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28/01/2020 | FRANCE | N°19NC01067

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 28 janvier 2020, 19NC01067


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 19 novembre 2018 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de dix-huit mois.

Par un jugement n° 1803175 du 28 décembre 2018, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administ

ratif de Nancy a annulé la décision d'interdiction de retour et a rejeté le surplus de s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 19 novembre 2018 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de dix-huit mois.

Par un jugement n° 1803175 du 28 décembre 2018, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a annulé la décision d'interdiction de retour et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 avril 2019 et le 13 décembre 2019, M. B..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 28 décembre 2018 en tant qu'il a rejeté ses demandes d'annulation des décisions du 19 novembre 2018 portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire et fixation de la Russie comme pays de destination ;

2°) d'annuler ces décisions ;

3°) de confirmer ce jugement en tant qu'il a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de dix-huit mois et a mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

4°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou subsidiairement, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pendant l'instruction du dossier ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle méconnaît les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- dès lors qu'il remplit les conditions de délivrance de plein droit d'un titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne pouvait pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;

- le préfet aurait dû mettre en oeuvre une procédure de remise aux autorités belges en application des dispositions de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étranger et du droit d'asile et de l'arrangement entre la France et la Belgique du 16 avril 1964 sur la prise en charge de personnes à la frontière ;

S'agissant de la décision fixant le pays de destination :

- le jugement doit être annulé dès lors qu'il n'a pas statué sur les moyens soulevés à l'encontre de cette décision ;

- elle est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'arrangement entre la France, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas sur la prise en charge des personnes à la frontière du 16 avril 1964 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller, et les observations de Me A..., avocate de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né en 1992, de nationalité russe, a été interpellé par les services de la police aux frontières en poste à Mont-Saint-Martin en provenance de la Belgique, pays dans lequel il a indiqué résider régulièrement depuis 2006. Après vérification de son droit au séjour, le préfet de Meurthe-et-Moselle a pris à son encontre le 19 novembre 2018 un arrêté portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire, fixation de la Russie comme pays à destination duquel il sera éloigné et interdiction de retour pendant une durée de dix-huit mois. M. B... relève appel du jugement du 28 décembre 2018 en tant que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des décisions du 19 novembre 2018 par lesquelles le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et a fixé le pays de destination.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. M. B... avait présenté devant le tribunal administratif de Nancy les moyens tirés de l'exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français et de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination. Le premier juge n'a pas examiné ces moyens, qui n'étaient pas inopérants. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier comme entaché d'omission à statuer et à en demander l'annulation en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.

3. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur ces conclusions et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées devant le tribunal administratif.

Sur le bien-fondé du jugement en tant qu'il porte sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

4. En premier lieu, d'une part, il résulte des dispositions des articles L. 511-1, L. 511-2, L. 531-1 et L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1 ou de l'article L. 531-2, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre.

5. D'autre part, aux termes de l'article 2 de l'arrangement susvisé entre la France, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas sur la prise en charge de personnes à la frontière du 16 avril 1964 : " 1. Le gouvernement de chacun des Etats du Benelux reprendra, à la demande des autorités françaises, les personnes qui ne sont pas ressortissantes d'un des pays parties au présent arrangement lorsque, aux termes de la réglementation en vigueur en France, elles ont pénétré irrégulièrement sur le territoire français par la frontière commune. / 2. Cette disposition ne sera applicable que si la demande de prise en charge est introduite dans les six mois qui suivent la sortie du territoire du Benelux et si ces personnes ont séjourné au moins quinze jours dans le territoire du Benelux ou si, y ayant séjourné moins de quinze jours, elles y sont entrées régulièrement. L'obligation de reprise cesse si, après avoir pénétré en France, ces personnes y ont obtenu une autorisation de séjour d'au moins six mois (...) ".

6. M. B... a été interpellé par les services de la police aux frontières en provenance de la Belgique et n'a pu justifier de son entrée régulière sur le territoire français. S'il a résidé en Belgique depuis 2006 et était en possession d'un titre de séjour, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la réponse des autorités belges interrogées par le préfet sur la situation administrative de l'intéressé, que ce titre avait été annulé le 22 mars 2018. Ainsi, il résulte de ce qui a été dit au point 4, qu'alors même qu'il entrait dans le champ d'application de la remise aux autorités belges, le préfet pouvait légalement obliger l'intéressé à quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ".

8. M. B... fait valoir qu'il est le père d'un enfant français né le 6 novembre 2016. Il n'établit pas, par la seule production d'une attestation sur l'honneur enregistrée par la ville de Herserange le 3 février 2018, qu'il vit avec sa compagne et leur enfant depuis 2016. Dans ces conditions, alors qu'il déclarait à la même période résider en Belgique et qu'il a indiqué qu'au moment de son interpellation, le 19 novembre 2018, il se rendait en France pour rendre visite à ces derniers, il n'établit pas contribuer effectivement à l'entretien et l'éducation de sa fille depuis sa naissance ou depuis au moins deux ans. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

9. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point n°8, le moyen tiré de ce que le préfet ne pouvait pas légalement l'obliger à quitter le territoire français dès lors qu'il remplissait les conditions pour obtenir la délivrance de plein droit d'un titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 CESEDA ne peut qu'être écarté.

10. En quatrième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. M. B..., âgé de vingt-six ans, fait valoir qu'il vit à Herserange avec sa compagne, de nationalité française, depuis 2016, avec laquelle il a eu un enfant né en novembre 2016 et qu'elle va accoucher en avril 2019 de leur deuxième enfant. Toutefois, les documents qu'il produit n'attestent d'un domicile commun que depuis octobre 2018. En se bornant à produire quelques attestations peu circonstanciées émanant de proches, le requérant n'établit pas l'ancienneté et la stabilité de ses liens avec sa compagne et leur enfant. Enfin s'il fait valoir qu'il a quitté son pays d'origine en 2006 pour s'établir en Belgique où résidait son père, décédé en 2013, il n'établit toutefois pas qu'il y serait dépourvu de toute attache. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour en France, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision litigieuse aurait porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit ainsi être écarté.

12. En dernier lieu, M. B... reprend en appel le moyen qu'il avait invoqué en première instance et tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Toutefois, il ne présente, à l'appui de ce moyen, aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation qu'il avait développée devant le tribunal administratif dont il ne conteste pas davantage la réponse que celui-ci y a apportée. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision fixant le pays de destination :

13. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français que le moyen tiré de ce que la décision fixant le délai de départ volontaire serait illégale en raison de l'illégalité de cette décision ne peut qu'être écarté.

14. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 6, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en fixant la Russie comme pays de destination.

15. En conclusion de tout ce qui précède, si M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement en tant qu'il a statué sur la décision fixant le pays de destination, il n'est, en revanche pas fondé à demander l'annulation de cette décision, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'obligation de quitter le territoire français. Dès lors, le surplus de ses conclusions à fin d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1803175 du 28 décembre 2018 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de M. B... dirigées contre la décision du 19 novembre 2018 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a fixé le pays de destination.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy, tendant à l'annulation de la décision du 19 novembre 2018 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a fixé le pays de destination, est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel de M. B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

2

N° 19NC01067


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01067
Date de la décision : 28/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. DEVILLERS
Rapporteur ?: Mme Sandrine ANTONIAZZI
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : CAGLAR

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-01-28;19nc01067 ?
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