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30/06/2020 | FRANCE | N°18NC02095

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 30 juin 2020, 18NC02095


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... et Mme L... H... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le département de la Marne à leur verser la somme de 542 914,85 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'incendie de leur maison d'habitation.

Par un jugement n° 1602644 du 22 mai 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, d'une part, condamné le département de la Marne à verser la somme de 78 810,03 euros à M. et Mme A..., d'autre part, condamné le d

épartement de la Marne à verser à la SA MAAF Assurances une somme de 208 500,13 eu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... et Mme L... H... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le département de la Marne à leur verser la somme de 542 914,85 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'incendie de leur maison d'habitation.

Par un jugement n° 1602644 du 22 mai 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, d'une part, condamné le département de la Marne à verser la somme de 78 810,03 euros à M. et Mme A..., d'autre part, condamné le département de la Marne à verser à la SA MAAF Assurances une somme de 208 500,13 euros et, enfin, mis à sa charge définitive les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 9 602,79 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 juillet 2018 et 5 mars 2020, le département de la Marne, représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) à titre principal, de rejeter les demandes indemnitaires de M. et Mme A... et de la SA MAAF Assurance ;

3°) à titre subsidiaire, de constater le caractère partiellement irrecevable, injustifié et excessif des sommes allouées ;

4°) de mettre à la charge, conjointe et solidaire, de M. et Mme A... et de la SA MAAF Assurances la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il n'est pas certain que le jeune mineur a déclenché l'incendie de la maison d'habitation de M. et Mme A... ;

- sa responsabilité sans faute du fait des dommages causés aux tiers par les mineurs dont il a la garde ne saurait être engagée ;

- les sommes accordées à M. et Mme A... sont excessives ;

- le préjudice immobilier doit être évalué à la somme de 123 162 euros retenue par les trois experts des compagnies d'assurance après prise en compte de la vétusté de l'habitation ;

- l'indemnisation allouée à M. et Mme A... au titre de leur préjudice mobilier est disproportionnée par rapport à la valeur du mobilier déclaré dans leur contrat d'assurance ;

- le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu'il rejette la demande de M. et Mme A... au titre de la perte de revenus subie, en l'absence de lien de causalité entre l'incendie et les variations normales de leurs salaires liées à leur activité professionnelle ;

- M. et Mme A... n'ont droit à aucune indemnité pour perte de jouissance et d'usage, dès lors que l'état de leur maison ne justifiait pas leur déménagement ;

- ils n'établissent pas la perte de temps passée à l'acquisition de nouveaux biens ;

- les pièces produites ne permettent pas d'établir que le bail est établi au nom de M. et Mme A... et qu'ils ont payé les loyers ;

- le préjudice moral de M. et Mme A... n'est pas établi ;

- la société MAAF assurances n'est pas recevable à demander davantage que devant le tribunal, alors que le dommage ne s'est pas aggravé et ne s'est pas révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué ;

- si une indemnisation au titre de la perte d'usage était accordée à M. et Mme A..., elle devrait être mise à la charge de la société MAAF assurances qui a attendu quatre ans avant d'indemniser ses assurés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2018, la SA MAAF Assurances, représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête, par la voie de l'appel incident, à ce que le département de la Marne soit condamné à lui verser la somme de 227 683,63 euros et, enfin à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de département du la Marne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- M. F... a déclenché l'incendie ;

- la responsabilité du département de la Marne est engagée, même sans faute, en raison des dommages causés aux tiers par ce mineur dont il avait la garde ;

- elle a versé une indemnité complémentaire de 2 705,50 euros à M. et Mme A... au titre de travaux de démolition / déblais et d'installation d'échafaudages ;

- elle a versé une indemnité totale de 16 478 euros à M. et Mme A... en indemnisation de la destruction d'une voiture et d'une moto lors de l'incendie, qui doit être mise à la charge du département de la Marne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2020, M. C... A... et Mme L... H..., épouse A..., représentés par Me I..., concluent au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à ce que le département de la Marne soit condamné à leur verser la somme de 542 914,85 euros en réparation des préjudices subis et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge du département de la Marne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le classement sans suite de cette affaire résulte des dispositions pénales relatives à l'irresponsabilité d'un mineur de moins de treize ans ;

- la responsabilité du département de la Marne est engagée, même sans faute, en raison des dommages causés aux tiers par ce mineur dont il avait la garde ;

- ils n'ont commis aucune négligence de nature à exonérer le département de la Marne de sa responsabilité ;

- la vétusté de leur habitation ne peut être prise en compte pour l'indemnisation de leur préjudice ;

- la perte d'usage de leur habitation, résultant de la nécessité de louer un autre bien jusqu'en juillet 2016, s'élève à 34 200 euros ;

- ils ont droit à l'indemnisation des pertes de revenus qu'ils ont subies, soit 24 682,68 euros ;

- leur préjudice mobilier doit être porté à la somme de 220 965,22 euros ;

- le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu'il les indemnise à hauteur de 5 627,76 euros au titre des dépenses diverses ;

- ils ont subi un préjudice de jouissance distinct de la perte d'usage de leur habitation à hauteur de 15 000 euros ;

- le préjudice résultant de la perte de temps pour procéder à l'acquisition des biens détruits, qui présente un caractère certain, doit être évalué à la somme de 8 000 euros ;

- leur préjudice moral ne saurait être inférieur à 20 000 euros pour chacun d'eux ;

- les autres moyens soulevés par le département de la Marne ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les conclusions présentées par la SA MAAF Assurances tendant à être indemnisée par le département de la Marne au titre de l'indemnité complémentaire qu'elle a versée à M. et Mme A... au titre de travaux de démolition / déblais et d'installation d'échafaudages et au titre de la destruction d'une voiture et d'une moto, qui la conduisent à majorer ses prétentions en appel alors que le dommage ne s'est pas aggravé et ne s'est pas révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué, sont irrecevables.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code des assurances ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D..., présidente assesseur,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour le département de la Marne.

Considérant ce qui suit :

1. M. J... F..., né le 5 juillet 2000, a été placé, en vertu d'une mesure de protection judiciaire, chez Mme A..., assistante familiale, par un contrat d'accueil conclu le 17 juillet 2007 avec le département de la Marne. La maison d'habitation de M. et Mme A... a subi un incendie, le 1er juin 2013 dans la soirée. M. et Mme A... ont demandé au département de la Marne de les indemniser à hauteur de 542 914,85 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'incendie de leur habitation sur le fondement de la responsabilité pour faute du département résultant des dommages provoqués par un mineur dont il a la garde. Par un jugement du 22 mai 2018, dont le département de la Marne relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, après avoir jugé que l'incendie avait été déclenché par M. F... et que la responsabilité, même sans faute, du département de la Marne était engagée en raison des dommages provoqués par ce mineur dont il avait la garde, l'a condamné, d'une part, à verser la somme de 78 810,03 euros à M. et Mme A..., d'autre part, à verser à la SA MAAF Assurances, subrogée dans les droits de M. et Mme A..., une somme de 208 500,13 euros et a mis à sa charge définitive les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 9 602,79 euros ainsi que des frais au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un appel incident, la SA MAAF Assurances, subrogée dans les droits de M. et Mme A..., demande que son indemnité soit portée à 227 683,63 euros. Par la voie de l'appel incident, M. et Mme A... demandent que le département de la Marne soit condamné à leur verser la somme totale de 542 914,85 euros en réparation des préjudices subis.

Sur la responsabilité du département de la Marne :

2. L'article 375-3 du code civil, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose que : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : (...) / 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". Aux termes de l'article L. 421-2 du code de l'action sociale et des familles : " L'assistant familial est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon permanente des mineurs et des jeunes majeurs de moins de vingt et un ans à son domicile. Son activité s'insère dans un dispositif de protection de l'enfance, un dispositif médico-social ou un service d'accueil familial thérapeutique. Il exerce sa profession comme salarié de personnes morales de droit public ou de personnes morales de droit privé dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre ainsi que par celles du chapitre III du présent livre, après avoir été agréé à cet effet. / L'assistant familial constitue, avec l'ensemble des personnes résidant à son domicile, une famille d'accueil. ". Selon l'article L. 421-16 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Il est conclu entre l'assistant familial et son employeur, pour chaque mineur accueilli, un contrat d'accueil annexé au contrat de travail (...) ".

3. La décision par laquelle le juge des enfants confie la garde d'un mineur, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants du code civil, à l'une des personnes mentionnées à l'article 375-3 du même code, transfère à la personne qui en est chargée la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur et notamment au département en cas d'admission à l'aide sociale à l'enfance. En raison des pouvoirs dont le département se trouve ainsi investi lorsque le mineur est placé dans un service ou établissement qui relève de son autorité, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur. Cette responsabilité n'est susceptible d'être atténuée ou supprimée que dans le cas où elle est imputable à un cas de force majeure ou à une faute de la victime.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal d'audition du jeune J... F... par l'officier de police judiciaire de la gendarmerie nationale, le 12 juin 2013, qu'après avoir nié les faits, M. F... a admis être l'auteur de l'incendie de la maison d'habitation de M. et Mme A.... Il explique être descendu plusieurs fois dans le sous-sol de l'habitation pour aller chercher des boites de conserve à la demande de Mme A... qui préparait le dîner. Il aurait alors été " attiré par un long tuyau à bouton rouge " posé sur l'établi de M. A..., non loin des boites de conserve. Il a appuyé sur le bouton du chalumeau. Un tapis placé entre deux établis a alors pris feu. M. F... n'est pas parvenu à éteindre le chalumeau et est remonté du sous-sol en le laissant allumé. Il n'a rien dit à M. et Mme A... par crainte d'être puni. Le feu s'est ensuite propagé dans le sous-sol de l'habitation. Ce récit très circonstancié est confirmé par l'audition de M. F... au cours des opérations d'expertise judiciaire, le 29 juin 2015. Il est également corroboré par les procès-verbaux d'audition de M. et Mme A..., qui confirment que le jeune J... est descendu plusieurs fois au sous-sol à la demande de Mme A... pour aller chercher des boites de conserve alors qu'elle préparait le dîner. De plus, les auditions de M. et Mme A... et de Mme E..., petite amie depuis plusieurs années, du fils majeur de Mme A..., qui logeait alors au rez-de-chaussée de l'habitation de M. et Mme A..., révèlent que M. F... était particulièrement attiré par le feu et avait notamment brûlé des mouchoirs en papier dans sa chambre et appelé les pompiers pour déclarer qu'il y avait un incendie dans une autre commune quelque temps avant le sinistre du 1er juin 2013. L'expertise psychiatrique de M. F... du 11 septembre 2013, reproduite par le rapport d'expertise judiciaire, relève qu'il existe une " authentique construction du processus pyromaniaque " et que " l'infraction reprochée est en relation avec le mode de fonctionnement psychique " de M. F....

5. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient le département de la Marne, les auditions de M. A..., de son épouse et de Mme E... sur les circonstances de l'incendie ne sont pas contradictoires. Si Mme E..., qui prenait un verre avec le fils de Mme A... sur la terrasse de leur habitation le soir de l'incendie, indique que M. A... bricolait dans le sous-sol, Mme A... précise cependant qu'il était remonté avec M. F..., qui est ensuite redescendu seul chercher une boite de conserve qu'il avait oubliée et ce une dizaine de minutes avant le début de l'incendie. De même si Mme E... est la première à s'être rendue compte de l'incendie en retournant chercher des affaires dans la pièce occupée par le fils de Mme A... à 22 h 00, cet horaire est cohérent avec les constatations des pompiers qui sont arrivés sur les lieux vers 22 h 10, 25 à 30 minutes après le début de l'incendie selon le rapport de M. K..., expert judiciaire ainsi qu'avec le rapport du 5 juin 2013 d'Eurexo selon lequel l'incendie a débuté vers 21 h 30.

6. En dernier lieu, le parquet du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne a classé sans suite la plainte de M. A... à l'encontre de M. F... au motif que " 1es faits ou les circonstances des faits dont vous vous êtes plaint n'ont pu être clairement établis par l'enquête. Les preuves ne sont donc pas suffisantes pour que l'affaire soit jugée par un tribunal ". Cependant, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'attache pas à cette décision de classement sans suite. Il appartient, dès lors, au juge administratif d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis pour être de nature à engager la responsabilité, même sans faute, du département de la Marne en raison des dommages causés aux tiers par M. F..., mineur alors placé sous sa garde. Or, ainsi qu'il est dit aux points 4 et 5 du présent arrêt, il résulte de l'instruction que M. F... a déclenché l'incendie de la maison d'habitation de M. et Mme A..., le 1er juin 2013.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le département de la Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a jugé que l'incendie déclenché par M. F..., le 1er juin 2013, était de nature à engager sa responsabilité, même sans faute, pour les dommages subis par M. et Mme A.... Les conclusions présentées à titre principal par le département de la Marne doivent, en conséquence, être rejetées.

Sur l'indemnisation :

En ce qui concerne l'appel principal du département de la Marne :

Quant au préjudice immobilier :

8. En premier lieu, les experts des cabinets Valentin Expertise, Eurexo et Taxa ont évalué le coût de la réparation des désordres subis par la maison d'habitation de M. et Mme A... à la somme de 146 155 euros ou de 123 162 euros après prise en compte d'un coefficient de vétusté. M. K..., expert judiciaire, a actualisé cette évaluation au vu des devis produits au cours des opérations d'expertise. Il a évalué la valeur des travaux de réfection de l'habitation à la somme de 155 611,50 toutes taxes comprises (TTC) ou de 132 372 euros TTC après prise en compte d'un coefficient de vétusté. Par suite, il y a lieu d'évaluer le coût des travaux de réfection de la maison d'habitation de M. et Mme A... à la somme mentionnée par le rapport d'expertise de M. K..., qui est cohérente avec les expertises menées antérieurement par les assureurs des parties.

9. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le coût des travaux de réparation de la maison d'habitation de M. et Mme A..., tel qu'évalué par l'expert judiciaire, corresponde à d'autres travaux que ceux qui sont strictement nécessaires, ni que les procédés envisagés pour la remise en état ne sont pas les moins onéreux possibles. En outre, le bien sinistré constitue l'habitation de M. et Mme A.... Par ailleurs, il n'est pas allégué que la maison de M. et Mme A..., construite en 1997, aurait dû faire l'objet de travaux d'entretien ou de réfection à la date du sinistre. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'appliquer un abattement de vétusté aux travaux de réfection de l'habitation de M. et Mme A..., alors, au surplus, qu'il ne résulte pas de l'instruction que les travaux amélioreront leur habitation. Par suite, le coût des travaux de réfection de la maison d'habitation de M. et Mme A... résultant directement de l'incendie du 1er juin 2013 doit être évalué à la somme de 155 611,50 euros TTC.

10. En dernier lieu, le département de la Marne ne conteste pas le montant des frais annexes de démolition, de maîtrise d'oeuvre, de coordination sécurité et protection de la santé, de diagnostics amiante et structurel d'un montant de 29 224,90 euros TTC retenu par le jugement attaqué qui s'est fondé sur le rapport d'expertise judiciaire.

11. Il suit de là que le département de la Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que le montant des travaux de réfection de la maison d'habitation de M. et Mme A... devait être fixé à la somme de 184 836,40 euros.

Quant au préjudice mobilier :

12. En premier lieu, l'expert du cabinet Texa a évalué le préjudice mobilier de M. et Mme A... et des autres occupants de leur habitation à partir de la liste des biens produite par M. et Mme A... qu'il a comparée aux photos prises au moment du sinistre. Il a, en conséquence, distingué les biens qu'il avait été en mesure d'identifier comme ayant été endommagés ou détruits par le sinistre de ceux qu'il n'avait pas été en mesure d'identifier. L'expert judiciaire s'est fondé sur cette analyse. Le département de la Marne n'est, en conséquence, pas fondé à soutenir que l'indemnité accordée par le jugement attaqué au titre de ce chef de préjudice ne repose que sur les déclarations de M. et Mme A... et non sur un travail d'analyse des demandes de M. et Mme A... qui s'élevaient initialement à plus de 213 000 euros.

13. En second lieu, M. et Mme A... ont déclaré, lors de la souscription de la garantie incendie de leur contrat d'assurance, une valeur de biens mobiliers de 55 831 euros pour l'ensemble de leur habitation. Le jugement attaqué leur accorde une indemnité de 54 646 euros en réparation de leur préjudice mobilier, dont le montant est proche de la garantie souscrite. Cependant, si le département de la Marne fait valoir que cette indemnité, qui correspond à la perte des biens mobiliers qui se trouvaient dans le seul sous-sol de l'habitation de M. et Mme A... est disproportionnée au regard de la valeur déclarée des biens mobiliers au titre de la garantie incendie de leur contrat d'assurance habitation, l'indemnité accordée par le juge administratif en réparation des préjudices subis du fait des dommages provoqués par un mineur placé sous la garde du département, destinée à réparer intégralement le préjudice subi, a un objet et une finalité différents de la garantie d'assurance incendie souscrite par un particulier, dont le montant dépend de son aversion au risque et d'un arbitrage financier. En outre, il résulte de l'instruction que le sous-sol de l'habitation de M. et Mme A..., qui est vaste, était très encombré de meubles, de près de 500 bouteilles de vin, de denrées alimentaires, vêtements, chaussures, linge, outils et que d'autres objets y étaient stockés, alors même que l'ensemble de ces biens n'aurait pas été pris en compte dans le contrat d'assurance de M. et Mme A.... Par suite, en se fondant sur le seul montant de la valeur des biens mobiliers déclarés par M. et Mme A... lors de la souscription de la garantie incendie de leur contrat d'assurance habitation, le département de la Marne n'établit pas que l'indemnité d'un montant de 54 646 euros accordée par le jugement attaqué au titre de ce chef de préjudice présente un caractère disproportionné et qu'elle ne saurait être supérieure à 10 000 euros.

14. Il suit de là que le département de la Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que le montant du préjudice mobilier subi par M. et Mme A... s'établissait à la somme de 54 646 euros.

Quant à la perte d'usage :

15. En premier lieu, il résulte de l'instruction et en particulier des différents rapports d'expertise produits que, contrairement à ce que soutient le département de la Marne, la maison de M. et Mme A... n'était plus habitable après l'incendie du 1er juillet 2013. Si le feu s'est propagé dans le sous-sol, la fumée a cependant également provoqué des dégâts au rez-de-chaussée. En outre, l'incendie a fragilisé la portance du plancher haut du sous-sol et celle des cloisons et doublages du rez-de-chaussée de l'habitation. Diverses fissures, notamment dans le carrelage, sont également apparues. Par ailleurs, les pompiers ont dû déplacer des tuiles, ce qui a provoqué des accumulations d'eau et la chute d'un faux-plafond dans l'entrée de l'habitation. M. et Mme A... ont ainsi été contraints de déménager jusqu'à la fin des travaux de réfection de leur habitation.

16. En deuxième lieu, M. et Mme A... établissent, par le contrat de bail produit qui porte leur signature et leur paraphe, avoir loué une maison d'habitation sur le territoire de la commune de Mardeuil à compter du 1er juillet 2013 pour un loyer mensuel de 950 euros. Ils produisent également les quittances des loyers qu'ils ont versées pendant 36 mois entre les mois de juillet 2013 et de juin 2016. Le montant des loyers qu'ils ont dû régler s'élève, par suite, à la somme de 34 200 euros ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

17. En dernier lieu, dès lors que la responsabilité sans faute du département de la Marne est engagée en raison des dommages causés aux tiers par M. F..., ainsi qu'il est dit aux points 3 et 7 du présent arrêt, il ne saurait invoquer la faute du tiers pour demander à être exonéré, même partiellement, de sa responsabilité. Le département de la Marne ne peut, en conséquence, soutenir que l'indemnité pour perte d'usage doit être mise à la charge de la société MAAF Assurances, qui serait, selon lui, à l'origine du préjudice subi par M. et Mme A... en raison du retard avec lequel elle les a indemnisés.

18. Par suite, le département de la Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que le montant des loyers payés par M. et Mme A... en raison de l'impossibilité d'habiter leur maison avant la fin des travaux de réfection s'établissait à la somme de 34 200 euros et a rejeté le surplus de leur demande indemnitaire au titre de la perte d'usage alléguée.

Quant au préjudice moral :

19. Il résulte de l'instruction que M. et Mme A... ont subi un préjudice moral en raison de l'incendie de l'habitation qu'ils occupaient depuis 1997 par un mineur qu'ils accueillaient depuis le mois de juillet 2007, près de six ans avant les faits. Cet incendie, qui les a notamment contraints à déménager, a bouleversé leur vie quotidienne. Ils ont également perdu des biens mobiliers. Par suite, le département de la Marne n'est pas fondé à soutenir que M. et Mme A... n'ont subi aucun préjudice moral.

20. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées à titre principal et à titre subsidiaire par le département de la Marne doivent être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par M. et Mme A... :

Quant à la perte de revenus de M. et Mme A... :

21. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'incendie, le placement de M. F... chez M. et Mme A... a été interrompu sur décision du département de la Marne. Celui-ci fait cependant valoir, sans être contredit, que d'autres enfants ont ensuite été placés chez Mme A..., d'abord temporairement jusqu'en juin 2014, puis de manière pérenne à partir du mois de juillet 2014. Le département de la Marne n'était cependant pas tenu de placer un autre enfant chez Mme A... à la suite de l'interruption de la prise en charge de M. F.... Ainsi, le préjudice lié à la perte de revenus subie par Mme A..., qui résulte directement des décisions du département de la Marne de lui confier ou non des enfants à garder, est dépourvu de lien direct de causalité avec l'incendie survenu le 1er juin 2013.

22. En second lieu, l'impossibilité dans laquelle M. A... aurait été de travailler à compter du 1er juin 2013, mentionnée par un certificat médical qui n'est pas suffisamment circonstancié, n'est pas établie. En outre, alors qu'un second certificat médical du 12 novembre 2013 énonce qu'il n'est pas en mesure de travailler pour des raisons de santé, il ne fait aucun lien entre l'état de santé de M. A... et l'incendie du 1er juin 2013. M. A... soutient d'ailleurs, dans ses écritures, qu'il a dû réduire son activité professionnelle et non l'interrompre. Par suite, le lien de causalité direct entre l'incendie de son habitation et les pertes de revenus qu'il a subies n'est pas établi.

23. La demande présentée par M. et Mme A... au titre de leurs pertes de revenus doit, en conséquence, être rejetée.

Quant au préjudice mobilier :

24. Ainsi qu'il a été dit au point 12 du présent arrêt, l'expert a distingué les biens qu'il avait été en mesure d'identifier comme ayant été endommagés ou détruits par le sinistre de ceux qu'il n'avait pas été en mesure d'identifier. En se bornant à reprendre la demande présentée au cours des opérations d'expertise et devant le tribunal, y compris celle relative à la perte de 497 bouteilles de vin d'une valeur de 16 832 euros, M. et Mme A... n'établissent pas que le tribunal aurait fait une inexacte appréciation de la perte de la valeur de leurs biens en leur accordant la somme de 54 646 euros à ce titre.

Quant au trouble de jouissance :

25. Contrairement à ce que soutiennent M. et Mme A..., le point 5 du jugement attaqué distingue le trouble de jouissance allégué de la perte d'usage de leur habitation devenue inhabitable. Cependant, alors même que l'incendie les a empêchés de continuer à profiter de la maison d'habitation qu'ils ont fait construire, y compris de leur jardin, qu'il les a privés d'une partie de leurs souvenirs et les a contraints à un déménagement précipité, ils n'établissent ni la réalité du trouble de jouissance subi, ni que ce préjudice serait distinct de leur préjudice moral. Leur demande doit, par suite, être rejetée.

Quant à la perte de temps pour acquérir de nouveaux biens :

26. M. et Mme A... demandent l'indemnisation du préjudice résultant du temps qu'ils ont passé à acquérir de nouveaux biens en remplacement de ceux qu'ils ont perdus lors de l'incendie de leur habitation. La réalité du préjudice allégué n'est cependant pas établie. Leur demande doit, en conséquence être rejetée.

Quant au préjudice moral :

27. Ainsi qu'il est dit au point 19, M. et Mme A... ont subi un préjudice moral en raison de l'incendie de leur maison d'habitation. Le jugement attaqué leur accorde la somme de 4 000 euros chacun au titre de ce chef de préjudice. M. et Mme A... n'établissent pas qu'en leur accordant une somme totale de 8 000 euros à ce titre, le jugement attaqué aurait fait une inexacte application de leur préjudice moral. Leur demande tendant à ce qu'une somme de 20 000 euros chacun leur soit accordée à ce titre doit, en conséquence, être rejetée.

28. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par M. et Mme A... doivent être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par la société MAAF Assurances :

29. Aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur (...) ".

30. En application des dispositions de l'article L. 121-12 du code des assurances, alors même que l'assureur est, dès le versement à son assuré d'une indemnité d'assurance, subrogé dans les droits et actions de ce dernier à concurrence de la somme versée, il lui est loisible de choisir le moment auquel il entend exercer les droits qu'il tient de cette subrogation et être dès lors substitué, dans une instance en cours, à son assuré. L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance alors qu'était en cours, devant le juge de premier ressort, une instance à laquelle était partie son assuré, est dès lors recevable à présenter des conclusions, au titre de la subrogation ainsi intervenue, pour la première fois devant le juge d'appel. En outre, si la subrogation investit le subrogé de tous les droits et actions du subrogeant, elle ne lui confère que les droits et obligations qui appartenaient à ce dernier, dans les limites dans lesquelles il pouvait les exercer.

Quant aux travaux de démolition / déblais et d'installation d'échafaudages :

31. En première instance, la société MAAF Assurances a justifié avoir versé à M. et Mme A... la somme de 208 500,13 euros au titre de la garantie incendie souscrite dans le cadre de leur contrat d'assurance habitation. La quittance subrogative du 9 janvier 2017 énonçait que cette indemnité " immédiate " pourrait être complétée pour rembourser " les vétustés retenues (...) sur présentation des factures acquittées des réparations dans un délai maximal de deux ans à compter de l'offre d'indemnité présentée le 20 décembre 2016 ".

32. La société MAAF Assurances justifie, pour la première fois en appel, avoir versé à M. et Mme A..., le 10 mars 2017 en cours d'instance devant le tribunal administratif, une indemnité complémentaire d'un montant de 2 705,50 euros au titre de travaux de démolition / déblais et d'installation d'échafaudages.

33. L'indemnité d'un montant de 184 836,40 euros accordée par le jugement attaqué au titre du préjudice immobilier, confirmée par le point 11 du présent arrêt, inclut les travaux de démolition/ déblais et d'installation d'échafaudages, ainsi que cela résulte d'ailleurs du rapport d'expertise judiciaire. Par suite, il y a seulement lieu pour la cour d'augmenter l'indemnité accordée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à la SA MAAF Assurances d'un montant de 2 705,50 euros et de diminuer d'autant celle accordée à M. et Mme A....

Quant à l'indemnité versée par l'assureur en ce qui concerne les véhicules :

34. Deux véhicules appartenant à M. et Mme A... et à leur fils, qui se trouvaient au sous-sol, ont été détruits lors de l'incendie du 1er juin 2013. La SA MAAF Assurances justifie avoir versé à M. et Mme A..., la somme de 10 388 euros en indemnisation de la destruction de leur Renault Espace au titre de leur assurance auto, le 2 août 2013. Elle justifie avoir versé, le 23 juillet 2013, la somme de 6 090 euros en raison de la destruction par l'incendie de la moto Yamaha qui se trouvait au sous-sol dans lequel l'incendie a été déclenché.

35. Cependant, M. et Mme A... ne se sont pas prévalus de ce chef de préjudice devant le tribunal. De plus, le jugement attaqué fait entièrement droit à la demande de la SA MAAF Assurances qui demandait la condamnation du département de la Marne à lui verser la somme de 208 500,13 euros qu'elle avait elle-même versée à M. et Mme A... au titre de leur contrat d'assurance habitation. Ainsi, le département de la Marne ne saurait être condamné à verser à la société MAAF Assurances une indemnité excédant le montant total de sa demande en première instance, alors que le dommage invoqué s'était entièrement révélé dans toute son ampleur antérieurement au jugement attaqué et ne s'est pas aggravé. La SA MAAF Assurances ne saurait davantage être regardée comme étant subrogée dans les droits et actions de M. et Mme A... qui n'ont présenté aucune demande devant le tribunal ou en appel au titre de ce chef de préjudice.

36. La demande présentée par la société MAAF Assurance au titre de l'indemnité versée à M. et Mme A... pour la réparation de leurs véhicules, qui est irrecevable, doit, en conséquence, être rejetée.

37. Il résulte de tout ce qui précède qu'ainsi qu'il est dit au point 33 du présent arrêt, la somme que le département de la Marne est condamné à verser à la société MAAF Assurances doit être portée à 211 205,63 euros. Celle qu'il est condamné à verser à M. et Mme A... doit être ramenée à 76 104,53 euros. Les articles 1er et 2 du jugement attaqué doivent être réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt. Le surplus des conclusions de l'appel incident présenté par la société MAAF Assurances doit être rejeté.

Sur les frais liés à l'instance :

38. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société MAAF Assurances, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le département de la Marne demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

39. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la SA MAAF Assurances présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à celles que présente le département de la Marne contre M. et Mme A... et à celles présentées par ces derniers au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 208 500,13 euros que le département de la Marne est condamné à verser à la SA MAAF Assurances par le jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est portée à la somme de 211 205,63 euros.

Article 2 : La somme de 78 810,03 euros que le département de la Marne est condamné à verser à M. et Mme A... par le jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est ramenée à la somme de 76 104,53 euros.

Article 3 : La requête du département de la Marne, les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par M. et Mme A..., le surplus des conclusions présentées par la voie de l'appel incident par la SA MAAF Assurances et les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.

Article 4 : Les articles 1er et 2 du jugement du 22 mai 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Marne, à la SA MAAF Assurances, à M. C... A... et à Mme L... H... épouse A....

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18NC02095


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02095
Date de la décision : 30/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Aide sociale - Différentes formes d'aide sociale - Aide sociale à l'enfance - Placement des mineurs.

Assurance et prévoyance - Contrats d'assurance.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité sans faute.


Composition du Tribunal
Président : M. DEVILLERS
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SELARL PHELIP et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-06-30;18nc02095 ?
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