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16/02/2021 | FRANCE | N°20NC00771

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 16 février 2021, 20NC00771


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 5 novembre 2019, par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être renvoyée.

Par un jugement n°1903618 du 21 février 2020, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une r

equête, enregistrée le 20 mars 2020, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 5 novembre 2019, par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être renvoyée.

Par un jugement n°1903618 du 21 février 2020, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 mars 2020, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 21 février 2020 du magistrat désigné du tribunal administratif de Nancy ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 novembre 2019 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être renvoyée ;

3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la délégation de signature de l'auteur de l'acte n'est pas suffisamment précise ;

- l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est incompatible avec les objectifs de la directive 2008/115/CE ;

- le préfet a commis une erreur de droit en ne motivant pas les raisons qui justifient qu'il ne soit pas dérogé au délai de départ volontaire de trente jours ;

- le préfet n'a pas tenu compte des éléments particuliers, notamment médicaux et de son âge, justifiant qu'un délai de départ volontaire supérieur à trente jours lui soit accordé ;

- un délai de départ volontaire supérieur à trente jours aurait dû lui être accordé ;

- elle n'a pas été en mesure de présenter ses observations préalables en méconnaissance de l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration et de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la décision litigieuse méconnaît son droit à une vie privée et familiale normale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2021, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet à ses écritures en défense devant le tribunal administratif de Nancy.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 juillet 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B..., présidente, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante géorgienne née le 28 janvier 1951, est entrée en France en 2018. Par une décision du 7 juin 2018, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 19 septembre 2019. Par un arrêté du 5 novembre 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être renvoyée. Par un jugement du 21 février 2020, dont Mme D... relève appel, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 novembre 2019.

Sur les moyens communs dirigés contre l'arrêté :

2. En premier lieu, l'arrêté du 2 octobre 2019 du préfet de Meurthe-et-Moselle, régulièrement publié au recueil des actes de la préfecture n° 72 du 4 octobre 2019 portant délégation de signature à M. A..., directeur de la citoyenneté et de l'action locale de la préfecture, qui énumère limitativement les différentes attributions pour lesquelles il dispose d'une délégation de signature, est suffisamment précis quant au champ de cette délégation. Il donne délégation à M. A... pour signer notamment les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de M. A..., signataire de l'arrêté contesté, doit être écarté.

3. En second lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Cette droite comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ".

4. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise après que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2 du même code, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du défaut de reconnaissance de cette qualité ou de ce bénéfice. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande de reconnaissance de sa qualité de réfugié. Lorsqu'il sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, l'intéressé ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié, n'impose pas à l'autorité administrative de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise en conséquence du refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié ou de l'octroi du bénéfice de la protection subsidiaire.

5. Mme D... a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Il lui appartenait, lors du dépôt de sa demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'elle estimait utiles. Il lui était loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Elle ne pouvait ignorer, en raison même de l'accomplissement de cette démarche, qu'elle pourrait faire l'objet d'une mesure d'éloignement en cas de rejet de sa demande. Il lui appartenait, le cas échéant, de fournir spontanément à l'administration tout élément utile relatif à sa situation et notamment à d'éventuels motifs humanitaires de nature à justifier son admission au séjour à titre exceptionnel. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D... ait fait part de tels éléments à l'administration, ni même vainement tenté de le faire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... est entrée en France en 2018, à l'âge de soixante-sept ans, après avoir vécu l'essentiel de sa vie en Géorgie. Alors même qu'elle est divorcée, elle n'établit pas ne plus avoir d'attaches familiales ou privées en Géorgie. En outre, elle n'a pas nécessairement vocation à vivre avec son fils majeur, qui réside en France. De plus, elle n'établit pas que tous les membres de sa famille résideraient en France. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas son droit à une vie privée et familiale normale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur le délai de départ volontaire :

7. Aux termes de l'article 7 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 : " 1° La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 et 4. Les Etats membres peuvent prévoir dans leur législation nationale que ce délai n'est accordé qu'à la suite d'une demande du ressortissant concerné d'un pays tiers. Dans ce cas, les Etats membres informent les ressortissants concernés de pays tiers de la possibilité de présenter une telle demande. / Le délai prévu au premier alinéa n'exclut pas la possibilité, pour les ressortissants concernés de pays tiers, de partir plus tôt. / 2° Si nécessaire, les Etats membres prolongent le délai de départ volontaire d'une durée appropriée, en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée de séjour, l'existence d'enfants scolarisés et d'autres liens familiaux et sociaux. (...) ". En vertu du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " II. _ L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Le délai de départ volontaire accordé à l'étranger peut faire l'objet d'une prolongation par l'autorité administrative pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation (...) ".

8. En premier lieu, en prévoyant que le délai de départ volontaire accordé à l'étranger peut faire l'objet d'une prolongation et qu'un délai de départ volontaire supérieur à trente jours peut être accordé si des circonstances particulières le justifient, l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas incompatible avec les objectifs de l'article 7 de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à exciper de l'inconventionnalité des dispositions législatives en cause.

9. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté litigieux que le préfet de Meurthe-et-Moselle a estimé que Mme D... ne faisait état d'aucune circonstance particulière de nature à prolonger le délai de départ volontaire de trente jours mentionné au II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il a ainsi suffisamment exposé les considérations de droit et de fait justifiant que le délai de départ volontaire accordé à Mme D... ne soit pas prolongé. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision portant délai de départ volontaire doit, par suite, être écarté.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 de ce code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : (...) / 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière (...) ".

11. Si Mme D... soutient que la décision de lui accorder un délai de départ volontaire de tente jours a été prise en méconnaissance du principe du caractère contradictoire de la procédure, dès lors qu'elle n'a pas pu faire valoir ses observations préalablement à l'édiction de cette mesure, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, il ressort des dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative contentieuse auxquelles sont soumises les décisions portant obligation de quitter le territoire français ainsi que les décisions qui l'accompagnent, telle que la décision portant refus d'accorder un délai de départ volontaire de trente jours. Dès lors, les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui fixent les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées en vertu de l'article L. 211-2 de ce même code, ne sauraient être utilement invoquées par la requérante à l'encontre de la décision d'octroi d'un délai de départ volontaire de trente jours.

12. En dernier lieu, en se bornant à soutenir que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas tenu compte des éléments particuliers justifiant une prolongation de son délai de départ volontaire et notamment de son état de santé en se prévalant d'un certificat médical, qui n'est pas produit, Mme D... n'établit pas que sa situation justifiait qu'un délai de départ volontaire supérieur à trente jours lui soit accordé. En outre, l'âge de Mme D... n'est pas de nature, en tant que tel, à établir sa situation de vulnérabilité particulière.

Sur la décision fixant le pays de destination :

13. Mme D..., qui soutient qu'elle a dû fuir son pays en raison de la situation de son fils, policier qui a dû quitter la Géorgie, n'établit pas qu'elle serait personnellement et directement exposée à un risque actuel pour sa vie ou sa liberté en cas de retour dans son pays d'origine, alors, au surplus, que sa demande d'asile a été rejetée.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 novembre 2019 du préfet de Meurthe-et-Moselle.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée pour information au préfet de Meurthe-et-Moselle.

2

N° 20NC00771


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00771
Date de la décision : 16/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GRENIER
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SELARL GUITTON et GROSSET BLANDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-02-16;20nc00771 ?
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