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17/10/2019 | FRANCE | N°17NC01134

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 17 octobre 2019, 17NC01134


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier universitaire de Nancy à lui verser la somme de 300 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en raison du harcèlement subi par son époux décédé.

Par un jugement n° 1502298 du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 mai 2017, le 26 m

ars 2019, le 13 juin 2019 et le 22 juillet 2019, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier universitaire de Nancy à lui verser la somme de 300 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en raison du harcèlement subi par son époux décédé.

Par un jugement n° 1502298 du 16 mars 2017, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 mai 2017, le 26 mars 2019, le 13 juin 2019 et le 22 juillet 2019, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 16 mars 2017 ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nancy à lui verser, en sa qualité d'ayant-droit de M. E... A..., les sommes de 200 000 euros au titre du préjudice moral et de 100 000 euros au titre du préjudice de carrière subis par M. A... ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Nancy la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit dès lors que l'existence d'une volonté de nuire est indifférente pour caractériser des faits de harcèlement moral ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et de fait dès lors que les premiers juges ont considéré que Mme A... n'apportait pas d'éléments susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'égard de son époux ;
- les comportements humiliants ou vexatoires du professeur X... , ses réprimandes concernant les compétences professionnelles de M. A..., la désorganisation de son emploi du temps par la modification de ses blocs opératoires, l'inaction de son supérieur hiérarchique en dépit de la grave dégradation de son état de santé, la surcharge de travail, l'absence de soutien pour protéger son collaborateur en difficulté et l'obstacle à son hospitalisation sont constitutifs d'une répétition d'agissements visant personnellement M. A... qui ont conduit à une dégradation de son état de santé psychique et physique ;
- en tout état de cause, la responsabilité du centre hospitalier est engagée dès lors que la dégradation de l'état de santé de M. A... résulte d'un état dépressif majeur lié à un " burn-out " professionnel ;
- le préjudice moral et la dégradation des conditions physiques de son époux justifient l'allocation d'une somme de 200 000 euros ;
- son époux a subi un préjudice de carrière qui justifie l'allocation d'une somme de 100 000 euros.
- elle est recevable à agir en qualité de conjoint-survivant de son époux décédé et à demander la réparation des préjudices qu'il a subis ;
- les témoignages produits par le centre hospitalier émanent de son personnel, soumis à un lien de subordination à son égard ;
- le centre hospitalier et le chef de service de M. A... n'ont pas pris les mesures nécessaires pour le protéger.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 septembre 2017, le 17 mai 2018 et le 12 juillet 2019, le centre hospitalier universitaire de Nancy, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme A... le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- il appartient à Mme A... de démontrer qu'elle exerce l'action successorale de son époux ;
- les prétentions indemnitaires de Mme A... ne sont pas fondées dès lors que les nombreuses attestations produites démontrent que le professeur X... n'a exercé aucun agissement constitutif d'un harcèlement moral à l'encontre de son époux ;
- le centre hospitalier n'est pas responsable de la dégradation de l'état de santé de M. A... qui résulte de l'attitude de l'intéressé lui-même.

Par ordonnance du 25 juillet 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 10 août 2019 à 12h00.

Un mémoire, présenté par le centre hospitalier universitaire de Nancy et enregistré le 5 août 2019, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller,
- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,
- les observations de Me D..., avocat de Mme A...,
- et les observations de Me C..., avocate du centre hospitalier universitaire de Nancy.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., professeur des universités-praticien hospitalier depuis 1998, était employé au service de chirurgie cardio-vasculaire du centre hospitalier universitaire de Nancy. Après deux tentatives de suicide les 9 septembre 2009 et 29 mai 2011, il a mis fin à ses jours le 15 septembre 2011. Le 21 avril 2015, l'épouse de M. A..., estimant que ce suicide était la conséquence du harcèlement moral subi par son époux de la part de son chef de service, a demandé au centre hospitalier universitaire de Nancy de lui verser la somme de 300 000 euros en réparation des préjudice moral et professionnel subis par son époux. Cette demande a été explicitement rejetée le 16 juin 2015. Mme A... relève appel du jugement du 16 mars 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Nancy à lui verser la somme de 300 000 euros au titre des préjudices subis par son époux.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

3. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs l'agent de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

4. Pour écarter la demande présentée par Mme A..., le tribunal s'est fondé sur le motif tiré de ce que n'était pas établie une volonté délibérée de son chef de service de nuire à M. A.... Des faits de harcèlement moral peuvent cependant être constitués indépendamment de l'intention de leur auteur. Il en résulte que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif pour rejeter la demande de Mme A....

5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Nancy.

6. Il résulte de l'instruction que M. A... était un chirurgien expérimenté et reconnu qui avait une forte activité opératoire, à laquelle s'ajoutaient des activités de recherche et d'enseignement. Dès lors qu'il devait succéder en septembre 2011 à son chef de service, le professeur X... , des tâches administratives s'y sont ajoutées, l'ensemble faisant peser sur lui une charge de travail importante. Le 10 mai 2007, il a été victime d'un malaise en service. Toutefois, il ne résulte pas des pièces produites, et en particulier du rapport de l'expertise médicale diligentée à l'occasion de la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de cet accident, que ce dernier ait eu pour origine une surcharge d'activité de l'intéressé, qui a repris l'exercice de ses fonctions en septembre 2007, sans aménagement. M. A... a fait une première tentative de suicide le 9 septembre 2009, révélant qu'il présentait les symptômes d'un état dépressif majeur avec une altération de l'humeur de niveau mélancolique, en réaction à la perte d'une de ses patientes, opérée par lui-même quelques jours auparavant, et à un traumatisme lié à une plainte déposée contre lui par un patient en 2007, sans que la surcharge de travail précitée ou les conditions dans lesquelles il était amené à opérer eussent révélé un dysfonctionnement du service auquel il appartenait. A l'issue de son hospitalisation et de son arrêt de travail, M. A... a été autorisé par son psychiatre à reprendre une activité professionnelle, tout en suivant un traitement de médicaments psychotropes à compter de novembre 2009. Afin de lui assurer une reprise professionnelle progressive, le professeur X... lui a proposé d'effectuer un stage dans un établissement hospitalier à Lille, ce qu'il a accepté, avant de reprendre ses fonctions en mars 2010. Il ressort des auditions produites que le professeur X... a alors veillé à alléger la charge opératoire de M. A.... Toutefois, en dépit de ces mesures, il est apparu que M. A... rencontrait des difficultés en lien avec les traitements médicamenteux qu'il suivait, ayant conduit certains personnels à faire état de craintes d'incidents graves en chirurgie. En accord avec l'intéressé, le professeur X... a suspendu l'activité opératoire de M. A... à compter de mai 2011, le temps qu'il se rétablisse. M. A... a toutefois, à nouveau, tenté de mettre fin à ses jours, le 29 mai 2011. En dépit d'une nouvelle hospitalisation, sans reprise de ses fonctions, il s'est suicidé le 15 septembre 2011. Il ne résulte pas de l'instruction que le professeur X... , en dépit de sa personnalité notoirement exigeante, ait manifesté des comportements dévalorisants ou humiliants à l'égard de M. A..., ni qu'il lui ait adressé des réprimandes ou des propos vexatoires dans les années qui ont précédé sa première tentative de suicide ou par la suite, alors au demeurant qu'il l'avait désigné pour lui succéder et entretenait ainsi avec lui une relation de travail rapprochée. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que les reports des opérations programmées dans l'emploi du temps de M. A..., en raison des nécessités liées aux urgences, nécessairement vitales eu égard à la spécialisation du service, n'étaient pas justifiées ou excessives par rapport aux reports des interventions des autres chirurgiens du service. De plus, il ne résulte pas des pièces produites que le professeur X... ait été à l'origine d'une surcharge du travail confié à M. A..., démesurée et sans rapport avec l'objectif dont ils étaient convenus de succession à son poste dans le service, ni que le professeur X... n'ait pas pris les mesures qui s'imposaient, au regard de l'état de santé de M. A.... Enfin, si le professeur X... était réticent à l'hospitalisation de M. A..., à la suite de sa première tentative de suicide, il résulte de l'instruction que cela n'a pas empêché l'intéressé d'être pris en charge dans les délais qui s'imposaient et de se faire soigner.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les faits évoqués par Mme A..., pris isolément ou dans leur ensemble, ne peuvent être regardés comme des agissements répétés, constitutifs d'un harcèlement moral de la part de son chef de service à l'égard de son époux. Par suite, le centre hospitalier universitaire de Nancy ne peut être regardé comme ayant commis à l'égard de l'époux de l'intéressée une faute de nature à engager sa responsabilité.

8. En second lieu, s'il est constant que M. A... a été victime d'un épuisement professionnel à l'origine de sa grave dépression, il ne résulte pas de l'instruction, notamment eu égard à ce qui précède, que cet épuisement résulte d'une faute commise par l'établissement hospitalier dans les tâches qui lui ont été confiées ou dans l'organisation ou le fonctionnement du service où il était affecté. En outre, dès lors que M. A... avait été autorisé par son psychiatre à reprendre une activité professionnelle après sa première tentative de suicide, sans qu'aucune restriction n'ait été émise, il n'est pas plus établi que l'établissement hospitalier n'aurait pas pris les mesures qui s'imposaient pour sauvegarder l'état de santé de son employé tel qu'il avait été porté à sa connaissance par M. A.... Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à rechercher la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Nancy.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier universitaire de Nancy, Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Nancy, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme A... demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée par le centre hospitalier universitaire de Nancy au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier universitaire de Nancy présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au centre hospitalier universitaire de Nancy.

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N° 17NC01134


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NC01134
Date de la décision : 17/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. DEVILLERS
Rapporteur ?: Mme Sandrine ANTONIAZZI
Rapporteur public ?: M. LOUIS
Avocat(s) : SCHRAMECK

Origine de la décision
Date de l'import : 07/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-10-17;17nc01134 ?
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