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23/03/2021 | FRANCE | N°19NC00659

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4eme chambre - formation a 3, 23 mars 2021, 19NC00659


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

SNCF Réseau, venant aux droits de Réseau ferré de France a demandé au tribunal administratif de Besançon d'une part, d'annuler la décision implicite de refus née du silence gardé par l'Etat pendant un délai de deux mois à compter de la notification de la demande préalable que Réseau ferré de France lui a adressée tendant au versement de la somme de 533 169,71 euros hors taxes (HT) et d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser cette somme sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

SNCF Réseau, venant aux droits de Réseau ferré de France a demandé au tribunal administratif de Besançon d'une part, d'annuler la décision implicite de refus née du silence gardé par l'Etat pendant un délai de deux mois à compter de la notification de la demande préalable que Réseau ferré de France lui a adressée tendant au versement de la somme de 533 169,71 euros hors taxes (HT) et d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser cette somme sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Par un jugement n° 1701479 du 17 janvier 2019, le tribunal administratif de Besançon a rejeté la demande de SNCF Réseau.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 4 mars 2019, 22 juin et 4 décembre 2020, la société SNCF Réseau, qui vient aux droits de Réseau ferré de France, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 17 janvier 2019 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) d'annuler la décision implicite de refus née du silence gardé par l'Etat pendant un délai de deux mois à compter de la notification de la demande préalable que Réseau ferré de France lui a adressée le 11 avril 2017 tendant au versement de la somme de 533 169,71 euros hors taxes (HT) ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 533 169,71 hors taxes (HT) en règlement de son marché, cette somme devant être assortie des intérêts légaux à compter du 28 août 2008 et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en l'absence de communication de son dernier mémoire enregistré devant le tribunal administratif de Besançon ;

- le tribunal a omis de statuer sur l'ensemble des moyens opérants qu'il soulevait ;

- il a estimé à tort que sa requête n'était pas recevable comme portant sur une décision à effets purement pécuniaires alors qu'il s'agit d'un litige en matière de travaux publics ;

- les délais de recours ne s'appliquent pas en matière de travaux publics, y compris lorsque la prescription quadriennale a été opposée ;

- les dispositions du décret du 2 novembre 2016 modifiant l'article R. 421-1 du code de justice administrative ne s'appliquent pas aux demandes de paiement de créances nées de travaux publics avant l'entrée en vigueur de ces dispositions ;

- la créance en litige est née de l'exécution d'un contrat, qui ne prévoit aucun délai spécifique pour le règlement des différends ;

- elle a droit au paiement du solde des travaux réalisés ;

- sa créance n'est pas prescrite en application des dispositions de la loi du 31 décembre 1968 ;

- elle a droit au versement des intérêts au taux légal et à la capitalisation des intérêts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2020, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, au rejet de la demande présentée par SNCF Réseau devant le tribunal administratif de Besançon.

Elle soutient que :

- le mémoire présenté le 14 décembre 2018 devant le tribunal administratif de Besançon n'avait pas à être communiqué en l'absence d'éléments nouveaux ;

- le jugement attaqué n'est pas entaché d'omission à statuer ;

- SNCF Réseau ne saurait invoquer l'absence de délai de recours contentieux en matière de travaux publics qui n'est plus applicable aux requêtes enregistrées après le 1er janvier 2017 ;

- la demande de SNCF Réseau, qui n'a pas été présentée dans un délai raisonnable, est irrecevable ;

- en cas d'annulation du jugement attaqué, la demande de SNCF Réseau devra être rejetée pour les motifs exposés dans le mémoire en défense produit devant le tribunal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ;

- le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Grenier, présidente assesseur,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me A... pour SNCF Réseau.

Une note en délibérée, présentée par SNCF Réseau, a été enregistrée le 22 février 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de l'aménagement de la rocade routière nord-ouest de Besançon, l'Etat et Réseau Ferré de France (RFF), aux droits duquel vient désormais la société SNCF Réseau, ont signé, le 15 avril 1999, une convention relative à la construction d'un pont-rail au nord-ouest de l'agglomération de Besançon pour franchir la ligne de chemin de fer entre Dole et Belfort. En vertu des stipulations de l'article 2 de cette convention, RFF, maître d'ouvrage des travaux de construction de ce pont-rail et des travaux connexes, a confié un mandat de maîtrise d'ouvrage à la SNCF, qui a également assuré la maîtrise d'oeuvre de cette opération. L'Etat était, pour sa part, maître d'ouvrage des travaux routiers et de la réalisation de la plateforme nécessaire à la déviation des voies ferrées. En vertu de l'article 4.1 de la convention du 15 avril 1999, l'Etat s'engageait à rembourser à RFF " toutes les dépenses que les travaux envisagés entraîneraient pour l'établissement public, y compris le coût des épreuves du pont ". Un prélèvement libératoire à hauteur de 6% du montant des travaux était destiné à financer les dépenses correspondant à l'entretien ultérieur de l'ouvrage. Selon l'article 4.4 de la même convention, la SNCF devait établir le décompte général et définitif des travaux après leur réalisation. Les travaux, réalisés en 2003, ont été réceptionnés sans réserve en 2004. Le 11 décembre 2009, RFF a adressé à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Franche-Comté une facture d'un montant de 533 169,71 euros correspondant au règlement des sommes restant dues en exécution de la convention de 1999. Le 2 novembre 2011, le préfet de la région de Franche-Comté a indiqué à RFF que les deux mandats relatifs à cette créance avaient été rejetés par la direction régionale des finances publiques, le 8 juin 2010, la créance étant prescrite en application des dispositions de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances de l'Etat. En réponse au courrier du 30 juillet 2014 par lequel RFF contestait cette décision, le préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté a confirmé, le 1er février 2016, que la créance était prescrite et précisé qu'aucune suite ne serait donnée à la demande de paiement de RFF. Par un courrier du 11 avril 2017, reçu le lendemain, SNCF Réseau a adressé une demande indemnitaire préalable à l'Etat tendant au versement de la somme de 533 169,71 euros qui lui serait due en règlement de la convention du 15 avril 1999. Par un jugement du 17 janvier 2019, dont SNCF Réseau relève appel, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

2. En demandant la condamnation de l'Etat à lui régler sa créance contractuelle, SNCF Réseau a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein-contentieux. La décision implicite de refus née du silence gardé par l'Etat pendant un délai de deux mois à compter de la notification de la demande préalable que Réseau ferré de France lui a adressée le 11 avril 2017 tendant au versement de la somme de 533 169,71 euros HT a eu pour seul effet de lier le contentieux, sans que son annulation puisse être utilement demandée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, applicable aux requêtes enregistrées à compter du 1er janvier 2017 en vertu du II de l'article 35 de ce décret : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". Selon l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ". Dans sa rédaction antérieure au décret du 2 novembre 2016, l'article R. 421-1 du même code prévoyait que : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ".

4. La nouvelle règle, issue du décret du 2 novembre 2016, selon laquelle, sauf dispositions législatives ou règlementaire qui leur seraient propres, le délai de recours de deux mois court à compter de la notification ou de la publication de la décision attaquée, y compris en matière de travaux publics, s'applique aux décisions nées à compter du 1er janvier 2017. S'agissant des décisions expresses ou implicites en matière de travaux publics nées avant le 1er janvier 2017, le décret du 2 novembre 2016 n'a pas fait - et n'aurait pu légalement faire - courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées.

5. D'autre part, il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Ainsi, pour déterminer si le délai permettant d'introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l'objet est purement pécuniaire est expiré, faisant obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée, il y a lieu, le cas échéant, de faire application de la règle selon laquelle le destinataire d'une décision administrative individuelle ne peut exercer un recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable.

6. Toutefois, la règle énoncée au point précédent ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. Il en est de même des recours tendant à la condamnation d'une personne publique au règlement d'une créance qui ne tendent pas à l'annulation du rejet de la demande indemnitaire préalable qui a pour seul objet de lier le contentieux.

7. Il résulte de l'instruction que le préfet de la région de Franche-Comté a, par deux décisions des 2 novembre 2011 et 1er février 2016, rejeté les demandes de paiement de Réseau Ferré de France. De telles décisions portant sur des travaux publics, nées antérieurement au 1er janvier 2017 n'étaient soumises à aucun délai de recours contentieux. Au regard de ce qui a été dit au point précédent, l'Etat ne peut utilement se prévaloir de l'application d'un délai raisonnable qui ne trouve pas à s'appliquer aux requêtes tendant au paiement d'une somme d'argent. La circonstance qu'il a rejeté la demande de Réseau Ferré de France au motif de ce que la créance de l'Etat était prescrite est sans incidence sur l'appréciation de la recevabilité des conclusions de Réseau Ferré de France tendant au paiement de sa créance.

8. SNCF Réseau a enfin adressé à l'Etat une demande de paiement préalable à la saisine du juge, le 11 avril 2017, reçue le lendemain, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet, le 12 juin 2017. La requête de SNCF Réseau, enregistrée le 11 août 2017 au greffe du tribunal administratif de Besançon, dans le délai de deux mois prévue par l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable à la date de saisine du tribunal, n'était, par suite, pas tardive.

9. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens d'irrégularité du jugement attaqué, la société SNCF Réseau est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a jugé que sa demande était irrecevable.

10. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par SNCF Réseau devant le tribunal administratif de Besançon.

Sur l'exception de prescription :

En ce qui concerne la prescription quadriennale :

S'agissant du caractère définitif des décisions des 2 novembre 2011 et 1er février 2016 opposant la prescription quadriennale faisant obstacle à ce leur bien-fondé soit discuté :

11. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 4211 du code de justice administrative, dans sa version en vigueur à la date à laquelle les décisions des 2 novembre 2011 et 1er février 2016 ont été édictées : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction administrative ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". Il résulte des termes mêmes de cet article que le délai de deux mois qu'il fixe ne s'applique pas aux demandes présentées en matière de travaux publics, même lorsqu'elles sont dirigées contre une décision notifiée au demandeur. Un recours relatif à une créance née de travaux publics entrant dans le champ de cette exception, la notification d'une décision par laquelle l'autorité compétente rejette une réclamation relative à une telle créance ne fait pas courir de délai pour saisir le juge. Il en va de même lorsqu'une telle décision est fondée sur la prescription de la créance.

12. Comme il a été dit au point 4 du présent arrêt, la modification des dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative qui a soumis les décisions relatives aux travaux publics à un délai de recours n'a pas fait - et n'aurait pu légalement faire - courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées. Par suite, à leur égard, le délai raisonnable d'un an résultant des principes énoncés au point 5 du présent arrêt, n'a pu commencer à courir au plus tôt qu'à compter de l'entrée en vigueur du décret du 2 novembre 2016, soit le 1er janvier 2017. En conséquence, à la date d'enregistrement de la requête de SNCF Réseau devant le tribunal administratif de Besançon, le 11 août 2017, le délai de contestation des décisions des 2 novembre 2011 et 1er février 2016 par lesquelles l'Etat a opposé à SNCF Réseau le caractère prescrit de sa créance n'avait pas expiré. SNCF Réseau est par suite, recevable, dans le cadre du présent contentieux indemnitaire, à en contester le bien-fondé.

S'agissant du bien-fondé de l'exception de la prescription quadriennale :

13. Aux termes de de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". L'article 2 de la même loi énonce que : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; / Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n'a pas été exactement désigné. / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ". Selon l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".

14. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Elle ne met toutefois fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure et demeure ainsi, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l'établissement du solde du décompte définitif. Seule l'intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d'interdire au maître de l'ouvrage toute réclamation à cet égard.

15. L'article 4.4 de la convention conclue entre l'Etat et Réseau Ferré de France relative à la construction d'un pont-rail au nord-ouest de Besançon sur la ligne de chemin de fer entre Dole et Belfort stipule que : " (...) En fin des travaux, la SNCF, maître d'oeuvre, procède sur la base des dépenses réellement justifiées, à l'établissement du décompte général et définitif sur la base : - des dépenses relatives aux travaux objet de la présente convention réellement engagées ; - du versement libératoire des charges d'entretien ultérieur de l'ouvrage ; - des dépenses relatives aux ralentissements des trains réellement engagées ; - d'.une somme forfaitaire correspondant aux prestations de maîtrise d'ouvrage et de maître d'oeuvre assurée par la SNCF. RFF procède suivant le cas, soit au versement du trop-perçu, soit à la présentation d'une facture pour règlement du solde ".

16. Il résulte des stipulations de la convention litigieuse, qui ne prévoit aucun délai pour l'établissement du décompte général et définitif du marché, que le droit au paiement de SNCF Réseau est acquis, non à la date de la réception des travaux, mais à celle de l'établissement du décompte général et définitif du marché par la SNCF, maître d'ouvrage délégué et maître d'oeuvre, sur la base des dépenses réellement engagées ainsi que le stipule l'article 4.4 de cette convention.

17. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que le décompte final présenté par la SNCF a été adressé au plus tôt à Réseau Ferré de France le 28 août 2008, date à laquelle il était en mesure de présenter une facture à l'Etat pour le règlement du solde du marché, ses droits au paiement des travaux réalisés pour le compte de l'Etat étant alors acquis. Par suite, le délai de la prescription quadriennale a commencé à courir, non à compter du 1er janvier 2005 suivant l'année au cours de laquelle la réception des travaux a été prononcée sans réserve comme le fait valoir l'Etat, mais à compter du 1er janvier 2009.

18. La décision du 2 novembre 2011 par laquelle l'Etat a opposé la prescription quadriennale à la facture que lui avait adressée Réseau Ferré de France le 11 décembre 2009, qui constitue une communication écrite d'une administration intéressée ayant trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 précité, a interrompu le cours de la prescription quadriennale. Un nouveau délai de quatre ans a débuté à compter du 1er janvier 2012. Ce délai a, à nouveau, pour le même motif, été interrompu par le courrier adressé par SNCF Réseau à l'Etat le 30 juillet 2014 et a recommencé à courir dans son intégralité à compter du 1er janvier 2015. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 2 novembre 2011, la créance dont SNCF Réseau se prévaut à l'encontre de l'Etat n'était pas prescrite le 11 août 2017, date d'introduction de sa requête devant le tribunal administratif de Besançon.

En ce qui concerne la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil :

19. Aux termes de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". Selon l'article 2223 du même code : " Les dispositions du présent titre ne font pas obstacle à l'application des règles spéciales prévues par d'autres lois. ".

20. Il résulte de ces dispositions que, indépendamment du délai de prescription quinquennal de droit commun fixé par l'article 2224 du code civil, la règle de prescription quadriennale posée par la loi du 31 décembre 1968 constitue une règle spécialement applicable aux créances détenues sur l'Etat au sens de l'article 2223 du code civil. Il suit de là que l'Etat ne saurait utilement se prévaloir de la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil, qui n'est pas applicable à la créance que détient SNCF Réseau sur une personne publique.

21. Il résulte de tout ce qui précède que l'exception de prescription opposée en défense par l'Etat doit être écartée.

Sur le paiement du solde du contrat :

22. Aux termes de l'article 4.1 de la convention conclue entre l'Etat et Réseau Ferré de France : " L'Etat s'engage à rembourser à R.F.F. toutes les dépenses que les travaux envisagés entraîneraient pour l'établissement public, y compris le coût des épreuves du pont ; les dépenses correspondant à l'entretien ultérieur de l'ouvrage feront l'objet d'un versement libératoire à hauteur de 6% du montant des travaux. ". L'article 4.2 de la même convention évalue le coût prévisionnel des travaux à 25 millions de francs. Selon l'article 4.3 de la même convention relatif au " Montant définitif du financement par l'Etat " : " L'estimation visée au point 4.2 ci-dessus n'est donnée qu'à titre indicatif, l'Etat s'engageant à rembourser les dépenses réellement faites par R.F.F dans les conditions visées au point 4.4. ci-dessous. En outre, l'Etat verse à R.F.F. une somme forfaitaire destinée à le libérer des charges d'entretien ultérieur de l'ouvrage. Le montant du versement libératoire, établi conformément à l'article 2.4 du protocole des 20 et 23 septembre 1985 est évalué à 1,5 MF HT, suivant détail figurant à l'annexe 1, mais ne sera fixé définitivement qu'après connaissance des dépenses réelles de réalisation des travaux (...) ". Enfin, l'article 4.4 de cette convention, cité au point 15 du présent arrêt précise que le décompte général et définitif comprend : " les dépenses relatives aux travaux objet de la présente convention réellement engagées ", le " versement libératoire des charges d'entretien ultérieur de l'ouvrage ", les " dépenses relatives aux ralentissements des trains réellement engagées " ainsi qu'une " somme forfaitaire correspondant aux prestations de maîtrise d'ouvrage et de maitre d'oeuvre assurée par la SNCF ".

23. Il résulte de l'instruction qu'en application de la convention du 15 avril 1999, l'Etat a payé la somme de 3 822 262,69 euros à SNCF Réseau.

24. En application de l'article 4.4 de la convention du 15 avril 1999, SNCF Réseau demande une somme supplémentaire de 70 370,55 euros au titre des dépenses réellement engagées relatives aux travaux ainsi que la somme de 14 504 euros au titre des prestations de maîtrise d'ouvrage et de maîtrise d'oeuvre assurées par la SNCF, soit pour ces honoraires, moins de 0,4 % du coût initial des travaux et des travaux supplémentaires d'un montant de 3 892 633 euros (= 3 822 262,69 + 70 370,55). Le versement libératoire de 6 % du montant des travaux correspondant à l'entretien ultérieur de l'ouvrage, s'établit, en conséquence, ainsi que le stipule l'article 4.1 de la convention à la somme de 234 428,24 euros (= 3 892 633 + 14 504 x 0,06). SNCF Réseau demande également la somme de 213 866,94 euros, soit 5,4 % du coût des travaux, au titre des dépenses relatives aux ralentissements des trains réellement engagées.

25. En se bornant à soutenir que le montant de ces dépenses n'est pas justifié alors qu'il résulte de l'instruction qu'il correspond aux dépenses prévues par les stipulations de la convention, s'agissant notamment du versement libératoire et que la facture relative aux dépenses de ralentissement des trains était jointe au courrier du 17 décembre 2009 par lequel SNCF Réseau apportait des précisions en réponse à des interrogations de l'autorité administrative, l'Etat ne conteste pas sérieusement la réalité et le montant des sommes dont il est redevable en exécution de la convention du 15 avril 1999 qui sont suffisamment établis.

26. Il suit de là que la société SNCF Réseau est fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 533 169,71 euros hors taxes (HT) en règlement du solde du marché de travaux publics relatif à la construction d'un pont-rail dans le cadre de l'aménagement de la rocade nord-ouest de Besançon.

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

27. La société SNCF Réseau a droit aux intérêts au taux légal sur la somme mentionnée au point précédent à compter de la date de réception par les services de l'Etat de sa demande du 11 décembre 2009 tendant au paiement du solde des travaux prévus par la convention du 15 avril 1999.

28. La capitalisation des intérêts a été demandée le 11 août 2017. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Les intérêts seront donc capitalisés à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais liés à l'instance :

29. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à SNCF Réseau de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 17 janvier 2019 du tribunal administratif de Besançon est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à SNCF Réseau la somme de 533 169,71 euros hors taxes (HT) avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'administration de la demande de paiement du solde des travaux du 11 décembre 2009. Les intérêts échus à la date du 11 août 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à SNCF Réseau une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à SNCF Réseau et à la ministre de la transition écologique.

2

N° 19NC00659


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 19NC00659
Date de la décision : 23/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968.

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968 - Interruption du cours du délai.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SYMCHOWICZ WEISSBERG ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-03-23;19nc00659 ?
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