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28/12/2020 | FRANCE | N°18NC03453

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 28 décembre 2020, 18NC03453


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, d'une part, d'annuler la décision du 26 juin 2017 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Troyes a refusé d'admettre que l'état anxiodépressif à l'origine de son arrêt de travail à compter du 22 octobre 2016 constituait une rechute de sa dépression de janvier 2014 reconnue imputable au service et décidé que les arrêts de travail et les soins à compter du 22 octobre 2016 seraient pris en charge au titre de la maladie

ordinaire par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aube et, d'autre p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, d'une part, d'annuler la décision du 26 juin 2017 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Troyes a refusé d'admettre que l'état anxiodépressif à l'origine de son arrêt de travail à compter du 22 octobre 2016 constituait une rechute de sa dépression de janvier 2014 reconnue imputable au service et décidé que les arrêts de travail et les soins à compter du 22 octobre 2016 seraient pris en charge au titre de la maladie ordinaire par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aube et, d'autre part, d'enjoindre au centre hospitalier de prendre en charge, au titre de la législation sur les accidents de service, son arrêt du travail à compter du 22 octobre 2016, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 1701616 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, d'une part, annulé la décision du directeur du centre hospitalier de Troyes du 26 juin 2017 et, d'autre part, enjoint au centre hospitalier de prendre en charge, au titre de la législation sur les accidents de service, l'arrêt du travail de Mme A... pour la période du 22 octobre 2016 au 13 juillet 2017.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 18NC03453 le 21 décembre 2018, complétée par des mémoires enregistrés les 28 mars 2019 et 18 septembre 2020, le centre hospitalier de Troyes, représenté par la SCP Colomes-Mathieu-Zanchi, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 octobre 2018 ;

2°) de rejeter la demande de Mme A... tendant à faire reconnaître comme étant imputables au service ses arrêts de travail et les soins du 22 octobre 2016 au 17 août 2017 inclus ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 2 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en jugeant que l'état de santé de Mme A... devait être pris en charge au titre de l'accident de service de 2014, alors que la condition tenant à l'exclusivité du lien de causalité n'était pas satisfaite, le tribunal a commis une erreur de droit ;

- il n'y a pas de lien direct et certain entre l'arrêt de travail du 22 octobre 2016 et l'état anxiodépressif de 2014, dès lors que l'environnement professionnel est différent, que l'intéressée a été victime le 1er mars 2016 d'un autre accident reconnu imputable au service, que la consolidation était acquise au 1er octobre 2014 et qu'il n'y a eu aucun protocole de soin pour une prise en charge au titre de l'accident de service de 2014 à partir du 21 octobre 2016.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 février 2019, 7 mai 2019 et 22 septembre 2020, Mme E... A..., représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au centre hospitalier de Troyes de reconnaître ses arrêts de travail et les soins du 22 octobre 2016 au 17 août 2017 inclus comme étant imputables au service, et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Troyes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 14 septembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 12 octobre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Favret, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... A..., aide-soignante au centre hospitalier de Troyes, a été victime à la fin de l'année 2013 d'une dépression que son employeur a reconnue imputable au service à compter du 3 janvier 2014, date de son premier arrêt de travail. Mme A... a repris son activité, d'abord à temps partiel en octobre 2014, puis à temps complet en octobre 2015. Après avoir été placée en arrêt de travail en mars 2016, en raison d'une lombalgie reconnue comme étant imputable au service, elle n'a pas été en mesure de reprendre ses fonctions et a été placée à nouveau en arrêt de travail à compter du 22 octobre 2016, en raison de son état anxio-dépressif. Par une décision en date du 26 juin 2017, le directeur du centre hospitalier de Troyes a, d'une part, refusé d'admettre que son état anxiodépressif à l'origine de son arrêt de travail à compter du 22 octobre 2016 constituait une rechute de sa dépression de janvier 2014 reconnue imputable au service et, d'autre part, décidé que les arrêts de travail et les soins à compter du 22 octobre 2016 seraient pris en charge au titre de la maladie ordinaire par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aube. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, d'une part, d'annuler cette décision du 26 juin 2017 et, d'autre part, d'enjoindre au centre hospitalier de prendre en charge, au titre de la législation sur les accidents de service, son arrêt du travail à compter du 22 octobre 2016, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir. Le centre hospitalier de Troyes fait appel du jugement du 23 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a fait droit à sa demande.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaire relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. / L'établissement ou la collectivité dont il relève est subrogé dans les droits éventuels du fonctionnaire victime d'un accident provoqué par un tiers jusqu'à concurrence du montant des charges qu'il a supportées ou supporte du fait de cet accident. L'établissement ou la collectivité est admis à poursuivre directement contre le responsable du dommage ou son assureur le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées audit fonctionnaire pendant la période d'indisponibilité de celui-ci. ".

3. Le droit, prévu par ces dispositions, d'un fonctionnaire hospitalier en congé de maladie à conserver l'intégralité de son traitement en cas de maladie provenant d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions est soumis à la condition que la maladie mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'accomplir son service soit en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions. Ainsi, et contrairement à ce que soutient le centre hospitalier de Troyes, le juge n'exige pas l'exclusivité du lien de causalité entre la pathologie en cause et le service.

4. Il ressort des pièces du dossier, notamment d'attestations, de certificats médicaux ou de rapports de plusieurs médecins ayant examiné Mme A... en 2016 et 2017, que l'état anxiodépressif de cette dernière ne s'était pas sensiblement amélioré depuis le début de l'année 2014. Ainsi, dans une attestation en date du 15 octobre 2016, Mme C..., psychologue clinicienne en charge de la requérante, mentionne un " état dépressif toujours persistant ", soulignant que " le suivi psychologique mis en place depuis février 2015 était encore nécessaire pour la patiente qui présentait toujours un état anxiodépressif réactionnel consécutif à l'accident de service de janvier 2014 ". Si le Dr Fruntes, expert psychiatre agréé, indique dans son rapport en date du 8 novembre 2016 que la problématique anxio dépressive imputable à l'accident de travail de janvier 2014 a été consolidée à la date du 1er octobre 2014 et que la rechute anxio dépressive actuelle évoluant depuis le 3 mars 2016 ne lui semble pas être " liée de manière certaine, directe et exclusive à l'accident de travail de janvier 2014 ", il souligne également que l'intéressée " présente une problématique anxio dépressive réactionnelle évoluant depuis 2014 dans un contexte de problèmes professionnels (harcèlement moral allégué) ". Dans un certificat médical en date du 20 janvier 2017, le Dr Fauvernier, médecin-traitant de Mme A..., souligne que les difficultés rencontrées sur le lieu de travail " nuisent au travail de reconstruction, de restauration de la confiance en soi, ce qui l'empêche de sortir de son état anxiodépressif ". Le Dr Brun, psychiatre des hôpitaux, qui a examiné Mme A... le 3 mai 2017 à la demande de la commission de réforme, souligne dans son rapport d'expertise que " l'état anxio-dépressif réactionnel au stress survenu autour de décembre 2013 et janvier 2014, n'étant ni guéri ni consolidé, constitue la seule cause de sa difficile intégration à son nouveau poste, de ses relations compliquées avec l'encadrement et de sa décompensation sous forme de lombalgies dont l'origine anxieuse fut constatée par l'expert rhumatologue ". De son côté, la commission de réforme a émis, le 9 mai 2017, un avis favorable à la prise en charge, au titre de la législation sur les accidents de service, de l'arrêt du travail de Mme A... pour la période du 22 octobre 2016 au 13 juillet 2017 (période pour laquelle elle était saisie). Il n'est au demeurant pas contesté que Mme A... a bénéficié, du 15 octobre 2014 au 21 octobre 2014, du 12 février 2015 au 27 février 2015, du 26 octobre 2015 au 6 novembre 2015 et, enfin, du 27 novembre 2015 au 4 décembre 2015, de plusieurs arrêts de travail liés à son état anxiodépressif apparu en 2014, et que ces arrêts de travail ont été reconnus imputables à l'accident de service du 3 janvier 2014.

5. Par suite, et nonobstant les circonstances, d'une part, que l'environnement professionnel de Mme A... avait évolué depuis 2014 et, d'autre part, que la lombalgie dont Mme A... a été victime le 1er mars 2016 a pu réactiver sa dépression survenue au début de l'année 2014, l'état anxio-dépressif de la requérante ayant conduit à son arrêt de travail le 22 octobre 2016, prolongé jusqu'au 14 avril 2017, doit être regardé comme étant la conséquence directe et certaine de son état anxiodépressif de janvier 2014, reconnu imputable au service. Dès lors, en refusant d'admettre que l'état anxiodépressif de Mme A... à l'origine de l'arrêt de travail à compter du 22 octobre 2016 constituait une rechute de la dépression de janvier 2014 et en décidant que les arrêts de travail et les soins à compter du 22 octobre 2016 seraient pris en charge au titre de la maladie ordinaire par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aube, le centre hospitalier de Troyes a inexactement apprécié les faits de l'espèce.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de Troyes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du directeur du centre hospitalier de Troyes du 26 juin 2017 et enjoint au centre hospitalier de prendre en charge, au titre de la législation sur les accidents de service, son arrêt du travail pour la période du 22 octobre 2016 au 13 juillet 2017.

Sur les conclusions d'appel incident de Mme A... :

7. Les premiers juges ayant enjoint au centre hospitalier de Troyes de prendre en charge les arrêts de travail de la période du 22 octobre 2016 au 13 juillet 2017 au titre de la législation sur les accidents de service, Mme A... demande à la cour, par un appel incident, d'enjoindre au centre hospitalier de reconnaître également l'imputabilité au service de ses arrêts de travail du 13 juillet 2017 au 17 août 2017 inclus.

8. D'une part, les conclusions d'appel incident de Mme A... ne soulèvent pas un litige distinct de celui qui résulte de l'appel principal.

9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a été placée en arrêt de travail du 13 juillet 2017 au 17 août 2017, pour " dépression réactionnelle en voie d'amélioration mais insuffisante pour une reprise à ce jour ". Ainsi libellé, cet arrêt de travail doit être regardé comme en lien direct et certain avec l'état anxiodépressif de l'intéressée de janvier 2014, et reconnu imputable au service.

10. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au centre hospitalier de Troyes de reconnaître comme étant imputable au service l'arrêt de travail portant sur la période du 13 juillet au 17 août 2017.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le centre hospitalier de Troyes demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Troyes une somme de 2 000 euros à verser à Mme A... au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du centre hospitalier de Troyes est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au centre hospitalier de Troyes de reconnaître comme étant imputable au service l'arrêt de travail portant sur la période du 13 juillet au 17 août 2017.

Article 3 : Le centre hospitalier de Troyes versera à Mme A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Troyes et à Mme E... A....

Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.

2

N° 18NC03453


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC03453
Date de la décision : 28/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-05-02 Fonctionnaires et agents publics. Positions. Disponibilité.


Composition du Tribunal
Président : Mme GROSSRIEDER
Rapporteur ?: M. Jean-Marc FAVRET
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : SCP CHOFFRUT-BRENER-BOIA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-28;18nc03453 ?
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