Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'une part, d'annuler la décision du 14 octobre 2013 par laquelle la responsable de la division ressources humaines et formation professionnelle de la direction départementale des finances publiques du Haut-Rhin a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 949 000 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Par un jugement n° 1404638 du 10 mai 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 3 juillet 2017, 16 mars 2018 et 13 février 2019, Mme E..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 10 mai 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 14 octobre 2013 refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 949 000 euros au titre des différents préjudices qu'elle estime avoir subis ;
4°) d'enjoindre à la direction générale des finances publiques de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir;
5°) d'ordonner la communication du rapport d'enquête réalisé par le bureau RH-2B du ministère des finances ;
6°) d'ordonner à la direction générale des finances publiques de la rétablir dans ses fonctions avec reconstitution de carrière en tenant compte des atteintes qu'elle a subies concernant son avenir professionnel ;
7°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le jugement est entaché d'une omission à statuer, s'agissant de l'existence à son égard d'une discrimination ;
- la décision a été signée par une autorité incompétente ;
- la décision a été prise sept mois avant le résultat de l'enquête diligentée et son audition ;
- elle a fait l'objet de harcèlement moral ;
- elle a été mutée d'office à Romans-sur-Isère ce qui constitue une sanction déguisée ;
- son administration a manqué aux règles de protection de sa santé en refusant de transmettre sa déclaration d'accident imputable au service ;
- la rétention de ses indemnités journalières de maladie et le caractère irrégulier de leur versement constituent des faits de harcèlement moral ;
- son administration a violé le secret médical, le secret professionnel et la discrétion professionnelle ;
- elle a fait l'objet de discrimination au sens de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.
Par des mémoires en défense enregistrés les 14 décembre 2017 et 16 janvier 2019, le ministre de l'économie, des finances, de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- la requête méconnaît les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.
- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;
- les conclusions indemnitaires de la requérante sont irrecevables ;
- les conclusions tendant à sa demande de transmission du rapport d'enquête réalisé par le bureau RH 2B du ministère des finances sont nouvelles et par suite irrecevables.
Mme E... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 juin 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le décret n° 2009-208 du 20 février 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Steinmetz-Schies, président,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., agent administratif des finances publiques, a été affectée à compter du 5 juillet 2012 au service des impôts des particuliers de Mulhouse-ville. Elle a été placée en congé de maladie ordinaire à compter du 10 octobre 2012 puis en disponibilité d'office pour raisons de santé à compter du 8 janvier 2015. Le 19 juin 2013, elle a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison de faits de harcèlement moral qu'elle estime avoir subis et cette demande a été rejetée par une décision du 14 octobre 2013. Mme E... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande d'annulation de cette décision et a sollicité, en cours d'instance, la condamnation de l'Etat à lui verser une somme totale de 949 000 euros en réparation des préjudices subis. Elle relève appel du jugement du 10 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Contrairement à ce que soutient l'administration en défense, la requête d'appel présentée par Mme E... ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement le texte de son mémoire de première instance et comporte une critique du jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes. Ainsi, elle satisfait aux exigences de motivation énoncées à l'article R. 411-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement :
3. Dans des mémoires complémentaires enregistrés les 29 septembre 2016 et 27 mars 2017 devant le tribunal administratif de Strasbourg, Mme E... a fait valoir que " le harcèlement devient un comportement discriminatoire lorsqu'il est lié à un critère de discrimination prohibé par la loi ", en se référant à son propre état de santé. Il est constant que les premiers juges ne se sont pas prononcés sur la discrimination alléguée et ont, par suite, entaché le jugement attaqué d'une omission à statuer.
4. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler ce jugement et de statuer, par la voie de l'évocation, sur les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Strasbourg par Mme E....
Sur la légalité de la décision attaquée :
En ce qui concerne la légalité externe :
5. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article 3 du décret n° 2009-208 du 20 février 2009 relatif au statut particulier des administrateurs des finances publiques : " Les administrateurs des finances publiques chargés de la direction de l'une des structures mentionnées aux deux premiers alinéas de l'article 2 disposent du pouvoir hiérarchique sur les personnels de tous grades placés sous leur autorité. Ils disposent de moyens matériels dont ils orientent et surveillent la mise en oeuvre. Ils sont investis d'attribution et d'un pouvoir de décision propres, notamment en matière contentieuse et gracieuse. Ils sont ordonnateurs secondaires de droit pour ce qui concerne l'exécution des décisions directement liées à l'assiette et au recouvrement des impôts et recettes publiques. Ils peuvent, en matière de gestion des personnels, dans les domaines relevant de leur compétence, déléguer leur signature à des agents de catégorie A placés sous leur autorité ".
6. Par décret du 3 août 2010, M. D... F..., administrateur général des finances publiques, nommé directeur général des finances publiques du Haut-Rhin par décision du 19 octobre 2010, a, par décision du 2 septembre 2013, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département du Haut-Rhin, donné délégation spéciale de signature à Mme C..., administratrice des finances publiques, responsable de la division des ressources humaines " pour signer les pièces et documents relatifs aux attributions de leur division et de leur service (...) ". Si Mme E... soutient que la gestion des demandes de protection fonctionnelle ne fait pas partie des attributions du services des ressources humaines du Haut-Rhin dès lors qu'une circulaire du 8 avril 2013 définit le protocole d'analyse et de traitement des incidents au titre du dispositif de protection fonctionnelle, et que le responsable de la division RH de la direction doit saisir le bureau RH-2B, il ressort de ladite circulaire que seuls sont concernés " les incidents devant être signalés en raison de leur nature ou de la nécessité d'une analyse de la situation et d'une définition des suites à donner, notamment pénales ", ce qui, manifestement ne relevait pas de sa situation. Par suite, contrairement à ce que soutient la requérante, Mme C... disposait d'une délégation de signature régulière l'habilitant à signer la décision contestée du 14 octobre 2013, relevant de son domaine d'activité. Cette décision n'est donc pas entachée d'incompétence.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le 29 août 2013, Mme E... a adressé à la ministre des droits de la femme un courrier dénonçant sa situation, et qu'à la suite de la transmission de ce courrier au ministre de l'économie et des finances, l'administration des finances publiques a diligenté une enquête administrative qui l'a conduite à informer l'intéressée, le 13 mai 2014, qu'à la suite des investigations menées, aucun fait de harcèlement n'avait pu être mis en évidence. Mme E... n'est par suite pas fondée à faire grief à l'administration de lui avoir refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle avant les résultats de l'enquête administrative diligentée par l'administration et avant son audition le 28 février 2014 qui sont sans lien avec la décision contestée du 14 octobre 2013.
8. En troisième lieu, la décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le support et par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
9. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Aux termes de l'article 11 de la même loi : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire (...). La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...)".
10. D'une part, ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général ; cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis ; la mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre ; il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
11. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
12. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme E... a pu participer aux journées de préparations au concours interne de contrôleur des finances publiques organisées par la direction départementale des finances publiques, que, contrairement à ce qu'elle soutient, elle a bénéficié des autorisations d'absence accordées au titre des veilles de concours et des participations aux examens, et qu'un second parcours de formation lui a été proposé afin de répondre à ses contraintes personnelles. Aucun élément ne permet d'établir qu'elle aurait été dissuadée de se présenter à un concours, que ses congés auraient été annulés ou qu'elle aurait fait, à cette occasion, l'objet de propos agressifs et déplacés de ses supérieurs.
13. En deuxième lieu, aucun élément ne permet d'établir que la requérante aurait avancé de frais professionnels qui ne lui auraient pas été remboursés, qu'elle aurait demandé une avance qui ne lui aurait pas été accordée ou qu'elle aurait été lésée quant à l'alimentation de son compte épargne temps.
14. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la vérification de l'état de santé de Mme E... par une contre-visite médicale organisée le 31 janvier 2013 ait été motivée par le but de nuire à l'intéressée alors que le médecin assermenté qui y a procédé a regardé son état comme compatible avec une reprise du travail, une telle contre-visite médicale relevant des attributions normales de tout chef de service s'agissant d'arrêts de travail prolongés pour cause de maladie. Si le médecin psychiatre a reconnu le 17 juillet 2014 l'existence d'une souffrance éprouvée par Mme E... dans son cadre professionnel, cet avis, établi postérieurement à la date de la décision contestée et reprenant les déclarations de l'intéressée, ne peut être regardé comme établissant l'existence, depuis 2012, de faits susceptibles de constituer le harcèlement moral qu'elle dénonce.
15. En quatrième lieu, si le 22 juillet 2013 Mme E... a adressé au service des ressources humaines une déclaration d'accident de service pour solliciter la reconnaissance de l'imputabilité au service de son état de santé au regard d'un incident qui serait survenu le 12 septembre 2012, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que sa demande, qui a été instruite selon les procédures applicables en l'espèce, sur avis d'un médecin expert et de la commission de réforme départementale, et alors que Mme E... avait, entretemps, obtenu sa mutation, aurait été traitée dans des conditions révélatrices d'une situation de harcèlement moral, le refus d'imputabilité au service étant, au demeurant, intervenu le 28 février 2015, postérieurement à la date de la décision attaquée.
16. En cinquième lieu, si Mme E... soutient avoir été mutée d'office à Romans-sur-Isère au 1er septembre 2013, il n'est pas contesté qu'elle a participé au mouvement annuel de mutation. La circonstance qu'elle n'ait pas pu accéder à son bureau durant la période d'août 2013, avant son départ en mutation du fait de la démagnétisation de son badge ne saurait suffire à suspecter l'existence d'une éviction irrégulière du service ou d'une sanction déguisée, alors qu'à cette date, elle était absente pour raison de santé depuis plus de six mois.
17. En sixième lieu, les allégations de violation du secret médical, du secret professionnel et de discrétion professionnelle par les services gestionnaires de son administration à l'égard du docteur Varel et du docteur Peteers, chargés des expertises médicales ne sont pas établies dès lors qu'il est constant que des derniers ont été dûment mandatés afin de vérifier le bien-fondé des motifs médicaux avancés pour justifier les absences de la requérante.
18. En septième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les litiges, actuellement pendants devant le tribunal administratif de Grenoble, qui opposent la requérante à l'administration s'agissant du versement de ses indemnités journalières après sa mise en disponibilité, par un arrêté du 10 février 2015 d'ailleurs postérieur à la décision attaquée, soient révélateurs d'une situation de harcèlement moral à son encontre.
19. En dernier lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison (...) de leur état de santé (...)".
20. D'une part, si Mme E... soutient avoir été, entre le 31 janvier 2013 et le 17 juillet 2014, le seul agent du département du Haut-Rhin à avoir été convoquée à cinq expertises médicales, dont deux en un mois, pour une durée de congé de maladie ordinaire inférieure à six mois consécutifs, aucun élément ne permet d'établir que l'administration aurait recouru abusivement à ces contre-visites.
21. D'autre part, la circonstance que Mme E... n'ait pas été convoquée à l'épreuve orale d'entrainement pour le concours interne de contrôleur des finances publiques en raison de son absence pour raisons médicales n'établit pas davantage l'existence d'une discrimination organisée par son administration dans le cadre d'une situation de harcèlement moral.
22. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner la communication sollicitée, que la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été victime de faits constitutifs de harcèlement moral ni, par suite, à demander l'annulation de la décision par laquelle le bénéfice de la protection fonctionnelle lui a été refusé à ce titre.
Sur les conclusions indemnitaires :
23. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme E... tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'un harcèlement moral doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité.
Sur les conclusions à fins d'injonction et d'astreinte :
24. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de Mme E..., n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme E... demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1404638 du 10 mai 2017 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Strasbourg, ainsi que ses conclusions aux fins d'injonction et tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 d code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et au ministre de l'économie, des finances, de l'action et des comptes publics.
N° 17NC01590 2