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01/12/2020 | FRANCE | N°20NC01275-20NC01276

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 01 décembre 2020, 20NC01275-20NC01276


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... D... et Mme A... G..., épouse D..., ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 6 janvier 2020 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils seront renvoyés, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle, sous astreinte, de leur délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale

" ou, à défaut, " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... D... et Mme A... G..., épouse D..., ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 6 janvier 2020 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils seront renvoyés, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle, sous astreinte, de leur délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, subsidiairement, de réexaminer leur situation et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour les autorisant à travailler et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2000366-2000367 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés du 6 janvier 2020 du préfet de Meurthe-et-Moselle, lui a enjoint de délivrer à M. et Mme D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement, a mis à la charge de l'Etat le versement de 1 000 euros au conseil de M. et Mme D... sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions des requêtes de ces derniers.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n°20NC01275, le 23 juin 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 9 juin 2019 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Nancy.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les décisions de refus de séjour prises à l'encontre de M. et Mme D... méconnaissaient les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés par les requérants devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2020, M. et Mme D..., représentés par Me B..., concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à bon droit que le tribunal a annulé les arrêtés du 6 janvier 2020 pour les motifs qu'il a retenus ;

- les décisions de refus de séjour sont entachées d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le 7 de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'annulation des obligations de quitter le territoire français s'impose comme étant la conséquence de l'annulation des refus de séjour ;

- les obligations de quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'annulation des décisions accordant un délai de départ volontaire de trente jours s'impose comme étant la conséquence de l'annulation des refus de séjour et des obligations de quitter le territoire français ;

- les décisions accordant un délai de départ volontaire de trente jours sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elles sont entachées d'une erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé lié ;

- l'annulation des décisions fixant le pays de destination s'impose comme étant la conséquence de l'annulation des refus de séjour, des obligations de quitter le territoire français et des décisions accordant un délai de départ volontaire de trente jours ;

- les décisions fixant le pays de destination ne sont pas motivées.

II. Par une requête, enregistrée sous le n°20NC01276, le 23 juin 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Nancy du 9 juin 2020.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les décisions de refus de séjour prises à l'encontre de M. et Mme D... méconnaissaient les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ce moyen sérieux est de nature à justifier la demande de sursis à exécution du jugement attaqué ;

- les autres moyens soulevés par les requérants devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2020, M. et Mme D..., représentés par Me B..., concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à bon droit que le tribunal a annulé les arrêtés du 6 janvier 2020 pour les motifs qu'il a retenus si bien que la demande de sursis à exécution du jugement ne pourra être que rejetée ;

- les décisions de refus de séjour sont entachées d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le 7 de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'annulation des obligations de quitter le territoire français s'impose comme étant la conséquence de l'annulation des refus de séjour ;

- les obligations de quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'annulation des décisions accordant un délai de départ volontaire de trente jours s'impose comme étant la conséquence de l'annulation des refus de séjour et des obligations de quitter le territoire français ;

- les décisions accordant un délai de départ volontaire de trente jours sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elles sont entachées d'une erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé lié ;

- l'annulation des décisions fixant le pays de destination s'impose comme étant la conséquence de l'annulation des refus de séjour, des obligations de quitter le territoire français et des décisions accordant un délai de départ volontaire de trente jours ;

- les décisions fixant le pays de destination ne sont pas motivées.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller,

- les observations de M. F..., représentant le préfet de Meurthe-et-Moselle,

- et les observations de Me C..., substituant Me B..., avocate de M. et Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D..., ressortissants albanais nés respectivement le 27 septembre 1976 et le 1er décembre 1982, déclarent être entrés en France le 5 septembre 2013, accompagnés de leurs deux filles mineures et ont sollicité le statut de réfugié. Leur demande d'asile a été rejetée par deux décisions du 11 mars 2014 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmées par deux décisions de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 4 décembre 2014. Par arrêtés du 19 janvier 2015, le préfet de Meurthe-et-Moselle leur a, en conséquence, refusé l'admission au séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils étaient susceptibles d'être éloignés d'office. Leurs recours contre ces décisions ont été rejetés par un jugement du tribunal administratif de Nancy du 16 juin 2015, confirmé par une ordonnance de la cour administrative d'appel de Nancy du 20 décembre 2016. Par un courrier du 27 mars 2019, les intéressés ont sollicité une admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêtés du 6 janvier 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle a, à nouveau, refusé de délivrer aux requérants un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixé l'Albanie comme pays de destination en cas d'éloignement forcé. Par un jugement du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés du 6 janvier 2020. Le préfet de Meurthe-et-Moselle relève appel de ce jugement et demande, par une requête distincte qu'il y a lieu de joindre, qu'il soit sursis à son exécution en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.

Sur la requête 20NC01275 :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Selon l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle les décisions en litige ont été prises, les intimés, âgés respectivement de quarante-trois et trente-sept ans, résidaient en France depuis plus de six ans et justifiaient d'une insertion tant sociale que professionnelle en France attestée par une maîtrise suffisante de la langue française, un emploi de carreleur en contrat à durée indéterminée pour M. D..., ainsi que deux autres promesses d'embauche dans le même secteur et un emploi de femme de ménage polyvalente pour Mme D... ainsi qu'une perspective d'emploi similaire pour une durée plus importante. Ils disposent en outre d'un logement qui leur est propre et sont à jour de leurs obligations fiscales. Leurs deux filles, qui sont entrées en France à l'âge de deux et neuf ans, poursuivent une scolarité assidue respectivement en école primaire et en lycée. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les efforts d'intégration de la famille sont établis par de nombreuses attestations émanant de divers amis et connaissances, mais aussi des enseignants, qui témoignent du sérieux des enfants, des efforts fournis ainsi que de leur intégration. Compte tenu de l'ensemble de ses éléments, alors même que les intéressés se sont maintenus irrégulièrement sur le territoire, ne disposent pas de liens familiaux en France et ont exercé illégalement une activité professionnelle, le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que les arrêtés contestés portaient une atteinte disproportionnée au droit de M. et Mme D... au respect de leur vie privée et familiale et méconnaissaient ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions du 6 janvier 2020 portant refus de titre de séjour et par suite celles portant obligations de quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Sur la requête 20NC01276 :

5. Le présent arrêt statue sur les conclusions du préfet de Meurthe-et-Moselle tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nancy du 9 juin 2020. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête susvisée par lesquelles le préfet de Meurthe-et-Moselle demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur les frais liés aux instances :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme D... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20NC01276 du préfet de Meurthe-et-Moselle à fin de sursis à exécution du jugement du 9 juin 2020.

Article 2 : La requête n°20NC01275 du préfet de Meurthe-et-Moselle est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. I... D... et à Mme A... G..., épouse D....

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

2

N° 20NC01275-20NC01276


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC01275-20NC01276
Date de la décision : 01/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sandrine ANTONIAZZI
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : CAGLAR

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-12-01;20nc01275.20nc01276 ?
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