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23/07/2019 | FRANCE | N°18NC01682

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 23 juillet 2019, 18NC01682


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C...E...ont demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010, 2011, 2012 ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1601885, 1603115 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés, respectivement l

es 9 mai 2018 et 1er avril 2019, M. et Mme C...E..., représentés par MeB..., demandent à la cou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C...E...ont demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010, 2011, 2012 ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1601885, 1603115 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés, respectivement les 9 mai 2018 et 1er avril 2019, M. et Mme C...E..., représentés par MeB..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010, 2011, 2012 ainsi que des pénalités correspondantes ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- il n'est pas établi que les rôles qui leur ont été adressés aient été homologués dans des conditions régulières et notamment par une personne compétente pour le faire ;

- la SARL Restonews a été privée d'un débat avec le supérieur hiérarchique avant la mise en recouvrement des impositions en litige ; la date de signature de l'avis de mise en recouvrement a été modifiée afin d'y inscrire une date postérieure à la date du rendez-vous avec le supérieur hiérarchique ;

- l'administration n'a pas produit l'original de l'avis de mise en recouvrement adressé à la SARL Restonews et elle n'établit pas qu'il comportait les nom, prénom, qualité ou grade de son auteur, ce qui ne lui permet pas de s'assurer de la régularité de la procédure ; l'ampliation étant identique à son original, le défaut de ces mentions sur le document entache d'irrégularité la procédure ; la doctrine administrative BOI-REC-PREA-10-10-20 n° 150 du 17 juillet 2015 impose également ces mentions ;

- le vérificateur a siégé à la commission départementale des impôts directs et taxes sur le chiffre d'affaires du 26 mai 2015, au moins au cours de l'affaire précédente à celle de la SARL Restonews ; l'avis de la commission ne mentionne pas les déclarations faites par le vérificateur à propos de l'anomalie relevée dans les " checksums ", qui permettrait de détecter des manipulations frauduleuses ;

- les limites rencontrées par les outils informatiques pour traiter un nombre important de données comptables n'ont pas permis au vérificateur de les analyser de façon fiable et exhaustive ; le principe du contradictoire a été méconnu puisque l'administration a relevé de manière unilatérale des anomalies malgré le risque de pertes de données faute d'être en capacité d'analyser dans sa globalité les éléments comptables ;

- les conditions dans lesquelles l'emport des documents informatisés a été réalisé entachent d'irrégularité la procédure ;

- la SARL Restonews a été privée d'un débat oral et contradictoire dès lors que l'administration n'a pas tenu compte de la prise de deux repas pour chacun des salariés dans la reconstitution des boissons consommées ;

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;

- l'administration ne démontre pas que les anomalies prétendument constatées constitueraient des " checksums " ; elle n'établit pas que la comptabilité de la société ne serait ni sincère ni probante ;

- la méthode de reconstitution est excessivement sommaire et radicalement viciée.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 octobre 2018 et 6 juin 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme E...ne sont pas fondés.

Par lettre du 2 mai 2019, la cour a, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, informé les parties de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que l'administration a, à tort, fait application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au 7 de l'article 158 du CGI pour l'établissement des contributions sociales assises sur les revenus considérés comme distribués (cf. Conseil constitutionnel 7 juillet 2017 décision n° 2017-643/650 QPC).

Par un mémoire, enregistré le 6 mai 2019, le ministre de l'action et des comptes publics a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public.

Par une lettre du 13 mai 2019, les parties ont été informées que l'affaire, initialement inscrite au rôle de l'audience du 9 mai 2019, était reportée à une séance ultérieure.

Par une lettre du 13 mai 2019, les parties ont été informées qu'en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience du 4 juillet 2019 et que l'instruction était susceptible d'être close à partir du 7 juin 2019 sans information préalable.

Par un mémoire enregistré le 6 juin 2019, qui n'a pas été communiqué faute de comporter d'éléments nouveaux, M. et Mme E...concluent aux même fins par les mêmes moyens.

Par une ordonnance du 11 juin 2019, une clôture immédiate d'instruction a été décidée.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dhers,

- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Restonews, dont M. E...est l'associé majoritaire et le gérant, qui a pour activité l'exploitation de deux restaurants, a fait l'objet d'un contrôle inopiné le 11 juillet 2013, mis en oeuvre dans le cadre de l'article L. 47 alinéa 4 du livre des procédures fiscales. Puis, la société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2012, étendue au 31 mai 2013 en matière de taxes sur le chiffre d'affaires. L'administration a estimé qu'une partie des recettes encaissées avait été dissimulée et a, par conséquent, reconstitué le chiffre d'affaires de ladite société. Par proposition de rectification du 18 décembre 2013, l'administration lui a notifié, dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 2010, 2011, 2012 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er octobre 2009 au 31 mai 2013. Par proposition de rectification du 18 décembre 2013 notifiée dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire, l'administration a, sur le fondement de l'article 109-1-1° du code général des impôts, imposé entre les mains de M. et Mme E...les revenus distribués résultant des rehaussements effectués au niveau de la SARL Restonews et a mis à leur charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2010, 2011 et 2012. M. et Mme E...relèvent appel du jugement du 15 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes.

Sur l'étendue du litige :

2. Par une décision du 6 mai 2019, postérieure à l'introduction de la requête, le ministre de l'action et des comptes publics a prononcé, au bénéfice de M. et Mme E..., des dégrèvements à concurrence de 4 576 euros au titre de l'année 2010, de 7 777 euros au titre de l'année 2011 et de 3 378 euros au titre de l'année 2012. Les conclusions de la requête sont, dans cette mesure, devenues sans objet.

Sur le surplus des conclusions de la requête à fin de décharge :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 1658 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les impôts directs et les taxes y assimilées sont recouvrés en vertu de rôles rendus exécutoires par arrêté du préfet ou d'avis de mise en recouvrement. Pour l'application de la procédure de recouvrement par voie de rôle prévue au premier alinéa, le représentant de l'Etat dans le département peut déléguer ses pouvoirs aux agents de catégorie A placés sous l'autorité des directeurs départementaux des finances publiques ou des responsables de services à compétence nationale, détenant au moins un grade fixé par décret en Conseil d'Etat. La publicité de ces délégations est assurée par la publication des arrêtés de délégation au recueil des actes administratifs de la préfecture. ". Aux termes de l'article 1659 du même code : " La date de mise en recouvrement des rôles est fixée par l'autorité compétente pour les homologuer en application de l'article 1658 en accord avec le directeur départemental des finances publiques. Cette date est indiquée sur le rôle ainsi que sur les avis d'imposition délivrés aux contribuables (...) ".

4. Il résulte de l'instruction que les décisions portant homologation des rôles, en vertu desquels les rappels litigieux ont été mis à la charge de M. et MmeE..., ont été prises par M. A...F...qui bénéficiait à cet effet de délégations de signature du préfet des Vosges et du directeur départemental des finances publiques des Vosges en date des 9 mars et 10 août 2015. Dans le dernier état de ses écritures, le ministre a produit les extraits des rôles en litige dont les mentions n'ont pas été ultérieurement contestées par les requérants. Il résulte également de l'instruction, et en particulier de ces mentions, que la date des mises en recouvrement des rappels, soit le 30 septembre 2015, correspond à celle qui est indiquée sur les avis d'imposition adressés aux requérants. Par suite, le moyen tiré de ce que les rappels en litige n'auraient pas été régulièrement rendus exécutoires et que les décisions d'homologation auraient été prises par une autorité incompétente doit être écarté comme manquant en fait.

5. En deuxième lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable à la présente procédure d'imposition : " Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration. ". Aux termes de l'article L. 256 du même livre : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. / (...) / L'avis de mise en recouvrement est individuel. Il est émis et rendu exécutoire par l'autorité administrative désignée par décret (...) / ".

6. La charte des droits et obligations du contribuable vérifié, rendue opposable à l'administration par ces dispositions de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, assure au contribuable qui en fait la demande la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de rectification, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur. Lorsque cette demande intervient avant que le visa du comptable ne soit porté sur l'avis de mise en recouvrement et ne lui donne ainsi force exécutoire conformément à l'article L. 256 du livre des procédures fiscales, il appartient à l'administration de suspendre la mise en recouvrement jusqu'à l'examen par le supérieur hiérarchique de la situation du contribuable.

7. En vertu du principe d'indépendance des procédures, le moyen tiré de la violation de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, qui concerne la procédure d'imposition de la société Restonews, société de capitaux, et non celle des associés, ne saurait être utilement invoqué par les requérants associés pour contester la procédure d'imposition suivie à leur encontre. Au demeurant, il résulte de l'instruction qu'à la suite d'une demande adressée par la SARL Restonews au supérieur hiérarchique du vérificateur, ce dernier a, par courrier du 14 janvier 2016, informé la société du maintien des rehaussements. Le second avis de mise en recouvrement adressé à la société, qui a succédé à un premier ayant donné lieu à dégrèvement, a été revêtu du visa du comptable public le 20 janvier 2016. En application de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales précité, cet avis de mise en recouvrement a été rendu exécutoire dans les conditions réglementaires à la date à laquelle le visa du comptable public a été porté sur le titre de perception. En l'occurrence, le visa, qui donne force exécutoire à l'avis de mise en recouvrement, a été apposé six jours après que le supérieur hiérarchique du vérificateur eut répondu aux arguments de la société requérante. Par suite, sans que les requérants puissent utilement invoquer la circonstance que la date aurait été inscrite de façon manuscrite sur l'avis, ce qui est sans incidence, la procédure d'imposition suivie à l'égard de ladite société est, en tout état de cause, sur ce point régulière.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dans sa rédaction alors applicable : " Dans ses relations avec l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er, toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l'anonymat de l'agent est respecté. Toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ". Aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : " l'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L 57 ou à la notification prévue à l'article L 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications ". Aux termes de l'article R. 256-6 du même livre : " La notification de l'avis de mise en recouvrement comporte l'envoi au redevable, soit au lieu de son domicile, de sa résidence ou de son siège, soit à l'adresse qu'il a lui-même fait connaître au service des impôts ou au service des douanes et droits indirects compétent, de l'"ampliation" prévue à l'article R. 256-3. ".

9. Il résulte de l'instruction que le second avis de mise en recouvrement adressé à la SARL Restonews indique qu'il a été rendu exécutoire le 20 janvier 2016 par Mme D...L., contrôleur des finances publiques au sein de la 19ème brigade régionale de vérification de Strasbourg située au 35 avenue des Vosges à Strasbourg. Par suite, et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que ce titre exécutoire ne serait pas conforme aux dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, qui ne peut être utilement invoqué par les requérants dès lors qu'il ne concerne que la procédure d'imposition de la SARL Restonews, ne peut qu'être écarté.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable à la présente procédure d'imposition : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements. ". Aux termes de l'article L. 47 A du même livre : " (...) II. - En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : (...) c) Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. Ces copies sont produites sur tous supports informatiques, répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget. L'administration restitue au contribuable avant la mise en recouvrement les copies des fichiers et n'en conserve pas de double. L'administration communique au contribuable, sous forme dématérialisée ou non au choix du contribuable, le résultat des traitements informatiques qui donnent lieu à des rehaussements au plus tard lors de l'envoi de la proposition de rectification mentionnée à l'article L. 57 (...) III. - a. - Dans le cadre du contrôle inopiné mentionné au dernier alinéa de l'article L. 47, lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, les agents de l'administration peuvent réaliser deux copies des fichiers relatifs aux informations, données et traitements informatiques ainsi que de la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements mentionnés au IV de l'article L. 13. (...). "

11. D'une part, M. et Mme E...reprochent au vérificateur d'avoir réalisé des retraitements sur les fichiers Excel et de n'avoir pu opérer qu'un contrôle limité à une partie de la comptabilité de la SARL Restonews eu égard aux limites matérielles d'exploitation de tels fichiers. Il résulte de l'instruction que la copie des données comptables a été réalisée dans les conditions du c) du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales par M.E..., gérant de cette société, sur deux CD Roms qui n'ont pas été emportés par le vérificateur. Les données comptables sont issues du programme de comptabilité PRORES, telles qu'elles ont été extraites des caisses enregistreuses de chacun des deux restaurants exploités par la SARL Restonews puis transférées par le programme vers un ordinateur fixe et un ordinateur portable situés dans les bureaux administratifs de la société. Le vérificateur a écarté la comptabilité comme étant non probante à partir des fichiers caisse sous format .DTT. Comme cela ressort de la réponse aux observations du contribuable notifiée à la société le 16 avril 2014, les écritures comptables sous fichier Excel n'ont pas été utilisées par le vérificateur qui n'a notamment pas pu contrôler la cohérence des recettes quotidiennes entre les livres de caisse tenus sous Excel et les données informatiques du logiciel sous format .DTT. Il s'ensuit que les requérants, qui ne sauraient pas davantage utilement invoquer ce moyen pour contester la régularité de leur procédure d'imposition, ne sont, en tout état de cause, pas fondés à contester sur ce point la régularité de la procédure d'imposition suivie à l'égard de la Sarl Restonews.

12. D'autre part, il résulte de l'instruction que M. E...a mis à la disposition de l'administration des copies de la comptabilité de la SARL Restonews, tenue au moyen de systèmes informatisés, enregistrées sous deux CD Rom comme il a été dit au point précédent. Les dispositions précitées de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales n'imposent pas un système garantissant l'intégrité des données lors de leur extraction. Par suite, et en tout état de cause, dès lors que la procédure de mise à disposition des données comptables est régulière au regard de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, le moyen tendant à critiquer les conditions d'extraction des données sans garantie de leur intégrité n'est pas fondé.

13. En cinquième lieu, les requérants se prévalent d'un problème de compatibilité de versions du logiciel PRORES entre les fichiers caisses, dont la version date de 2008, et les caisses qui disposaient d'une version 2010/2011. Cependant, la vérification de comptabilité a eu lieu du 25 juillet au 13 décembre 2013 et a porté sur les exercices clos en 2010, 2011 et 2012. Les requérants n'apportent aucun élément permettant d'établir la réalité de cette incompatibilité et les conséquences qui en découleraient, dès lors que la société Restonews a pu établir ses déclarations fiscales à partir des fichiers caisse au titre des années en litige. Par suite, et en tout état de cause s'agissant d'une argumentation opérante seulement à l'égard de la procédure d'imposition de la société, le moyen ne peut qu'être écarté.

14. En sixième lieu, dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une société commerciale a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, il appartient au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat, soit avec les mandataires sociaux, soit avec leurs conseils, préposés ou mandataires de droit ou de fait.

15. Il est constant que le gérant de la SARL Restonews, qui a demandé au vérificateur de conduire ses investigations dans les locaux de son entreprise, a personnellement rencontré le vérificateur à plusieurs reprises. Il n'est pas justifié que le vérificateur se soit refusé à tout échange de vues au cours de la vérification de la comptabilité de la SARL Restonews dès lors que les arguments exposés par le gérant ont été repris dans la proposition de rectification du 18 décembre 2013. Par suite, le moyen tiré de l'absence de débat oral et contradictoire doit, en tout état de cause, être écarté.

16. En septième lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ses motifs.

17. La proposition de rectification du 18 décembre 2013 adressée à M. et Mme E...mentionne la nature des impôts concernés, les années d'imposition en cause, le montant des rectifications envisagées ainsi que les textes applicables et les éléments de fait et de droit qui ont conduit à proposer cette rectification aux requérants. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'administration y a précisé les raisons qui l'ont conduite à écarter la comptabilité de la SARL Restonews. Enfin, la circonstance que l'administration fiscale n'aurait pas démontré l'utilisation frauduleuse du logiciel relève du bien-fondé des motifs de la proposition de rectification et par conséquent est sans incidence sur sa régularité formelle. Par suite, M. et Mme E...ne sont pas fondés à soutenir que la proposition de rectification est insuffisamment motivée en application de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.

18. En huitième lieu, à supposer même que M. et Mme E...aient entendu invoquer l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, ils ne sauraient, en tout état de cause, se prévaloir des énonciations de la doctrine administrative relatives à la régularité d'un avis de mise en recouvrement, qui sont exclues du champ d'application de cet article dès lors qu'elles se rapportent à la procédure d'imposition.

19. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 60-2 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable à la présente procédure d'imposition : " A la demande de l'un de ses membres, la commission départementale ou nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, si elle l'estime utile, entendre en séance tout fonctionnaire qui a pris part à la détermination de la base d'imposition qui fait l'objet du désaccord dont elle est saisie (...) ". Aux termes de l'article R. 60-3 du même livre : " L'avis ou la décision de la commission départementale ou nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires doit être motivé. Il est notifié au contribuable par l'administration des impôts. ". Aux termes de l'article L. 192 de ce livre : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge (...) ". L'irrégularité de l'avis émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'entraîne pas, par elle-même, la décharge des impositions sur lesquelles l'avis a été émis mais, en application des dispositions de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, a pour effet de faire reposer la charge de la preuve sur l'administration lorsque le litige est ensuite soumis au juge de l'impôt.

20. D'une part, il résulte de l'instruction que ni le vérificateur ni l'inspecteur principal ayant visé les propositions de rectification n'ont participé au délibéré de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires en tant que membres, tel que cela ressort de son avis du 6 mai 2015 concernant la SARL Restonews. En application de l'article R. 60-2 A du livre des procédures fiscales, le vérificateur pouvait être régulièrement entendu par les membres de la commission lors des débats.

21. D'autre part, l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 6 mai 2015 synthétise les arguments exposés par le conseil de la SARL Restonews. La circonstance que l'avis ne reprend pas l'ensemble des propos émis par le vérificateur devant la commission n'entache pas d'irrégularité cet avis dès lors que les dispositions de l'article R. 60-3 du livre des procédures fiscales imposent seulement que cet acte soit motivé.

22. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 6 mai 2015, rendu sur saisine de la SARL Restonews, est régulier. Dès lors, et en tout état de cause, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé de l'impôt :

S'agissant du rejet de la comptabilité :

23. Pour regarder comme irrégulière et non probante la comptabilité de la SARL Restonews au titre de la période vérifiée, le vérificateur a constaté, après avoir analysé les fichiers de caisses, des incohérences, sur les lignes de tickets ayant fait l'objet d'un encaissement en espèces, au niveau des " checksums ", à savoir les sommes de contrôle permettant de garantir l'intégrité des transmissions de données comptables. Le vérificateur a remarqué par ailleurs que deux taux de taxe sur la valeur ajoutée pour un même produit ont été appliqués sur les tickets litigieux, ce qui laisse supposer la suppression d'une ligne correspondant à un produit qui justifiait l'application d'un autre taux de taxe. Le vérificateur en a déduit que des tickets de caisse ont été modifiés après leur émission à l'aide d'un logiciel propre à maintenir une certaine cohérence puisque la taxe sur la valeur ajoutée est recalculée à partir du nouveau montant TTC du ticket. Ces contrôles de cohérence des données comptables ont été corroborés par le vérificateur par la comparaison des tickets " X " (simple lecture des ventes sans remise à zéro) avec les tickets " Z " avec remise à zéro. M. et Mme E...ne peuvent dès lors se prévaloir de l'existence de ces tickets " Z " et de la globalisation en fin de journée des recettes disponibles à partir des caisses enregistreuses dès lors que le caractère frauduleux de ces données est établi par l'administration. Le vérificateur a également vérifié les minorations des ventes au moyen du contrôle des stocks, à l'aide des éléments obtenus dans le cadre de son droit de communication exercé auprès des fournisseurs de la SARL Restonews. A la suite de la réponse aux observations du contribuable du 22 avril 2014, l'administration a tenu compte des remarques de la société quant à l'évaluation des stocks mais a constaté que d'importantes discordances demeuraient entre les factures d'achat et le stock issu de sa comptabilité au titre des exercices clos en 2010 et 2011. Aucun inventaire n'a, par ailleurs, été réalisé au titre de l'exercice clos en 2012. S'agissant de l'intégration de boissons dans le prix des menus, eu égard aux écarts observés par l'administration au titre de l'exercice clos en 2010, de la seule prise en compte, pour reconstituer le stock de l'exercice clos en 2011, des boissons sans alcool vendues en bouteilles, intégrées uniquement dans le menu enfant, et de l'absence de tout élément comptable pour l'exercice clos en 2012, l'administration justifie du caractère non probant du stock de la SARL Restonews. Le vérificateur a déduit de l'ensemble de ses constatations qu'au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012, la part des espèces non comptabilisées correspond respectivement à 48,42 %, 76,60 % et 28,58 % des espèces reçues. Les requérants se prévalent d'un rapport en date du 1er février 2016 d'un expert près de la cour d'appel de Nancy, spécialisé en administration des entreprises et informatique, qui souligne l'existence de risques d'erreur dans la transmission des données comptables entre les caisses et l'ordinateur comportant la comptabilité. Cependant, l'administration n'a observé des anomalies et des dissimulations de recettes que dans la comptabilité d'un seul des deux restaurants exploités par la SARL Restonews, alors même que ces établissements utilisent le même logiciel et le même mode de transfert des données comptables. Le rapport d'expertise n'apporte en outre aucun élément justifiant l'écart observé par l'expert entre le chiffre d'affaires calculé par le programme et celui issu de la comptabilité après que l'expert a effectué des retraitements. Enfin, M. et MmeE..., qui se bornent à contester la réalité des suppressions des ventes, n'apportent aucun élément probant permettant d'apporter des explications aux constatations faites par le vérificateur. Dans ces conditions, l'administration, qui a relevé dans la proposition de rectification que la comptabilité de la SARL Restonews ne retraçait pas l'intégralité des opérations effectuées par l'entreprise dès lors qu'une partie importante des recettes n'avait pas été comptabilisée, doit être regardée comme apportant la preuve des graves irrégularités affectant la comptabilité. Par suite, c'est à bon droit que le service a écarté la comptabilité de la société et a procédé à la reconstitution extracomptable de ses recettes.

S'agissant de la reconstitution des chiffres d'affaires :

24. Pour procéder à la reconstitution des recettes de la SARL Restonews, l'administration a déterminé les recettes supprimées à partir des tickets frauduleux ayant fait l'objet d'un paiement en espèces. Le vérificateur a ensuite déterminé la différence entre le montant du ticket moyen parmi les tickets non porteurs de fraude et celui du ticket moyen parmi les tickets frauduleux. Il a appliqué cette différence aux tickets présentant une anomalie.

25. Contrairement à ce que soutiennent M. et MmeE..., l'administration n'a pas reconstitué les recettes de la SARL Restonews à partir des achats de boissons effectués auprès de ses fournisseurs. Il s'ensuit que les requérants ne peuvent utilement contester la prise en compte des consommations des personnels, des menus avec boissons, des pertes et des offerts. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 18 décembre 2013, que le vérificateur a reconstitué le chiffre d'affaires des ventes réglées en espèces à partir de la totalité des tickets, et non sur la base d'un échantillonnage. L'administration ayant rectifié uniquement le chiffre d'affaires en espèces, la méthode de reconstitution fondée sur les tickets frauduleux réglés en espèces n'est pas radicalement viciée dans son principe ni excessivement sommaire. De même, les statistiques d'ordre général relatives au secteur d'activité concerné, invoquées par M. et MmeE..., ne suffisent pas à démontrer l'exagération de la reconstitution.

26. Enfin, M. et Mme E...proposent trois méthodes alternatives de reconstitution fondées sur les achats de bières, de sets de table et de serviettes. La méthode des achats de bière se réfère à des états établis par les fournisseurs de la SARL Restonews qui comportent un nombre de fûts achetés plus importants que celui retenu par la société. Les méthodes des sets de table et des serviettes proposés par M. et Mme E...reposent sur une moyenne par couvert établie à partir des éléments de la comptabilité. Dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 23 que la comptabilité de la société a été écartée à bon droit comme non probante, les requérants n'établissent pas le caractère exagéré de la reconstitution de ses recettes par les méthodes qu'ils proposent, fondées sur les encaissements. Par suite, les méthodes alternatives proposées ne permettent pas d'aboutir à un résultat plus fiable que celui résultant de la méthode mise en oeuvre par l'administration.

27. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutiennent M. et MmeE..., la méthode de reconstitution des recettes des exercices clos en 2010, 2011 et 2012 de la SARL Restonews, appliquée par l'administration fiscale, n'est pas radicalement viciée dans son principe et n'aboutit pas à un résultat exagéré.

28. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de décharge de la requête de M. et Mme E...à concurrence des dégrèvements susmentionnés prononcés à hauteur de 4 576 euros au titre de l'année 2010, de 7 777 euros au titre de l'année 2011 et de 3 378 euros au titre de l'année 2012.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme E...est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C...E...et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2019, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Dhers, président assesseur,

Mme Bauer, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 juillet 2019.

Le rapporteur,

Signé : S. DHERSLe président,

Signé : J. MARTINEZ

La greffière,

Signé : S. GODARD

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. GODARD

2

18NC01682


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