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18/02/2021 | FRANCE | N°19NC02199

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 18 février 2021, 19NC02199


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 13 mars 2019 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1902022 du 29 avril 2019, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2019, M. D..., représenté par Me A..., dema

nde à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au pré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 13 mars 2019 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1902022 du 29 avril 2019, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2019, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour, à défaut de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt et au besoin sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne s'est pas prononcé sur les moyens tirés du défaut de motivation et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;

- l'obligation de quitter le territoire : n'a pas été précédée d'un examen complet de sa situation ; viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de destination viole l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales compte tenu des risques encourus en cas de retour en Albanie ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire est insuffisamment motivée en ce que le préfet n'a pas pris en compte les quatre critères prévus par la loi ; ne repose pas sur un examen approfondi de sa situation, repose sur une appréciation manifestement erronée de sa situation et viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2021, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 27 juin 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement et du Conseil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n°2020-1402 et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant albanais né le 11 mars 1994, est entré en France selon ses déclarations le 18 janvier 2016 et a sollicité la reconnaissance du statut de réfugié qui lui a été refusé tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 avril 2016 que par la Cour nationale du droit d'asile le 14 septembre 2016. Le 27 janvier 2017, le requérant a fait l'objet d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français avec délai et fixant le pays de destination. Le 27 septembre 2018, M. D... a sollicité le réexamen de sa demande d'asile qui a été rejetée comme irrecevable le 17 octobre 2018. Par arrêté du 13 mars 2019, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant un an. Par le jugement attaqué du 29 avril 2019, dont M. D... relève appel, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort de la demande de M. D... devant le tribunal administratif que le requérant avait demandé l'annulation de la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire par les moyens qu'elle était insuffisamment motivée et qu'elle portait une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. Le jugement attaqué n'a pas répondu à ces conclusions et moyens alors pourtant qu'il les avait visés. Par suite, M. D... est fondé à demander dans cette mesure l'annulation du jugement entrepris et il y aura lieu pour la cour d'évoquer afin de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de cette décision.

Sur l'obligation de quitter le territoire :

3. Aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent. ". Aux termes de l'article L. 743-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : (...) 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I (...) de l'article L. 723-2 (...) ". Aux termes de l'article L. 723-2 de ce code : " I. - L'office statue en procédure accélérée lorsque : / 1° Le demandeur provient d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr en application de l'article L. 722-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° (...) si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité".

4. Il ressort des pièces du dossier que par décision du 17 octobre 2018, la demande d'asile de M. D... a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides statuant en procédure accélérée en application du 1° du I de l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'en suit, d'une part, que l'attestation de demande d'asile délivrée à l'intéressée sur le fondement des dispositions de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, valable jusqu'au 27 décembre 2018, est devenue caduque, et, d'autre part, que le préfet de la Moselle pouvait user de sa faculté de la retirer.

5. En dépit de ce que la procédure accélérée a été utilisée, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Moselle se serait cru en situation de compétence liée pour prendre une mesure d'éloignement à la suite de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et se serait refusé à examiner l'ensemble des éléments de la situation personnelle de M. D.... Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit sera écarté.

6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. M. D... soutient qu'il a fixé le centre de ses intérêts matériels et moraux en France. Toutefois, le requérant ne fait état d'aucune intégration sociale et professionnelle sur le territoire français et n'établit pas être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine où il a vécu la majeure partie de sa vie. Par ailleurs, si le requérant affirme que la cellule familiale ne peut pas se reconstituer dans son pays d'origine dès lors que son épouse a sollicité son admission au séjour en raison de son état de santé, il ne produit aucun élément à l'appui de ses affirmations. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté. Par les mêmes motifs, le préfet n'a pas davantage commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur sa situation personnelle et familiale.

Sur la décision fixant le pays de destination :

8. Si M. D... soutient que la décision fixant l'Albanie comme pays vers lequel il pourrait être éloigné d'office méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les documents qu'il produit à l'appui de ce moyen, faisant état d'une vendetta familiale par laquelle le grand-père de son épouse chercherait à les tuer au motif qu'elle s'est mariée sans respecter l'ordre de primogéniture, sont dépourvus de toute crédibilité. Par suite, le moyen sera écarté.

Sur l'interdiction de retour sur le territoire :

9. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable au présent litige : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) / Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative peut prononcer une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de sa notification. (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

10. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

11. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

12. Il ressort de la décision en litige que le préfet a pris en compte la durée de présence de l'intéressé en France, sa situation de famille, l'absence de liens sur le territoire, l'existence d'une précédente mesure d'éloignement, l'absence de risque pour l'ordre public pour en conclure à une durée d'un an d'interdiction de retour qu'il a estimée n'être pas disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision sera écarté.

13. Eu égard à la présence illégale du requérant en France, à l'existence d'une précédente mesure d'éloignement et à l'absence d'intégration particulière sur le territoire français, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en prononçant à l'encontre du requérant une interdiction de retour en France d'une durée d'un an.

14. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire pour une durée d'un an.

Sur l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'avocat de M. D... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais que ce dernier aurait exposés dans la présente instance s'il n'avait été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1902022 du tribunal administratif de Strasbourg du 29 avril 2019 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions de la demande de M. D... tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Moselle lui faisant interdiction de retour sur le territoire pour une durée d'un an.

Article 2 : La demande de M. D... présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Moselle lui faisant interdiction de retour sur le territoire pour une durée d'un an est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. D... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie du présent arrêt sera adressée au préfet de la Moselle.

N° 19NC02199 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02199
Date de la décision : 18/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : GRÜN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-02-18;19nc02199 ?
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