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13/10/2020 | FRANCE | N°18NC03461

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 13 octobre 2020, 18NC03461


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société MAAF a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner solidairement la ville de Châlons-en-Champagne et Châlons-en-Champagne Habitat à lui verser la somme de 970 566,25 euros, en réparation des préjudices subis par Mme D... G... et ses proches, aux droits desquels elle est subrogée, du fait d'un accident de la circulation provoqué par son assuré M. E....

Par un jugement n° 1502718 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté

sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société MAAF a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner solidairement la ville de Châlons-en-Champagne et Châlons-en-Champagne Habitat à lui verser la somme de 970 566,25 euros, en réparation des préjudices subis par Mme D... G... et ses proches, aux droits desquels elle est subrogée, du fait d'un accident de la circulation provoqué par son assuré M. E....

Par un jugement n° 1502718 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 décembre 2018, 23 septembre 2019, 20 mars et 16 septembre 2020, la SA MAAF, représentée par Me J..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 23 octobre 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de condamner, conjointement et solidairement, la commune de Châlons-en-Champagne et Châlons-en-Champagne Habitat à lui verser la somme de 970 566,25 euros, cette somme devant être assortie des intérêts au taux légal ;

3°) de mettre à la charge, conjointe et solidaire, de la commune de Châlons-en-Champagne et de Châlons-en-Champagne Habitat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est compétente pour connaître du présent litige dont le fondement n'est pas la loi du 31 décembre 1957 ;

- elle a adressé une demande indemnitaire préalable à la commune de Châlons-en-Champagne et à Châlons-en-Champagne Habitat, le 23 décembre 2015, son action étant recevable ;

- le maire de la commune de Châlons-en-Champagne a commis plusieurs fautes dans l'exercice de son pouvoir de police ;

- il existe un lien direct de causalité entre l'accident de Mme G... et la carence du maire de Châlons-en-Champagne dans l'exercice de ses pouvoirs de police, en l'absence de sécurisation du cheminement des piétons et de réglementation de la circulation et du stationnement des véhicules aux abords du chantier ;

- la responsabilité de Châlons-en-Champagne Habitat, maître d'ouvrage, est également de nature à être engagée pour défaut de sécurisation des abords du chantier :

- la responsabilité de Châlons-en-Champagne Habitat, maître d'ouvrage, est susceptible d'être engagée, même sans faute, à l'égard de la victime, qui a la qualité de tiers par rapport aux travaux publics ;

- le chauffeur du véhicule n'a commis aucune faute ;

- elle a versé à Mme G... les sommes auxquelles le juge judiciaire l'a condamnée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 avril 2019, 28 janvier et 16 septembre 2020, la commune de Châlons-en-Champagne et la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne, représentées par Me B..., concluent, dans le dernier état de leurs écritures, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que Châlons-en-Champagne Habitat soit condamné à garantir la commune de Châlons-en-Champagne de l'ensemble des condamnations qui pourraient être mises à sa charge, au rejet des demandes de Châlons-en-Champagne Habitat dirigées contre elles et à ce qu'une somme de 2 500 euros à verser à chacune d'elles soit mise à la charge de la société MAAF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- seuls les agissements du chauffeur du camion sont à l'origine de l'accident dont a été victime Mme G... ;

- le maire n'a commis aucune faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police ;

- Châlons-en-Champagne Habitat doit être condamné à garantir la commune de Châlons-en-Champagne des condamnations qui pourraient être mises à sa charge, faute d'avoir prévu une zone de stationnement dans l'emprise du chantier et d'avoir établi un plan de circulation ;

- seule la responsabilité de Châlons-en-Champagne Habitat peut être engagée s'agissant de la signalisation du chantier et non celle de la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne Habitat ;

- les conclusions en appel en garantie présentées par Châlons-en-Champagne Habitat doivent être rejetées ;

- le montant des sommes versées à Mme G... n'est pas suffisamment établi.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 octobre 2019, 5 mai et 17 septembre 2020, Châlons-en-Champagne Habitat, représenté par Me C..., conclut, à titre principal, à l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître du litige, à titre subsidiaire, au rejet de la requête, à titre plus subsidiaire, à ce que la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne et la société Colas Nord Est soient condamnées à la garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être mises à sa charge et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société MAAF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- seul le juge judiciaire est compétent pour connaître du présent litige qui implique un véhicule ;

- aucun défaut d'organisation du chantier ne peut lui être imputé ;

- l'accident est imputable aux seules fautes du chauffeur du véhicule et de Mme G... ;

- l'accident, qui s'est produit en dehors de l'emprise du chantier, est sans lien avec ses modalités d'organisation ;

- la réalité des sommes versées à Mme G... n'est pas suffisamment établie ;

- la société Screg et Châlons-en-Champagne agglomération doivent être condamnées à le garantir des sommes qui pourraient être mises à sa charge ;

- son appel en garantie dirigé contre la société Screg, aux droits de laquelle vient la société Colas Nord Est, est recevable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2020, la société Colas Nord Est, venant aux droits de la société SCREG Est, représentée par Me H..., conclut à l'irrecevabilité de la requête, à l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur la requête, au rejet de toutes les demandes dirigées contre elle et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société MAAF, de Châlons-en-Champagne Habitat et de tout autre demandeur en garantie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les appels en garantie formés à son encontre pour la première fois en appel sont irrecevables ;

- en l'absence de recours préalable, la demande de la société MAAF est irrecevable ;

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître du litige relatif à un accident de la circulation ;

- elle n'a commis aucune faute dans ses obligations d'entreprise générale ;

- l'accident résulte de la seule faute du chauffeur du camion, en dehors de l'emprise du chantier ;

- les appels en garantie dirigés contre elle doivent être rejetés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la voirie routière ;

- la loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957 attribuant compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les actions en responsabilité des dommages causés par tout véhicule et dirigés contre une personne de droit public ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F..., présidente assesseur,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me A... pour la société MAAF et de Me B... pour la commune de Châlons-en-Champagne et la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne.

Considérant ce qui suit :

1. Châlons-en-Champagne Habitat a engagé une opération de réhabilitation du quartier de la Bidée sur le territoire de la commune de Châlons-en-Champagne. Cette opération comporte notamment la réhabilitation des nos 1 à 9 de la rue du Dr. Schweitzer, la déconstruction de logements et la réalisation de 16 logements collectifs. Un marché public de réhabilitation et de résidentialisation d'un immeuble de 50 logements aux nos 1 à 9 de la rue du Dr. Schweitzer a été conclu entre Châlons-en-Champagne Habitat et la société Screg Est, aux droits de laquelle vient la société Colas Nord Est. M. E..., auto-entrepreneur, assurait, en qualité de sous-traitant de la société SCREG Est, le transport et la livraison de goudron sur ce chantier. Le 1er mars 2011, alors qu'il manoeuvrait son camion pour décharger du goudron, M. E... a très grièvement blessé Mme G..., alors âgée de 75 ans. Par un jugement du 3 décembre 2014, le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne a condamné la société MAAF, assureur de M. E..., à verser à Mme G... et à ses ayant-droits la somme totale de 970 556,42 euros, dont 563 068,03 euros à Mme G... en réparation des préjudices subis ainsi qu'une rente viagère annuelle d'un montant de 18 563,50 euros, 10 000 euros à chacun de ses 7 ayant-droits ainsi que 10 000 euros à Mme K... G... en sa qualité de tutrice de Mme G... au titre de leur préjudice d'agrément et enfin, 139 916,87 euros à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) en remboursement de ses débours. Le 23 décembre 2015, la société MAAF, subrogée dans les droits de Mme G... et de ses ayant-droits qu'elle a indemnisés, a adressé une demande indemnitaire préalable à Châlons-en-Champagne Habitat et à la commune de Châlons-en-Champagne tendant au versement de la somme de 970 556,42 euros. Châlons-en-Champagne Habitat et la commune de Châlons-en-Champagne ont rejeté cette demande. Par un jugement du 23 octobre 2018, dont la société MAAF relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation conjointe et solidaire de Châlons-en-Champagne Habitat et de la commune de Châlons-en-Champagne à lui verser la somme de 970 556,42 euros.

2. Lorsque la faute de l'administration et celle d'un tiers ont concouru à la réalisation d'un même dommage, le tiers co-auteur qui a été condamné par le juge judiciaire à indemniser la victime peut se retourner contre l'administration en invoquant la faute de cette dernière. La demande du tiers co-auteur a le caractère d'une action subrogatoire fondée sur les droits de la victime à l'égard de l'administration. Il peut donc se voir opposer l'ensemble des moyens de défense qui auraient pu l'être à la victime.

3. La société MAAF, assureur de M. E..., également subrogée dans les droits de Mme G... et de ses ayant-droits, à concurrence des indemnisations versées à ces derniers, exerce une action subrogatoire à l'encontre de la commune de Châlons-en-Champagne et de Châlons-en-Champagne Habitat tendant à ce qu'ils soient condamnés, en tant que co-auteurs de l'accident, à payer une partie des sommes qu'elle a versées aux victimes.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

4. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1957 attribuant compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les actions en responsabilité des dommages causés par tout véhicule et dirigés contre une personne de droit public : " Par dérogation à l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, les tribunaux de l'ordre judiciaire sont seuls compétents pour statuer sur toute action en responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule quelconque (...) ". Si l'article 1er de la loi du 31 décembre 1957 vise les dommages qui sont le fait d'un véhicule appartenant à une personne de droit public ou placé sous sa garde et ceux qui sont imputables à l'un de ses agents chargé de conduire un véhicule ou associé à sa conduite, cette disposition n'a pas pour objet, et ne saurait avoir pour effet, de déroger aux règles normales de compétence applicables aux actions en responsabilité engagées sur un fondement autre que celui qui est seul visé par cette disposition.

5. L'action en responsabilité exercée par la société MAAF est fondée sur les conditions défectueuses d'organisation du chantier de travaux publics de réhabilitation et de résidentialisation du quartier de la Bidée à Châlons-en-Champagne et en particulier, l'absence de signalisation et de sécurisation adéquates. Elle met ainsi en cause d'une part, la responsabilité pour faute du maire de la commune de Châlons-en-Champagne en raison de la carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police et d'autre part, celle de Châlons-en-Champagne Habitat résultant d'une mauvaise organisation du chantier. La juridiction administrative est, par suite, seule compétente pour connaître du présent litige qui est étranger au champ d'application de la loi du 31 décembre 1957.

6. Par suite, Châlons-en-Champagne Habitat et la société Colas Nord Est ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a écarté l'exception d'incompétence soulevée devant les premiers juges.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

7. Il résulte de l'instruction que pour la réalisation des travaux en litige, un plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé a été établi comprenant la signalisation, le cheminement des piétons dans et aux abords du chantier. Au jour de l'accident, une signalétique invitait les piétons en provenance de la rue de Dunant à utiliser le trottoir de gauche qui longe un terre-plein. Si ce dernier était, comme la chaussée, en cours de travaux, il n'est pas établi que le trottoir le bordant était également impraticable rendant ainsi le respect du panneau de signalisation impossible. Par suite, l'accident qui a eu lieu au droit du trottoir de droite ne peut être imputé à l'organisation du cheminement pour les piétons du chantier dont Châlons-en-Champagne Habitat était maître d'ouvrage.

8. Par ailleurs, un plan de coordination et de phasage des différents chantiers avait été élaboré sous l'égide de la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne, en lien notamment avec la commune de Châlons-en-Champagne et Châlons-en-Champagne Habitat, maître d'ouvrage de l'opération de rénovation urbaine du quartier de la Bidée. Ce document précisait notamment les modalités de circulation des véhicules, des engins de chantier et des piétons ainsi que les aires de stationnement autorisées, fermées ou interdites pendant chacune des phases du chantier, dans l'enceinte du chantier et à ses abords. Ce plan prévoyait notamment des obligations de signalisation dans les zones de circulation sur la voie publique à la charge du titulaire du lot, en lien avec les services de la voirie. Il était complété par un plan particulier de sécurité et de protection de la santé élaboré par la société Screg Est. Ce dernier précisait les conditions de circulation des poids-lourds et les modalités d'implantation des clôtures de chantier.

9. Il résulte de l'instruction que le jour de l'accident, M. E... avait stationné son camion le long du trottoir de la rue du Dr. Schweitzer, dans l'un des emplacements prévus à cet effet en attendant de pouvoir accéder à la contre-allée dont l'enrobé était en cours de réfection, afin de déverser le goudron qu'il transportait dans l'enrobeuse. L'accident a eu lieu au moment où il manoeuvrait pour livrer le goudron. Si la MAAF fait valoir que l'accident serait également imputable aux conditions de stationnement du camion relevant de l'organisation du chantier sous la maîtrise d'ouvrage de Châlons-en-Champagne Habitat et du pouvoir de police du maire de la commune de Châlons-en-Champagne, elle ne l'établit pas.

10. Il résulte de ce qui précède que l'accident dont a été victime Mme G... n'est imputable ni à Châlons-en-Champagne Habitat, ni à la commune de Châlons-en-Champagne mais trouve sa cause exclusive dans la manoeuvre du camion. La société MAAF n'est par suite pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Châlons-en-Champagne et de Châlons-en-Champagne Habitat, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que demande la société MAAF au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société MAAF la somme de 1 000 euros à verser à la commune de Châlons-en-Champagne et à Châlons-en-Champagne Habitat, chacun, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions que présente la société Colas Nord Est et la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société MAAF est rejetée.

Article 2 : La société MAAF versera une somme de 1 000 euros à la commune de Châlons-en-Champagne et à Châlons-en-Champagne Habitat, chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne et la société Colas Nord Est est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société MAAF, à la commune de Châlons-en-Champagne, à Châlons-en-Champagne Habitat, à la société Colas Nord Est et à la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne.

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N° 18NC03461


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