la société Tardiveau le 11 avril 2011, cette résiliation, condition nécessaire pour être indemnisé, pouvant intervenir postérieurement. L'établissement requérant a d'ailleurs, après mise en demeure restée infructueuse, résilié ce contrat le 12 mai 2011 et en a informé la SMABTP le même jour. Par suite, la condition tendant à la résiliation du contrat conclu avec l'entrepreneur, après mise en demeure restée infructueuse, doit être regardée comme satisfaite.

8. En second lieu, aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L'expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l'initiative, avec l'accord des parties, d'une telle médiation. Si une médiation est engagée, il en informe la juridiction. Sous réserve des exceptions prévues par l'article L. 213-2, l'expert remet son rapport d'expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation ".

9. Il résulte de l'instruction que les différentes analyses produites ne permettent pas à la cour de savoir si les désordres affectant la chape d'enrobage des éléments des planchers chauffants étaient de nature à compromettre la solidité de l'immeuble ou à le rendre impropre à sa destination et de déterminer la nature des travaux utiles pour y mettre fin et leur montant.

10. Par suite, il y a lieu, avant de statuer sur la garantie de l'assureur, d'ordonner, avant dire-droit, une expertise afin de déterminer, au vu des différentes analyses réalisées et des analyses complémentaires que l'expert pourrait estimer utiles, à partir notamment des prélèvements réalisés le 20 avril 2011 et conservés par Me G..., huissier de justice, si les désordres affectant la chape d'enrobage des éléments des planchers chauffants de l'EDPAMS Jacques Sourdille étaient de nature à compromettre la solidité de l'immeuble ou à le rendre impropre à sa destination, de préciser la nature des travaux qui étaient nécessaires pour y mettre fin en assurant la solidité de l'ouvrage et un usage propre à sa destination et de dire si ceux qui ont été réalisés par l'EDPAMS Jacques Sourdille étaient strictement nécessaires à la reprise des désordres ou ont généré une plus-value. L'expert devra également donner son avis motivé sur l'évaluation du coût de ces travaux et sur les préjudices de toute nature y compris immatériels causés par ces désordres et en évaluer le montant.

D E C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de l'établissement départemental public d'accompagnement médico-social (EDPAMS) Jacques Sourdille tendant à la mise en oeuvre de la garantie dommages-ouvrage procédé à une expertise confiée à un expert, désigné par la présidente de la cour, ayant pour mission :

1°) de prendre connaissance de l'ensemble du dossier et se faire remettre tous documents utiles à sa mission dont les prélèvements réalisés le 20 avril 2011, conservés par Me G..., huissier de justice ;

2°) de décrire les malfaçons qui ont affecté la chape d'enrobage des éléments des planchers chauffants de l'EDPAMS Jacques Sourdille et de réunir les éléments d'information permettant à la cour de dire si elles étaient de nature à compromettre la solidité de l'immeuble ou à le rendre impropre à sa destination ;

3°) de décrire la nature et l'étendue des travaux qui permettaient de remédier aux désordres qui affectaient l'ouvrage dans l'état d'achèvement dans lequel il se trouvait à la date du 12 mai 2011, date de résiliation du marché avec la société Tardiveau et d'en préciser le montant ; de préciser si les travaux qui ont été réalisés par l'EDPAMS Jacques Sourdille étaient, à cet égard, strictement nécessaires à la reprise des désordres ou ont généré une plus-value ;

4°) de donner son avis motivé sur l'évaluation du coût de ces travaux et sur les préjudices de toute nature, y compris immatériels, causés par ces désordres et d'en évaluer le montant ;

5°) d'une façon générale, recueillir tous éléments et faire toutes autres constatations utiles de nature à éclairer la cour sur les préjudices subis.

Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable de la présidente de la cour.

Article 3 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.

Article 4 : L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires dans un délai de 6 mois à compter de la notification du présent arrêt. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement départemental public d'accompagnement médico-social Jacques Sourdille, à la SMABTP, à la société Qualiconsult, à la SARL Richter Architectes, à la SARL BET Gilbert Jost et à Me D..., mandataire liquidateur de la SARL Tardiveau.

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N° 19NC00929


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