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28/01/2020 | FRANCE | N°18NC02597

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 28 janvier 2020, 18NC02597


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alliance Connectic a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler la décision du syndicat mixte de l'aire urbaine rejetant son mémoire d'imprévision du 9 décembre 2015, d'autre part, de résilier la convention de délégation de service public signée avec le syndicat mixte de l'aire urbaine Belfort - Montbéliard - Héricourt - Delle le 15 mars 2008 et, enfin, de condamner le syndicat mixte de l'aire urbaine à lui verser la somme de 16 259 498 euros, augmentée des inté

rêts au taux légal à compter du 9 décembre 2015.

Par un jugement n° 1602023 du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alliance Connectic a demandé au tribunal administratif de Besançon, d'une part, d'annuler la décision du syndicat mixte de l'aire urbaine rejetant son mémoire d'imprévision du 9 décembre 2015, d'autre part, de résilier la convention de délégation de service public signée avec le syndicat mixte de l'aire urbaine Belfort - Montbéliard - Héricourt - Delle le 15 mars 2008 et, enfin, de condamner le syndicat mixte de l'aire urbaine à lui verser la somme de 16 259 498 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2015.

Par un jugement n° 1602023 du 25 juillet 2018, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 25 septembre 2018, 19 mars, 9 et 11 décembre 2019, la société Alliance Connectic, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 25 juillet 2018 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) de résilier la convention de délégation de service public signée avec le syndicat mixte de l'aire urbaine Belfort - Montbéliard - Héricourt - Delle, le 15 mars 2008 ;

3°) de condamner, conjointement et solidairement, les départements du Doubs et de la Haute-Saône et le Territoire de Belfort à lui verser la somme de 16 259 498 euros, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2015 et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de mettre à la charge des départements du Doubs et de la Haute-Saône et du Territoire de Belfort le versement d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le dégroupage de noeuds de raccordement abonnés par des opérateurs concurrents ne pouvait être raisonnablement anticipé ;

- l'article 1.1.3.2 de l'annexe 1 à la convention ne faisait pas obstacle au versement d'une indemnité pour imprévision ;

- le déploiement rapide et à grande ampleur de la FTTH (" Fiber to the Home ") n'était pas prévisible en 2008 ;

- le changement de la politique commerciale de la société Orange ne constituait pas un aléa prévisible ;

- certaines collectivités membres du syndicat mixte de l'aire urbaine (SMAU) ont concurrencé le champ de la délégation de service public en déployant la FTTH ;

- le déséquilibre économique de la délégation de service public présente un caractère irréversible ;

- en l'absence de carence de l'initiative privée, la résiliation de la convention s'impose ;

- elle a droit à une indemnité d'imprévision d'un montant de 16 259 498 euros ;

- elle a rempli ses obligations contractuelles.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 juin et 9 décembre 2019, le syndicat mixte Doubs Très Haut Débit (THD), le syndicat mixte Haute-Saône Numérique et le Territoire de Belfort, venant aux droits du syndicat mixte de l'aire urbaine (SMAU) Belfort - Montbéliard - Héricourt - Delle, représentés par Me A..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Alliance Connectic sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le SMAU a été dissous à compter du 31 décembre 2018 ;

- le dégroupage de noeuds de raccordement abonnés par des opérateurs concurrents n'était pas imprévisible ;

- la dégradation du chiffre d'affaires de la société requérante s'explique par le manque de moyens mis en oeuvre pour la commercialisation de ses offres et son retard dans la réalisation du réseau ;

- la société Alliance Connectic a commis de nombreux manquements contractuels ;

- aucun opérateur concurrent de la société Alliance Connectic bénéficiant de fonds publics ne commercialise d'offre FTTH dans le périmètre initial de la convention de délégation de service public ;

- les autres moyens soulevés par la société Alliance Connectic ne sont pas fondés.

La procédure a été communiquée au département du Doubs et au département de la Haute-Saône qui n'ont pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- le code des postes et des communications électroniques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C..., présidente assesseur,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour la société Alliance Connectic ainsi que celles de Me A... pour le syndicat mixte Doubs Très Haut Débit (THD), le syndicat mixte Haute-Saône Numérique et le Territoire de Belfort, venant aux droits du syndicat mixte de l'aire urbaine Belfort - Montbéliard - Héricourt- Delle.

Une note en délibéré présentée pour la société Alliance Connectic a été enregistrée le 9 janvier 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors en vigueur : " I.- Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, deux mois au moins après la publication de leur projet dans un journal d'annonces légales et sa transmission à l'Autorité de régulation des communications électroniques, établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de communications électroniques au sens du 3° et du 15° de l'article L. 32 du code des postes et communications électroniques, acquérir des droits d'usage à cette fin ou acheter des infrastructures ou réseaux existants. Ils peuvent mettre de telles infrastructures ou réseaux à disposition d'opérateurs ou d'utilisateurs de réseaux indépendants. L'intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements se fait en cohérence avec les réseaux d'initiative publique, garantit l'utilisation partagée des infrastructures établies ou acquises en application du présent article et respecte le principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques (...) ". Selon l'article L. 32 du code des postes et communications électroniques, dans sa rédaction alors applicable : " (...) 3° Réseau ouvert au public. / On entend par réseau ouvert au public tout réseau de communications électroniques établi ou utilisé pour la fourniture au public de services de communications électroniques ou de services de communication au public par voie électronique (...) / 15° Opérateur. / On entend par opérateur toute personne physique ou morale exploitant un réseau de communications électroniques ouvert au public ou fournissant au public un service de communications électroniques (...) ".

2. Les départements du Doubs et de la Haute-Saône ainsi que le Territoire de Belfort ont transféré au syndicat mixte de l'aire urbaine (SMAU) Belfort - Montbéliard - Héricourt - Delle, créé en 2002, leur compétence pour la construction et la gestion d'infrastructures de télécommunications ou de communications électroniques porteuses de réseaux ouverts au public d'intérêt syndical par des arrêtés inter-préfectoraux des 6, 19 et 25 juillet 2006. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 10 août 2006, le SMAU a engagé une consultation en vue de l'attribution d'une délégation de service public sous la forme d'une concession d'une durée de vingt ans ayant pour objet la conception, l'établissement et l'exploitation d'un réseau syndical de communications électroniques à haut débit sur le territoire du SMAU, dans le cadre de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales. Par une convention conclue le 15 mars 2008, cette délégation de service public a été attribuée à la société Alliance Connectic, société de projet issue d'un groupement d'entreprises formé des sociétés Eiffage, Numéricable et LD Collectivités, filiale à 100 % de la société Neuf Cegetel, dont la société SFR est devenue l'actionnaire majoritaire en avril 2008. En l'absence d'équilibre financier de la délégation de service public, la société Alliance Connectic a adressé un mémoire en réclamation au SMAU, le 9 décembre 2015, demandant la résiliation de la délégation de service public et l'indemnisation des préjudices subis sur le fondement de la théorie de l'imprévision. Par un jugement du 25 juillet 2018, dont la société Alliance Connectic relève appel, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision par laquelle le SMAU a rejeté son mémoire d'imprévision du 9 décembre 2015, d'autre part, à la résiliation de la convention de délégation de service public et, enfin, à la condamnation du SMAU à lui verser la somme de 16 259 498 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2015 et de la capitalisation des intérêts.

3. En outre, par un arrêté du 30 novembre 2018, le préfet du Doubs a prononcé la dissolution du SMAU à compter du 31 décembre 2018. La gestion de la convention de délégation de service public conclue avec la société Alliance Connectic est désormais assurée par le syndicat mixte Doubs Très Haut Débit, le syndicat mixte Haute-Saône Numérique et le Territoire de Belfort.

Sur les conclusions tendant à la résiliation de la convention de délégation de service public :

4. Au cas où des circonstances imprévisibles ont pour effet de bouleverser le contrat et où les conditions économiques nouvelles ont créé une situation définitive qui ne permet plus au concessionnaire d'équilibrer ses dépenses avec les ressources dont il dispose, la situation nouvelle ainsi créée constitue un cas de force majeure et autorise à ce titre le concessionnaire, comme d'ailleurs le concédant, à défaut d'un accord amiable sur une orientation nouvelle à donner à l'exploitation, à demander au juge la résiliation de la concession, avec indemnité s'il y a lieu.

5. En premier lieu, il résulte des stipulations de l'annexe 1 de la convention de délégation de service public conclue entre la société Alliance Connectic et le SMAU que le concessionnaire devait raccorder l'ensemble des répartiteurs existants et futurs de l'opérateur historique, à savoir la société Orange et également dégrouper certains d'entre eux. 32 noeuds de raccordement d'abonnés (NRA), dont la liste était précisément dressée, devaient ainsi être raccordés et dégroupés.

6. Cependant, la société Alliance Connectic fait valoir qu'à l'occasion des demandes de dégroupage des NRA qu'elle a adressées à l'opérateur historique, il est apparu que 17 NRA n'étaient pas encore dégroupés mais que 13 l'avaient été par des opérateurs de télécommunication concurrents de la société Orange, à savoir les sociétés SFR et Free et ce dès l'année 2007 et au printemps 2008. La société requérante estime ainsi avoir perdu, sur la période de 2008 à 2014, 36,40 millions d'euros, soit près de 30 % de ses recettes prévisionnelles sur la durée totale de la concession. Elle relève que son nombre potentiel de clients est passé de 77 048 à 36 902 lignes. Les offres haut débit pour la cible grand public à partir de la technologie cuivre, dites offres DSL, représentaient en effet environ 60 % de ses recettes prévisionnelles, soit 68,66 millions sur 113,75 millions d'euros. La société Alliance Connectic fait valoir que le changement brutal de stratégie des opérateurs de télécommunication n'était pas prévisible et est également indépendant de son action. Elle relève que les données disponibles à la fin de l'année 2007 indiquaient que les opérateurs privés concentraient le dégroupage dans les zones les plus densément peuplées.

7. D'une part, toutefois, la concurrence économique ne saurait constituer un aléa imprévisible dans un marché en pleine mutation au gré des évolutions technologiques, y compris dans des zones encore mal desservies. Si la requérante fait valoir que l'ampleur du changement de stratégie des opérateurs concurrents de France Télécom ne pouvait être prévue, elle a cependant pris un risque d'exploitation en fondant sur vingt ans l'équilibre financier de la délégation de service public, principalement sur des recettes provenant de la technologie DSL, tout en relevant, dans son mémoire en imprévision qu'elle ne pouvait avoir aucune visibilité sur les demandes de dégroupage des opérateurs qui sont adressées directement à la société Orange. Par ailleurs, il n'était nullement imprévisible que les opérateurs de télécommunications débutent le dégroupage par les zones les plus densément peuplées nécessitant des investissements moindres et ayant un potentiel de recettes plus élevé. Ainsi que cela ressort des termes mêmes de son mémoire en imprévision, la société Alliance Connectic comptait elle aussi sur la commercialisation de ses offres dans les zones les plus densément peuplées pour développer l'offre dans les zones rurales et faiblement peuplées disposant d'un potentiel commercial moindre. En outre, la requérante n'établit pas davantage que le dégroupage par les opérateurs de télécommunications concurrents de l'opérateur historique correspondait à un changement brutal de stratégie de leur part et non à une évolution concurrentielle normale tenant à la recherche de nouvelles parts de marché dans un secteur fortement concurrentiel, alors qu'ainsi qu'il est dit, le dégroupage dans la zone géographique de la convention litigieuse avait été entamé dès l'année 2007, avant même la signature de la convention de délégation de service public. De plus, dans son mémoire en imprévision, la société Alliance Connectic relève que, s'agissant du marché concerné, le facteur temps et la présence d'opérateurs alternatifs dans les NRA sont essentiels, tout en soulignant que l'attribution de la délégation de service public a pris un an de retard. Ce retard allégué a nécessairement modifié le contexte économique et financier du marché attribué à la société Alliance Connectic, qui aurait dû revoir ses prévisions d'emblée.

8. D'autre part, la société Alliance Connectic relève, dans son mémoire en imprévision, que la société Free a dégroupé 13 NRA dès la fin de l'année 2007, avant la signature de la convention litigieuse et que la société SFR a commercialisé ses NRA entre avril et juillet 2008. Elle ne pouvait ainsi ignorer, avant même la signature de la convention litigieuse, sinon le début de la mise en oeuvre, que ses prévisions de recettes étaient compromises.

9. Par ailleurs, selon l'article 1.1.3.2. relatif au raccordement des répartiteurs de l'opérateur historique de l'annexe 1 de la convention litigieuse : " Le Concessionnaire s'engage à raccorder via le Réseau syndical l'ensemble des répartiteurs téléphoniques existants et futurs de l'opérateur historique implantés sur le territoire de l'Aire Urbaine (...) / En particulier, et avant toute extension ultérieure, le Concessionnaire raccorde les répartiteurs figurant dans le tableau ci-après, qui précise également la liste prévisionnelle des répartiteurs qui seront dégroupés et donc équipés dès leur raccordement de un ou plusieurs DSLAM pour la production de services d'accès DSL dans les conditions techniques et tarifaires de l'annexe 3 de la Convention de concession relative au catalogue de services et à la grille tarifaire. / Les répartiteurs non dégroupés par le Concessionnaire seront ceux qui seront d'ores et déjà dégroupés par au moins deux opérateurs alternatifs douze mois après la date d'entrée en vigueur de la Convention de concession. Dans l'hypothèse où le nombre de répartiteurs à dégrouper par le Concessionnaire serait finalement inférieur au nombre prévisionnel de répartiteurs à dégrouper figurant dans la liste ci-dessous, les Parties se concerteront dans le cadre du Comité de suivi pour redéployer les économies d'investissements sur d'autres postes de travaux. ".

10. Il résulte de ces stipulations que le SMAU et la société Alliance Connectic avaient expressément prévu la possibilité d'un nombre moindre de répartiteurs à dégrouper que le nombre prévisionnel, ce qui devait conduire à un redéploiement des moyens mobilisés dans le cadre de la délégation de service public. Ainsi qu'il a été dit, Alliance Connectic ne pouvait ignorer, dès le début de la mise en oeuvre de la convention, que ses prévisions de recettes étaient fondées sur des hypothèses non réalistes. Elle a d'ailleurs alerté le SMAU sur ce point dès le début de l'année 2009. Elle ne saurait ainsi soutenir, en 2015, que le déficit d'exploitation résulterait d'un évènement imprévisible et indépendant de son action, alors qu'il lui appartenait dès la première année d'exploitation de redéployer les moyens mis en oeuvre dans le cadre d'une concertation avec le SMAU.

11. Il résulte de ce qui précède que l'aléa résultant d'un dégroupage moindre de NRA que celui résultant de l'état prévisionnel, alors même qu'il se serait produit plus rapidement que ce qu'anticipait la société Alliance Connectic, ne peut être regardé ni comme imprévisible, ni comme indépendant de son action. En effet, d'une part, la perte de recettes alléguée résulte de l'hypothèse d'un contexte concurrentiel faible retenue par la requérante pour établir ses prévisions, ce qui s'est révélé erroné, mais sans revêtir aucun caractère d'imprévisibilité. D'autre part, la société Alliance Connectic a également pris du retard dans la réalisation du réseau, ce qui a décalé de deux ans la commercialisation de ses offres et la perception de ses premières recettes.

12. En deuxième lieu, le déploiement de la fibre optique pour permettre l'accès des ménages et des entreprises au très haut débit était également prévisible avant même la conclusion de la délégation de service public. Ce déploiement était très largement évoqué, y compris publiquement, ainsi que cela ressort en particulier d'un point de presse de l'Autorité des communications électroniques et des Postes (ARCEP) de novembre 2006, dont les extraits sont cités dans les écritures en défense, qui évoquait notamment un marché français du haut débit dynamique et relevait que la fibre serait indispensable pour monter en puissance, mais également des travaux parlementaires relatifs à la loi pour une modernisation de l'économie du 4 août 2008, de la consultation publique de l'ARCEP sur l'analyse des marchés de gros du haut débit et du très haut débit du 19 décembre 2007 au 1er février 2008 ou des communications publiques des opérateurs eux-mêmes dont les extraits pertinents sont cités dans les écritures en défense. Ainsi la société Alliance Connectic, professionnel du secteur, qui ne pouvait ignorer cette évolution technologique et ses conséquences économiques, n'est pas fondée à soutenir qu'elle constituait un aléa imprévisible, eu égard notamment à la durée de vingt ans de la délégation de service public litigieuse. L'annexe 1 de la convention de délégation de service public mentionnait d'ailleurs, au nombre des objectifs du délégataire, le développement d'une " offre diversifiée (...) à haut et très haut débit sur la plus grande partie du territoire " et la mise en place d'une " politique d'incitation au Très Haut débit " en direction des opérateurs économiques. L'article 1.1.3.5.2 de cette annexe définissait, à cet égard, un objectif précis de raccordement de neuf zones d'activités avec une " architecture de type FTTH " (dite " Fiber to the Home " ou " fibre optique jusqu'au domicile "). La société Alliance Connectic proposait, au suplus, une option " FTTH " dans son offre consistant à desservir entièrement quatre zones de logements, certes non retenue par le SMAU, mais qui établit qu'elle n'ignorait pas l'enjeu que représentait le déploiement de la fibre optique.

13. En troisième lieu, il résulte de l'instruction et en particulier du mémoire en imprévision de la société Alliance Connectic que la société Orange proposait depuis le mois de mai 2005 une offre de fibre optique activée (dite " Lan to Lan ") de gros aux opérateurs de détail, qui pouvaient ensuite commercialiser leurs propres offres à destination des utilisateurs finaux. France Télécom agissait ainsi, de même que la société requérante, comme " opérateur d'opérateur ". Ainsi que cela ressort de son mémoire en imprévision, la société Alliance Connectic, consciente de la concurrence de l'opérateur historique sur ce segment du marché qui représentait 21 % de ses recettes prévisionnelles, a, en conséquence, déterminé sa politique tarifaire en fonction des tarifs alors pratiqués par la société Orange pour être plus concurrentielle. Cependant, à partir du mois de juin 2010, la société Orange a modifié sa politique commerciale et diminué ses tarifs de 300% jusqu'au 31 décembre 2014, selon la société Alliance Connectic, qui n'a pas été en mesure d'ajuster ses propres tarifs dans des proportions similaires. Toutefois, selon les stipulations de l'article 32 de la convention de délégation de service public, le " Délégataire conçoit, réalise, finance et exploite le réseau syndical à ses risques, frais et périls ". Cet article précise également que les recettes prévisionnelles sont réputées permettre au délégataire d'assurer l'équilibre économique de la délégation de service public. La société Alliance Connectic ne pouvait ignorer que la politique commerciale et tarifaire de la société Orange était susceptible d'évoluer, y compris de manière très importante, eu égard à sa position dominante sur le marché des télécommunications et cela alors même que les tarifs pratiqués par la société Orange ont ultérieurement été jugés anti-concurrentiels par l'Autorité de la Concurrence. L'aléa commercial ne saurait en effet être regardé, sur un marché particulièrement concurrentiel et en mutation constante, comme imprévisible.

14. En quatrième lieu, selon l'article 6 de la convention de délégation de service public : " (...) Pendant toute la durée de la Convention, l'Autorité délégante s'engage à ne pas favoriser le développement d'une activité concurrente à celle qu'elle a confiée au Délégataire au titre de la Convention de sorte qu'elle ne porte pas atteinte à l'équilibre général de la Délégation. / Le Délégataire est réputé connaître l'existence des infrastructures de télécommunications et offres de service sur le territoire de l'Aire Urbaine, opérateurs de réseaux câblés inclus, à la date de prise d'effet (...) ".

15. D'une part, il résulte de l'instruction que l'opérateur Trinaps est établi depuis 2006, soit antérieurement à la conclusion de la convention de délégation de service public, sur le territoire de Belfort, ce que la société Alliance Connectic n'était pas réputée ignorer.

16. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que la présence de la société d'économie mixte Numerica sur le territoire de la commune de Montbéliard depuis 2009 aurait bouleversé l'économie du contrat de la société Alliance Connectic.

17. En outre, il résulte de l'instruction que le Territoire de Belfort a signé une convention en 2017 avec la société Orange pour la couverture totale FTTH de son territoire d'ici l'année 2022. Le département du Doubs promeut également une politique active de déploiement du réseau très haut débit avec un objectif de raccorder 36 000 foyers à la fin de l'année 2018. La SPL " Bourgogne Franche Comté Numérique " dont le syndicat mixte " Doubs Très Haut Débit " est membre a, quant à elle, signé une convention d'affermage de 15 ans avec la société Orange pour une couverture de 310 000 prises d'ici 2022. Cependant, ces initiatives sont relatives à la desserte des utilisateurs finaux des territoires concernés par le très haut débit. Or, la délégation de service public ne porte pas sur la commercialisation d'offres à très haut débit aux utilisateurs finaux et ne saurait faire obstacle à des initiatives publiques de développement d'une telle offre. En outre, les initiatives bénéficiant de fonds publics ne couvrent pas le même territoire que celui de la délégation de service public litigieuse. Le projet de réseau Très haut débit du syndicat mixte " Doubs Très Haut Débit " exclut ainsi le périmètre de la convention litigieuse. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que ces initiatives récentes seraient à l'origine du déséquilibre financier constaté, ainsi qu'il a été dit, dès le début de l'année 2009, ni de l'absence de redressement de cet équilibre depuis 2009. Par suite, la requérante n'est fondée à soutenir, ni que l'article 6 de la convention litigieuse serait méconnu, ni que le développement d'une offre très haut débit serait à l'origine de son déséquilibre d'exploitation.

18. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'absence de circonstances imprévisibles ou de cas de force majeure, les conclusions de la société Alliance Connectic tendant à ce que le juge du contrat résilie la convention de délégation de service public avec le SMAU ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

19. Une indemnité d'imprévision suppose un déficit d'exploitation qui soit la conséquence directe d'un évènement imprévisible, indépendant de l'action du cocontractant de l'administration, et ayant entraîné un bouleversement de l'économie du contrat.

20. Ainsi qu'il est dit au point 18, il ne résulte pas de l'instruction que le déficit d'exploitation de la société Alliance Connectic soit la conséquence directe de circonstances imprévisibles. En outre, il résulte de l'instruction que la société Alliance Connectic est, pour partie au moins, à l'origine de son déficit d'exploitation. Les travaux de réalisation du réseau ont ainsi connu un retard de deux ans, qui a décalé d'autant la commercialisation de ses offres DSL et la perception de recettes dans un contexte fortement concurrentiel dans lequel, ainsi qu'elle le fait elle-même valoir, le facteur temps était essentiel. Elle n'a pas su adapter le contenu de ses offres et sa politique commerciale face aux mutations technologiques du secteur. Enfin, ainsi qu'il a été dit, ses prévisions de recettes reposaient sur des hypothèses erronées et sous-estimaient gravement le contexte concurrentiel. Les conclusions de la société Alliance Connectic tendant au versement d'une indemnité d'imprévision de 5 242 360 euros ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

21. En outre, les conclusions de la société Alliance Connectic tendant à la résiliation de la convention de délégation de service public étant rejetées, ses conclusions tendant au versement d'une somme de 6 544 510 euros pour le remboursement de la part non-amortie des biens de retour, de 3 429 588 euros de reversement de TVA récupérée au titre des investissements initiaux et de 1 043 011 euros au titre des frais de rupture des contrats passés avec les tiers ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge des départements du Doubs et de la Haute-Saône et du Territoire de Belfort, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que la société Alliance Connectic demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

23. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Alliance Connectic le versement au syndicat mixte Doubs Très Haut Débit (THD), au syndicat mixte Haute-Saône Numérique et au Territoire de Belfort de la somme totale de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Alliance Connectic est rejetée.

Article 2 : La société Alliance Connectic versera au syndicat mixte Doubs Très Haut Débit (THD), au syndicat mixte Haute-Saône Numérique et au Territoire de Belfort une somme totale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Alliance Connectic, au syndicat mixte Doubs Très Haut Débit (THD), au syndicat mixte Haute-Saône Numérique, au Territoire de Belfort, au département du Doubs et au département de la Haute-Saône.

2

18NC02597


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02597
Date de la décision : 28/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution technique du contrat - Aléas du contrat - Force majeure.

Marchés et contrats administratifs - Exécution technique du contrat - Aléas du contrat - Imprévision.


Composition du Tribunal
Président : M. DEVILLERS
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS FIDAL DE PARIS LA DEFENSE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-01-28;18nc02597 ?
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