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23/07/2019 | FRANCE | N°18NC03319

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 23 juillet 2019, 18NC03319


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 22 août 2018 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a décidé son transfert vers l'Italie et l'arrêté du même jour par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l'assigné à résidence pour une durée de vingt jours, renouvelable trois fois.

Par un jugement n° 1802357 du 28 août 2018, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

:

Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2018, M.A..., représenté par Me B..., demande à l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 22 août 2018 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a décidé son transfert vers l'Italie et l'arrêté du même jour par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l'assigné à résidence pour une durée de vingt jours, renouvelable trois fois.

Par un jugement n° 1802357 du 28 août 2018, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2018, M.A..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre, à titre principal, au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui permettre de déposer une demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de quinze jours ;

4°) d'enjoindre, à titre subsidiaire, au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa situation, dans le délai de quinze jours, et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de remise aux autorités italiennes est insuffisamment motivée ;

- elle est contraire aux dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le nom et la qualité de l'agent qui a procédé à l'entretien n'est pas mentionné, ce qui méconnait également l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle est contraire aux dispositions du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est contraire aux dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et à l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que le délai d'exécution de la décision de transfert a été porté à dix-huit mois en application du 2 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.

M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nancy du 9 novembre 2018.

Par lettre du 28 février 2019, la cour a informé les parties qu'en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, elle était susceptible de relever d'office le moyen tiré de ce que l'expiration du délai maximal de dix-huit mois défini à l'article 29 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 a pour conséquence que l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Il devient donc impossible d'exécuter la décision de transfert initiale et il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision de prolongation de cette dernière.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D...Dhers a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., ressortissant sierra-léonais né le 22 janvier 1996, a déclaré être entré en France le 31 décembre 2017 pour y solliciter l'asile. Le requérant ayant auparavant déposé une demande d'asile en Italie, le préfet de Meurthe-et-Moselle a décidé le 22 août 2018 de le transférer vers ce pays et de l'assigner à résidence. Le délai d'exécution de la décision de transfert a été porté à dix-huit mois en application du 2 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. M. A...a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler ces décisions. Le requérant relève appel du jugement du 28 août 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. En premier lieu, la décision de transfert de M. A...vers l'Italie comporte les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement. M. A...n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'elle est entachée d'un défaut de motivation.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". Aux termes de l'article L. 111 2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent est respecté. ". Aux termes de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile, assigner à résidence un demandeur d'asile en application de l'article L. 742-2 et prendre une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 est le préfet de département et, à Paris, le préfet de police. La même autorité est compétente pour faire conduire l'étranger assigné à résidence en vue d'assurer sa présentation aux convocations de l'autorité administrative et aux entretiens prévus dans le cadre de la procédure de détermination de l'Etat responsable de la demande d'asile et pour saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de requérir les services de police ou les unités de gendarmerie en application des quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 742-2. ".

5. M. A...soutient qu'il n'a pas bénéficié d'un entretien individuel confidentiel et mené par une personne qualifiée en vertu du droit national dès lors que le résumé de l'entretien ne fait pas apparaître le nom et la qualité de l'agent. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le requérant a bénéficié d'un entretien individuel le 28 février 2018, réalisé en langue anglaise qu'il a déclaré comprendre. Cet entretien, qui a été mené dans les locaux de la préfecture de la Moselle par un agent de la préfecture, doit être regardé comme ayant été réalisé par une personne qualifiée au sens des dispositions précitées. En outre, l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent chargé de conduire cet entretien et précise, dans son point 6, que le résumé de l'entretien individuel mené avec le demandeur d'asile peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type, qui ne sauraient être regardés comme une correspondance au sens de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Dès lors, l'agent qui établit ce résumé n'est pas tenu d'y faire figurer son prénom, son nom et sa qualité. Par suite, si ces mentions ne figurent pas sur le résumé de l'entretien individuel mené avec M.A..., cette circonstance est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet entretien, compte tenu des modalités de son déroulement, n'aurait pas été effectué dans le respect des règles de confidentialité. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. ".

7. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

8. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces produites par M. A...que la situation générale en Italie ne permettait pas d'assurer, à la date à laquelle la décision du 22 août 2018 en litige a été prise, un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile ni que ce pays aurait exposé l'intéressé à un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant. Le requérant soutient que les autorités italiennes ont affiché leur volonté de ne plus prendre en charge des demandeurs d'asile et que la législation italienne récente méconnait les garanties attachées au droit d'asile. Toutefois, s'ils attestent la dégradation des conditions de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, les éléments produits par M. A...ne permettent pas de considérer comme établie l'existence, à la date de la décision litigieuse, de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays ou d'une incapacité structurelle d'examiner les demandes d'asile. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a décidé la remise de M. A... aux autorités italiennes aurait été pris en méconnaissance des dispositions du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

9. En dernier lieu, pour les motifs exposés au point précédent, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de celles de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, concernant le pouvoir discrétionnaire de chaque Etat membre d'accorder l'asile, même à des personnes dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat, doivent être écartés, ainsi que celui tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ces dispositions.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation des arrêtés du 22 août 2018 ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2019, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Dhers, président assesseur,

Mme Bauer, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 juillet 2019.

Le rapporteur,

Signé : S. DHERSLe président,

Signé : J. MARTINEZ

La greffière,

Signé : S. GODARD

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. GODARD

2

N° 18NC03319


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC03319
Date de la décision : 23/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Stéphane DHERS
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : JEANNOT

Origine de la décision
Date de l'import : 30/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-07-23;18nc03319 ?
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