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29/12/2020 | FRANCE | N°18NC01542

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 29 décembre 2020, 18NC01542


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Solorima a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2004, 2005 et 2006, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1601968 du 27 mars 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mai 2018 et 24 juin 2019, la SAS Solorima, re

présentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 mars 2018 par lequel ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Solorima a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2004, 2005 et 2006, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1601968 du 27 mars 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mai 2018 et 24 juin 2019, la SAS Solorima, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2004, 2005 et 2006, et des pénalités correspondantes ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- en se référant uniquement aux témoignages issus d'une procédure judiciaire, l'administration n'a pas motivé sa proposition de rectification ;

- c'est à tort que l'administration a qualifié d'acte anormal de gestion la prise en charge par la SAS Laboratoires G... du coût salarial de trois salariés, dont deux étaient mis à disposition de la société Rocal dans le cadre d'un contrat d'assistance, et dont le troisième n'exerçait pas la fonction de dirigeant de fait de la société LHL comme l'a considéré l'administration ;

- l'administration a fixé de manière discrétionnaire la proportion du temps de travail de M. A... au bénéfice de la société LHL ;

- l'administration fiscale ne pouvant lui opposer le délai spécial de reprise prévu à l'article L. 170 du livre des procédures fiscales, les impositions au titre des exercices clos du 31 janvier 2004 au 31 janvier 2007 sont prescrites ;

- les pénalités pour manquement délibéré ne sont pas fondées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Solorima ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Solorima est la société mère d'un groupe fiscalement intégré dont fait partie la SAS Laboratoires G..., qui a pour activité la fabrication et la vente en gros de spécialités homéopathiques. A la suite d'un droit de communication exercé le 10 novembre 2011 auprès des autorités judiciaires, l'administration a rectifié les bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés de la SAS Laboratoires G.... Par proposition de rectification du 19 octobre 2012, l'administration a notifié à la SAS Solorima dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2004, 2005 et 2006, et des pénalités correspondantes qu'en tant que société mère du groupe fiscalement intégré, elle était amenée à supporter. La SAS Solorima relève appel du jugement du 27 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et pénalités.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales dans sa version applicable au litige : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : "La notification de redressement prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs du redressement envisagé. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la notification". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une notification de redressement doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ses motifs.

3. La société requérante soutient qu'en se référant aux éléments de la procédure judiciaire, et notamment à des témoignages, l'administration a insuffisamment motivé les rectifications en cause. Il résulte au contraire de l'instruction que la proposition de rectification du 19 octobre 2012 comporte la désignation de l'impôt concerné, les années d'imposition, la base d'imposition et énonce les motifs sur lesquels l'administration s'est fondée pour caractériser l'existence d'un acte anormal de gestion. Si l'administration se réfère aux auditions de témoins recueillies dans le cadre de la procédure pénale ouverte à la suite d'une plainte, la proposition de rectification comporte par ailleurs l'analyse du vérificateur des autres pièces du dossier pénal. Enfin, la contestation du bien-fondé de la motivation de la proposition de rectification ne saurait pas avoir d'incidence sur sa régularité. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne le délai de prescription :

4. En vertu du premier alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, le droit de reprise de l'administration s'exerce, pour l'impôt sur le revenu, jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. Toutefois, aux termes de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales, alors en vigueur dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 188 C du même livre : " Même si les délais de reprise prévus à l'article L. 169 sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ".

5. La circonstance que les renseignements recueillis par l'administration fiscale, avant le début d'une instance devant les tribunaux, au sens de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales, ne pouvaient suffire à fonder les redressements correspondant aux insuffisances d'imposition qui pouvaient être présumées n'établit pas, par elle-même, que ces insuffisances doivent être nécessairement regardées comme ayant été révélées par cette instance. Pour apprécier si l'administration fiscale peut se prévaloir du délai spécial de reprise prévu par cet article, le juge doit, dès lors qu'il est saisi d'une argumentation en ce sens, rechercher si l'administration disposait, avant l'ouverture de l'instance devant les tribunaux, dans le délai normal de reprise ou même après son expiration, d'éléments suffisants pour lui permettre, par la mise en oeuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, d'établir les insuffisances ou omissions d'impositions.

6. Pour soutenir que l'administration ne saurait se prévaloir du délai spécial de reprise prévu par l'article L. 170 du livre des procédures fiscales, la SAS Solorima soutient que les insuffisances ou les omissions d'imposition ne peuvent être regardées comme révélées par l'instance ouverte par la plainte pénale de M. D... dès lors que le service disposait, à la suite des vérifications de comptabilité engagées en 2004 auprès d'elle-même et de la société Rocal en ce qui concerne la période du 1er janvier au 31 décembre 2003, de l'ensemble des éléments lui permettant de remettre en cause les facturations aux sociétés Rocal et LHL de la mise à disposition de MM. E... et C..., d'une part, de M. A..., d'autre part.

7. Si la société soutient que la vérificatrice a demandé des explications sur les prestations facturées chaque année au titre des conventions d'assistance, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration fiscale aurait disposé, avant l'exercice de son droit de communication, d'éléments suffisamment précis pour savoir, au besoin par la mise en oeuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, que ces mises à disposition à la société Rocal, qui faisaient l'objet d'une refacturation partielle, pour un montant de 3 800 euros, concernaient en réalité l'intégralité de l'activité professionnelle de MM. E... et C..., ainsi que l'ont révélé les auditions réalisées par le juge d'instruction. Il en va de même de la mise à disposition de M. A... à la société luxembourgeoise LHL, qui n'a fait l'objet entre les deux sociétés d'aucun contrat et n'a donné lieu à aucune refacturation.

8. Dans ces conditions, les insuffisances d'impôt sur les sociétés ayant donné lieu aux rehaussements en litige doivent être regardés comme ayant été révélées par l'instance devant le juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Metz au sens et pour l'application de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales, de sorte que l'administration pouvait à bon droit, contrairement à ce que soutient la société requérante, se prévaloir du délai spécial de reprise ouvert par ces dispositions.

En ce qui concerne les impositions mises à la charge de la SAS Solorima :

9. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt, hors le cas où la situation de deux sociétés serait telle que la première puisse être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt en s'appauvrissant au profit de la seconde. C'est au regard du seul intérêt propre de l'exploitation concernée et non celui du groupe que l'administration doit apprécier si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d'une gestion commerciale normale. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'une société a commis un acte anormal de gestion en renonçant à des recettes, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.

10. D'une part, si la SAS Laboratoires G... avait refacturé à la société Rocal une somme de 3 800 euros au titre de l'assistance matérielle qu'elle lui avait apportée, l'administration a réintégré dans le bénéfice imposable de la société requérante la somme totale de 114 132 euros, correspondant à la totalité des coûts salariaux relatifs à l'emploi de MM. E... et C..., motif pris de ce qu'ils avaient intégralement été mis à disposition de la société Rocal. Il résulte de l'instruction, notamment des auditions concordantes de Messieurs D..., Maurice, Robert, E..., C..., et de Mme J..., salariés de la société requérante au cours de l'exercice en litige, que, contrairement à ce que soutient la société requérante, M. E... et M. C... exerçaient la totalité de leur activité professionnelle au sein de la société Rocal respectivement depuis 2001 et 1995. Si la société requérante explique qu'il y avait un intérêt stratégique pour la SAS Laboratoires G... à placer des employés de confiance au sein des effectifs de la société Rocal, afin d'être informée des évènements majeurs susceptibles d'y intervenir, elle n'apporte aucun élément précis relatif aux informations obtenues dans l'intérêt de l'activité de sa filiale, en contrepartie de l'absence de facturation correspondant à ces mises à disposition. La SAS Solorima n'est, par suite, pas fondée à soutenir que la SAS Laboratoires G... a bénéficié d'une contrepartie suffisante en mettant MM. E... et C... à disposition de la société Rocal.

11. D'autre part, l'administration a également réintégré dans les bénéfices de la SAS Laboratoires G... 90 % de la rémunération versée à M. A... au titre de l'exercice clos en 2003, au motif qu'il exerçait son activité au profit de la société luxembourgeoise LHL à concurrence de telles proportions. Il résulte de l'instruction, notamment des auditions concordantes de mêmes personnes, mais également de MM. H..., ancien dirigeant de la société Rocal, de Mme G..., ancienne actionnaire de la SAS Laboratoires G..., de M I..., ancien membre du directoire et de MM. Ottemer et A..., anciens salariés de la SAS Laboratoires G..., que M. A..., à l'exception de certaines missions, était le seul dirigeant de fait de la société LHL entre 2002 et 2006, celle-ci ne comptant par ailleurs que deux salariés prenant ses ordres auprès de lui. Si la SAS Solorima fait grief à l'administration de s'être fondée sur les auditions de témoins qui étaient en conflit avec la SAS Laboratoires G..., tel n'est pas le cas de la totalité des personnes auditionnées, dont les auditions font état des mêmes éléments. Dans ces conditions, et alors même que cette mise à disposition n'a été formalisée dans aucun contrat et n'a donné lieu à aucune refacturation de la SAS Laboratoires G... à la société LHL, l'administration, eu égard aux auditions de M. H..., selon lequel M. A... avait conservé des missions à l'export vers l'Espagne et le Portugal pour le compte de la société requérante, et de M. D..., qui avait estimé à 98 % la part de ses activités pour LHL, doit être regardée comme apportant la preuve que M. A... était mis à disposition de la société LHL à concurrence de 90 % de son temps. Si la SAS Solorima fait valoir que cette proportion a été fixée de manière discrétionnaire, elle n'apporte, au soutien de ses allégations, aucun élément précis permettant de déterminer la part de son activité pour le compte de la SAS Laboratoires G.... Dès lors, c'est à bon droit que le service a qualifié d'acte anormal de gestion le coût ainsi supporté indûment par la SAS Laboratoires G.... La SAS Solorima n'est, par suite, pas fondée à soutenir que la SAS Laboratoires G... a bénéficié d'une contrepartie suffisante en mettant M. A... à disposition de la société LHL.

12. En dernier lieu, l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l'action publique. Tel n'est pas le cas des ordonnances de non-lieu que rendent les juridictions d'instruction quelles que soient les constatations sur lesquelles elles sont fondées. Par suite, à supposer même que la société requérante ait entendu soulever sur ce point un moyen, la circonstance que l'instruction de la plainte relative aux faits en litige ait été clôturée par une ordonnance de non-lieu rendue le 7 avril 2015 est sans incidence tant sur l'exercice du délai spécial de reprise par l'administration que sur l'appréciation du caractère normal de la gestion de la société, laquelle au demeurant, comme il a été dit plus haut, s'effectue au regard de l'intérêt propre de l'entreprise.

En ce qui concerne les pénalités pour manquement délibéré :

13. La société requérante reprend en appel, sans apporter d'élément nouveau, le moyen tiré de ce que l'administration fiscale n'a pas établi son intention délibérée d'éluder l'impôt. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à juste titre par le tribunal administratif de Strasbourg dans son jugement du 27 mars 2018.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Solorima n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Solorima est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Solorima et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

2

N° 18NC01542


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01542
Date de la décision : 29/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

19-01-03-04 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Prescription.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Stéphanie LAMBING
Rapporteur public ?: Mme HAUDIER
Avocat(s) : CABINET AYACHESALAMA

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-29;18nc01542 ?
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