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26/01/2021 | FRANCE | N°20NC00807

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 26 janvier 2021, 20NC00807


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 25 février 2018 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé la sanction d'exclusion temporaire de dix jours dont cinq ferme à son encontre.

Par un jugement n° 1900559 du 17 janvier 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 25 février 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mars

2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugemen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 25 février 2018 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice a prononcé la sanction d'exclusion temporaire de dix jours dont cinq ferme à son encontre.

Par un jugement n° 1900559 du 17 janvier 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 25 février 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mars 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 17 janvier 2020 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

Elle soutient que :

- une contre-visite médicale n'avait pas à être obligatoirement diligentée avant toute sanction disciplinaire ;

- l'organisation d'une contre-visite médicale était impossible dans la pratique ;

- l'arrêt maladie de M. B... n'est pas justifié par des raisons médicales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2020, M. A... B..., représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration, qui n'a réalisé aucune contre-visite et ne lui pas adressé de mise en demeure, ne peut contester le bien-fondé de son congé de maladie ;

- il n'a commis aucune faute de nature à justifier une sanction disciplinaire ;

- il est atteint d'un syndrome anxio-dépressif ;

- il n'y a aucun lien entre le mouvement social qui a commencé le 22 janvier 2018 et son arrêt de travail à compter du 24 janvier suivant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- le décret n° 66-874 du 21 novembre 1966 portant règlement d'administration publique relatif au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C..., présidente assesseur,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., surveillant pénitentiaire au centre de Villenauxe-la-Grande, a adressé à son administration un certificat d'arrêt de travail pour la période du 24 au 28 janvier 2018. Par un arrêté du 25 février 2018, qui lui a été notifié le 19 novembre suivant, la garde des sceaux, ministre de la justice, lui a infligé la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de dix jours, dont cinq jours ferme. Par un jugement du 17 janvier 2019, dont la garde des sceaux, ministre de la justice relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 25 février 2018 portant sanction disciplinaire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) ". L'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, prévoit que : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, dans sa rédaction alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit (...) ". En vertu de l'article 86 du décret du 21 novembre 1966 portant règlement d'administration publique relatif au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'autorité investie du pouvoir de nomination peut, sans consulter le conseil de discipline, prononcer toutes sanctions disciplinaires dans le cas d'acte collectif d'indiscipline caractérisée ou de cessation concertée du service, lorsque ces faits sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public ".

4. Par un arrêté du 25 février 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé la sanction d'exclusion temporaire de dix jours dont cinq ferme à l'encontre de M. B.... Pour annuler cette décision, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que l'administration n'établissait pas la réalité de la participation de M. B... à ce mouvement aux motifs que M. B... s'est prévalu d'un certificat médical, qu'aucune contre-visite n'a été diligentée sans que ne soit démontrée une impossibilité matérielle d'y procéder et que l'appel à blocage des établissements pénitentiaires ainsi que l'absence de justification des raisons médicales ayant justifié l'arrêt ne suffisaient pas à qualifier le certificat médical produit de complaisant.

5. Si en vertu des dispositions précitées au point 2 du présent arrêt, l'agent qui adresse à l'administration un avis d'interruption de travail est placé de plein droit en congé de maladie dès la demande qu'il a formulée sur le fondement d'un certificat médical, cela ne fait pas obstacle à ce que l'administration conteste le bien-fondé de ce congé. Dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, lorsqu'en dehors d'une période d'épidémie un nombre important et inhabituel d'arrêts maladie sont adressés à l'administration sur une courte période et que l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration peut contester le bien-fondé de ce congé par tous moyens. Il appartient alors à l'agent, seul détenteur des éléments médicaux, d'établir que ce congé était dûment justifié par des raisons médicales.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a adressé un certificat médical d'interruption de travail à son employeur pour la période du 24 au 28 janvier 2018. Aucune contre-visite n'a été diligentée par l'administration pour vérifier le bien-fondé de cet arrêt de travail. Cet arrêt s'est cependant produit dans le contexte d'un mouvement social de grande ampleur des surveillants pénitentiaires, bien que la cessation de travail leur soit interdite en vertu de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958. Ainsi, dans le centre pénitentiaire de Villenauxe-la-Grande dans lequel M. B... exerce, 86 des 143 surveillants pénitentiaires soit plus de 60 % d'entre eux, ont cessé leur travail à la même période et ce en dehors de toute épidémie. Le nombre quotidien d'arrêts maladie, qui s'établissait à 9,1 entre les 1er et 20 janvier 2018, s'est élevé à 50,5 par jour entre les 24 et 29 janvier 2018. Dans le ressort de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg, ce nombre est passé de 86 entre les 1er et 20 janvier 2018 à 126 entre les 22 et 31 janvier 2018. Au regard du nombre important et inhabituel d'arrêts maladie sur une courte période de huit à dix jours, l'administration démontre avoir été dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986.

7. Au regard de ces circonstances particulières, l'administration, en l'absence même de contre-visite, peut, en application du principe énoncé au point 5, ainsi contester par tout moyen le bien-fondé de l'arrêt maladie de M. B.... Or, les circonstances rappelées ci-dessus invoquées par l'administration permettent de douter sérieusement de la réalité des motifs médicaux le justifiant. Dans ces conditions il appartenait à M. B... d'établir que le certificat médical qui lui a été délivré était dûment justifié par des raisons médicales.

8. A cet égard, M. B... précise que son épouse a des problèmes cardiaques, qui ont été diagnostiqués au mois de janvier 2018, ce qui a entraîné une forte anxiété chez lui. Le médecin lui a alors prescrit un arrêt maladie au motif d'une anxiété. M. B... justifie, en outre, avoir subi des examens médicaux complémentaires notamment un électrocardiogramme le 5 février 2018 et un bilan sanguin, le 26 février suivant et a de nouveau consulté un médecin le 27 février. Son état dépressif en lien avec des soucis liés à l'état de santé de sa compagne et de sa mère est confirmé par le certificat médical du 6 septembre 2018 qui fait également état de l'opportunité d'envisager un rapprochement familial à La Réunion pour ce motif. Ces éléments ont été portés à la connaissance de l'administration dès le recours gracieux de l'intéressé. Alors même qu'ils sont postérieurs à la sanction disciplinaire litigieuse, ils font état de circonstances en lien avec son arrêt de maladie du 24 au 28 janvier 2018 inclus. Par suite, M. B... doit être regardé comme établissant le bien-fondé de son arrêt de travail pour raisons médicales. Il suit de là que la sanction prononcée au motif de la participation de M. B... à un mouvement collectif prohibé par l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, est entaché d'erreur de fait et d'erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 25 février 2018 par lequel elle a infligé à M. B... la sanction d'exclusion temporaire de fonction de dix jours, dont cinq jours ferme.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la garde des sceaux, ministre de la justice est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... B....

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N° 20NC00807


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC00807
Date de la décision : 26/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Congés - Congés de maladie.

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités locales - Droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983).


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : ENARD-BAZIRE-COLLIOU

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-01-26;20nc00807 ?
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