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23/07/2019 | FRANCE | N°18NC01517-18NC01518

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 23 juillet 2019, 18NC01517-18NC01518


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Iserba a demandé au tribunal administratif de Strasbourg :

1°) d'annuler le marché n° 2016-026 conclu le 5 juillet 2016 pour une durée de six mois et un montant de 233 100 euros toutes taxes comprises, entre l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat " et l'entreprise Stihlé, en substitution du marché n° 2013-020 relatif à l'entretien des chauffe-eau et chauffe-bains individuels à gaz du parc locatif de l'office ;

2°) d'annuler le marché n° 2016-027 conclu le 5 juillet 2

016 pour une durée de six mois et un montant de 392 866 euros toutes taxes comprises, ent...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Iserba a demandé au tribunal administratif de Strasbourg :

1°) d'annuler le marché n° 2016-026 conclu le 5 juillet 2016 pour une durée de six mois et un montant de 233 100 euros toutes taxes comprises, entre l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat " et l'entreprise Stihlé, en substitution du marché n° 2013-020 relatif à l'entretien des chauffe-eau et chauffe-bains individuels à gaz du parc locatif de l'office ;

2°) d'annuler le marché n° 2016-027 conclu le 5 juillet 2016 pour une durée de six mois et un montant de 392 866 euros toutes taxes comprises, entre l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat " et l'entreprise Stihlé, en substitution du marché n° 2013-032 relatif à l'entretien des chaudières individuelles au gaz du parc locatif de l'office.

Par un jugement nos 1605537 - 1605538 du 14 mars 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 mai 2018 et 26 avril 2019, sous le n° 18NC01517, la société Iserba, représentée par Me A...de la SELARL A...- Avocats et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 mars 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation du marché n° 2016-026 ;

2°) d'annuler ce marché conclu entre l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat " et la société Stihlé ;

3°) de mettre à la charge de l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat " le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête d'appel n'est pas tardive ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, sa demande était recevable ;

- la contestation du décompte de résiliation n'a ni le même objet ni le même effet que l'action en contestation de la validité du marché de substitution qui tend à son annulation ;

- en raison du surcoût financier mis à sa charge du fait de l'exécution du marché de substitution, elle est susceptible d'être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation de ce contrat qui porte atteinte à sa réputation commerciale ;

- le pouvoir adjudicateur ne pouvait attribuer le marché en litige sans publicité ni mise en concurrence préalables en se prévalant des dispositions du 1° du I de l'article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 dès lors qu'il est lui-même à l'origine de la décision de résilier le marché précédent et qu'aucune urgence ne peut être sérieusement alléguée ;

- l'office public de l'habitat était jusqu'au 23 mars 2016 en mesure de lancer une procédure de publicité et de mise en concurrence préalables et compte tenu du montant estimatif du marché à attribuer, il aurait dû recourir à une procédure formalisée ;

- le montant du marché de substitution est anormalement élevé en comparaison de celui du marché dont elle était jusqu'alors titulaire ;

- le prix de ce marché est illégal dès lors qu'il ne comporte pas de mention du prix des prestations " P3 " ;

- la méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence constitue un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du marché.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2019, l'office public de l'habitat " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat ", représenté par Me D...de l'AARPI Adven, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Iserba le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est tardive ;

- la demande de la société Iserba est irrecevable dès lors que la passation du marché de substitution ne l'a pas lésée de manière directe et certaine ;

- elle a contesté, par une action indemnitaire, le décompte de résiliation de son marché et la somme mise à sa charge du fait de l'exécution du marché de substitution ;

- l'atteinte à la réputation commerciale dont se prévaut la société Iserba n'est pas établie et ce chef de préjudice ne pourrait que résulter de la résiliation de son marché à ses torts exclusifs ;

- la société Iserba n'aurait pas été admise à présenter sa candidature au marché de substitution en vertu de l'article 48 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, compte tenu de la gravité des manquements retenus à son encontre ;

- sa demande de première instance était tardive, le délai de deux mois étant expiré ;

- la société, qui ne prétend pas qu'elle aurait pu obtenir le marché de substitution en litige, n'invoque qu'un préjudice financier sans rapport direct avec sa critique du choix de la procédure de passation du marché ;

- elle n'invoque aucun vice d'ordre public tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité ;

- les moyens soulevés par la société Iserba sont inopérants et, en tout état de cause, ils ne sont pas fondés ;

- le marché de substitution pouvait régulièrement faire l'objet d'une procédure de passation sans publicité ni mise en concurrence préalables sur le fondement des dispositions du 1° du I de l'article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- le marché en procédure formalisée ne pouvait être lancé qu'à la suite de la remise de l'ensemble des documents prévus par l'article 36.3 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services et la société Iserba n'a remis l'ensemble de ces documents que le 6 septembre 2016 ;

- le marché a été conclu pour une durée limitée à six mois pour faire face à la situation d'urgence et faire l'inventaire de l'état du parc de chauffe-eau et chauffe-bains individuels à gaz avant que ne soit lancé un nouvel appel d'offres ;

- le choix du prestataire est libre en procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence ;

- la société Stihlé était la seule entreprise à même de pouvoir intervenir sans délai ;

- les moyens tirés par la société Iserba du montant anormalement élevé du marché de substitution et de ce qu'elle n'aurait pas pu suivre l'exécution de ce marché sont sans incidence sur la légalité de sa procédure de passation ;

- la différence de prix entre le marché de la société Iserba et celui de la société Stihlé, qui a concerné les mêmes prestations, est de la seule responsabilité de la société requérante qui a très mal entretenu le parc des chauffe-eau et chauffe-bains individuels à gaz, ce qui a pu entraîner une évaluation à la hausse des prix d'entretien et de renouvellement des appareils ;

- la société Iserba ne peut pas se prévaloir des stipulations du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux pour contester la régularité de la passation du marché de substitution.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2019, la société Stihlé SAV Sud, représentée par la SELARL Leonem, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Iserba le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est tardive ;

- la société Iserba ne justifie pas d'un intérêt lésé et, par suite, ses moyens présentés à l'appui de la contestation de la validité du marché sont inopérants ;

- l'atteinte alléguée à sa réputation commerciale ne suffit pas à établir l'existence d'un intérêt à contester la validité du marché ;

- subsidiairement, la réalité d'une telle atteinte n'est pas démontrée ;

- très subsidiairement, les moyens invoqués par la société Iserba sont sans rapport avec son éviction du marché de substitution ;

- toute offre de la société Iserba aurait été éliminée en application des dispositions du 1 du I de l'article 48 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics compte tenu de la gravité des manquements retenus à son encontre ;

- le marché de substitution pouvait régulièrement faire l'objet d'une procédure de passation sans publicité ni mise en concurrence sur le fondement des dispositions du 1° du I de l'article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- la société Iserba ne fait pas état de manquements d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office ;

- elle n'établit pas, par la seule comparaison de ses prix avec ceux de la société attributaire, que le montant du marché de substitution serait anormalement élevé ;

- le marché de substitution ayant été conclu pour une période limitée et imposant à l'attributaire d'intervenir en raison de la mauvaise qualité des prestations réalisées par le titulaire précédent voire de leur non réalisation, son investissement était plus important et devait nécessairement avoir des répercussions financières sur le prix ;

- l'exécution de son marché par la société Iserba a révélé qu'elle n'était pas en mesure de se conformer à ses engagements pour le prix qu'elle avait proposé ;

- l'écart de prix résulte d'une sous-estimation des prix pratiqués sur ce type de marché par la société Iserba ;

- aucune plus-value n'a été mise à la charge de la société Iserba à la suite de l'exécution du marché de substitution.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 mai 2018 et 26 avril 2019, sous le n° 18NC01518, la société Iserba, représentée par Me A...de la SELARL A...- Avocats et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 mars 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation du marché n° 2016-027 ;

2°) d'annuler ce marché conclu entre l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat " et la société Stihlé ;

3°) de mettre à la charge de l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat " le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête n'est pas tardive ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, sa demande était recevable ;

- la contestation du décompte de résiliation n'a ni le même objet ni le même effet que l'action en contestation de la validité du marché de substitution qui tend à son annulation ;

- en raison du surcoût financier mis à sa charge du fait de l'exécution du marché de substitution, elle est susceptible d'être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation de ce contrat qui porte atteinte à sa réputation commerciale ;

- le pouvoir adjudicateur ne pouvait attribuer le marché en litige sans publicité ni mise en concurrence préalables en se prévalant des dispositions du 1° du I de l'article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 dès lors qu'il est lui-même à l'origine de la décision de résilier le marché précédent et qu'aucune urgence ne peut être sérieusement alléguée ;

- l'office public de l'habitat était jusqu'au 23 mars 2016 en mesure de lancer une procédure de publicité et de mise en concurrence préalables et compte tenu du montant estimatif du marché à attribuer, il aurait dû recourir à une procédure formalisée ;

- le montant du marché de substitution est anormalement élevé en comparaison de celui du marché dont elle était jusqu'alors titulaire ;

- la méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence constitue un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du marché.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2019, l'office public de l'habitat " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat ", représenté par Me D...de l'AARPI Adven, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Iserba le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est tardive ;

- la demande de la société Iserba est irrecevable dès lors que la passation du marché de substitution ne l'a pas lésée de manière directe et certaine ;

- elle a contesté par une action indemnitaire le décompte de résiliation de son marché ;

- l'atteinte alléguée à sa réputation commerciale n'est pas établie et ce chef de préjudice ne pourrait que résulter de la résiliation de son marché à ses torts exclusifs ;

-la société Iserba n'a subi aucun préjudice financier dès lors qu'aucun supplément de dépenses n'a été mis à sa charge au titre de l'exécution du marché de substitution par la société Stihlé ;

- elle n'aurait pas été admise à présenter sa candidature au marché de substitution en vertu de l'article 48 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, compte tenu de la gravité et des manquements retenus à son encontre ;

- sa demande de première instance était tardive, le délai de deux mois étant expiré ;

- la société, qui ne prétend pas qu'elle aurait pu obtenir le marché de substitution en litige, n'invoque qu'un préjudice financier sans rapport direct avec sa critique du choix de la procédure de passation du marché ;

- elle n'invoque aucun vice d'ordre public tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité ;

- les moyens soulevés par la société Iserba sont inopérants et, en tout état de cause, ils ne sont pas fondés ;

- le marché de substitution pouvait régulièrement faire l'objet d'une procédure de passation sans publicité ni mise en concurrence préalables sur le fondement des dispositions du 1° du I de l'article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- le marché en procédure formalisée ne pouvait être lancé qu'à la suite de la remise de l'ensemble des documents prévus par l'article 36.3 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services et la société Iserba n'a remis l'ensemble de ces documents que le 6 septembre 2016 ;

- le marché a été conclu pour une durée limitée à six mois pour faire face à la situation d'urgence et faire l'inventaire de l'état du parc de ses chaudières individuelles au gaz avant que ne soit lancé un nouvel appel d'offres ;

- le choix du prestataire est libre en procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence ;

- la société Stihlé était la seule entreprise à même de pouvoir intervenir sans délai ;

- les moyens tirés par la société Iserba du montant anormalement élevé du marché de substitution et de ce qu'elle n'aurait pas pu suivre l'exécution de ce marché sont sans incidence sur la légalité de sa procédure de passation alors par ailleurs qu'aucun supplément de dépenses n'a été mis à sa charge du fait de l'exécution de ce marché ;

- la société Iserba ne peut pas se prévaloir des stipulations du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux pour contester la régularité de la passation du marché de substitution.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2019, la société Stihlé SAV Sud, représentée par la SELARL Leonem, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Iserba le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir les mêmes moyens que ceux exposés dans son mémoire dans l'instance n° 18NC01517.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,

- et les observations de Me B...pour la société Iserba ainsi que celles de Me D...pour l'office public de l'habitat " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat " et de Me C... pour la société Stihlé.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 18NC01517 et n° 18NC01518 de la société Iserba sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.

2. L'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat ", devenu " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat ", a conclu avec la société Iserba deux marchés à bons de commande, n° 2013-20 relatif à l'entretien des chauffe-eau et chauffe-bains individuels à gaz de son parc locatif et n° 2013-32 relatif à l'entretien de ses chaudières individuelles au gaz. Le 30 juin 2016, l'office a résilié ces deux marchés aux torts exclusifs de la société Iserba, avec effet au 10 juillet. Par lettre du 1er août 2016, il a informé la société Iserba de l'attribution de deux marchés de substitution à la société Stihlé conclus le 5 juillet 2016, pour une durée de six mois. Par un jugement du 14 mars 2018, dont la société Iserba relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté, comme irrecevables, ses demandes tendant à l'annulation de ces deux marchés.

Sur la recevabilité des requêtes :

3. Il ressort des pièces des dossiers de première instance ainsi que des pièces versées à l'instance que le jugement du 14 mars 2018 du tribunal administratif de Strasbourg a été réceptionné par la société Iserba le 22 mars 2018. Ses requêtes, qui ont été enregistrées au greffe de la cour administrative d'appel le 18 mai 2018, dans le délai d'appel de deux mois francs prévu à l'article R. 811-2 du code de justice administrative, ne sont, dès lors, pas tardives. Par suite, les fins de non-recevoir opposées par l'office public de l'habitat " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat " et la société Stihlé doivent être écartées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

5. En premier lieu, ni la circonstance que la société Iserba n'a pas contesté la validité des décisions de résiliation de ses deux marchés par une action tendant à la reprise de ses relations contractuelles avec l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat ", ni le fait qu'elle a, par ailleurs, saisi le juge du contrat de demandes tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle impute au caractère fautif de ces résiliations ainsi qu'au règlement de ses marchés, ne sauraient, par eux-mêmes, faire obstacle à l'exercice, en sa qualité de tiers, d'une action en contestation de la validité des marchés de substitution conclus avec la société Stihlé.

6. De même, la circonstance que l'exécution du marché de substitution n° 2016-027 n'aurait pas donné lieu à la mise à la charge de la société Iserba d'un surcoût dans le décompte de liquidation de son marché initial n° 2013-032 est sans incidence sur la recevabilité de son action tendant à la contestation de la validité de ce marché de substitution.

7. En second lieu, pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour contester la validité des marchés litigieux, il appartient à la société Iserba d'établir l'existence d'irrégularités susceptibles d'avoir lésé de façon suffisamment directe et certaine ses intérêts.

8. A cet égard, elle n'établit pas que, comme elle le soutient, les marchés de substitution et les conditions dans lesquels ils ont été passés auraient porté atteinte à sa réputation commerciale.

9. En revanche, en soutenant, pour contester la validité de ces marchés de substitution, qu'ils ont été illégalement passés sans publicité ni mise en concurrence préalables, sur le fondement des dispositions du 1° du I de l'article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, et que le recours à une telle procédure aurait conduit le pouvoir adjudicateur à accepter des conditions financières anormalement élevées en comparaison de celles des marchés dont elle était titulaire ou de celles qui auraient résulté d'une mise en concurrence, la société Iserba, alors même qu'elle n'avait pas la qualité de concurrente évincée, justifie de ce que les irrégularités dont elle se prévaut étaient susceptibles de léser ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine. Il en est de même s'agissant de la contestation de la régularité de l'un des prix convenus dans le marché n°2016-026.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Iserba est fondée à soutenir que c'est irrégulièrement que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté comme irrecevables les demandes dont il était saisi. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé.

11. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par la société Iserba.

Sur la validité des contrats :

12. En premier lieu, aux termes du I de l'article 30 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 pris en application de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " Les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas suivants : 1° Lorsqu'une urgence impérieuse résultant de circonstances imprévisibles pour l'acheteur et n'étant pas de son fait ne permet pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées. Tel est notamment le cas des marchés publics rendus nécessaires pour l'exécution d'office, en urgence, des travaux réalisés par des acheteurs en application des articles L. 1311-4, L. 1331-24, L. 1331-26-1, L. 1331-28, L. 1331-29 et L. 1334-2 du code de la santé publique et des articles L. 123-3, L. 129-2, L. 129-3, L. 511-2 et L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation ainsi que des marchés publics passés pour faire face à des dangers sanitaires définis aux 1° et 2° de l'article L. 201-1 du code rural et de la pêche maritime. Le marché public est limité aux prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d'urgence (...) ".

13. Il résulte de l'instruction que l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat " a prononcé la résiliation des marchés dont la société Iserba était titulaire, aux torts exclusifs de cette dernière, le 30 juin 2016, en retenant notamment à son encontre le non-respect des délais contractuels d'intervention pour l'entretien des chauffe-eau et chauffe-bains, s'agissant du marché n° 2013-020, ainsi, en outre s'agissant du marché n° 2013-32, qu'un comportement frauduleux dans l'exécution des prestations d'entretien des chaudières individuelles au gaz, l'ensemble de ces éléments n'ayant été mis en évidence qu'au cours de la première moitié de l'année 2016. Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat " justifiait bien, dans ces conditions, d'une situation d'urgence impérieuse lui permettant régulièrement, afin d'assurer, pour la période de six mois de validité restante des contrats, la continuité de l'exécution de ces prestations d'entretien d'équipements sanitaires alimentés en gaz et de garantir notamment la sécurité des locataires et des logements, de se fonder sur les dispositions précitées pour passer les deux marchés de substitution sans publicité ni mise en concurrence préalables.

14. En deuxième lieu, s'agissant du marché n° 2016-026, la seule circonstance que le devis quantitatif et estimatif des prestations annuelles figurant en annexe de l'acte d'engagement comporte, s'agissant du prix P3, la mention " cf P3 contrôlé Budget Chaudières " au regard d'une quantité estimée de 800, et renvoie ainsi au prix d'une des prestations de l'autre marché n° 2016-027, passé simultanément, n'est pas illégale, le prix ainsi négocié étant, en tout état de cause, entièrement déterminable.

15. En troisième lieu, s'il résulte des éléments produits par la société Iserba que les prix unitaires stipulés entre les parties dans le marché n° 2016-027 seraient, globalement, près de quatre fois supérieur à ceux de son marché résilié et que, s'agissant du marché n° 2016-026, les prix des prestations " P2 " et " P3R " seraient de 55 % plus élevés que celui de son propre marché, cette seule constatation ne suffit pas à faire regarder comme illégale l'attribution des marchés à la société Stihlé, ni comme illicites les prix ainsi convenus alors que l'office public de l'habitat " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat " fait valoir sans être contredit qu'ils ont tenu compte de l'état fortement dégradé des installations sanitaires de son parc locatif du fait des manquements de la société Iserba dans l'exécution de ses contrats et de la nécessité de pourvoir, par un investissement plus important, aux conséquences des carences du titulaire précédent.

16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres fins de non-recevoir soulevées devant le tribunal administratif de Strasbourg par l'office public de l'habitat " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat ", que la société Iserba n'est pas fondée à demander l'annulation des marchés n° 2016-026 et n° 2016-027 conclus le 5 juillet 2016 entre l'office public de l'habitat " Mulhouse Habitat " et la société Stihlé.

Sur les frais liés aux instances :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'office public de l'habitat " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat ", qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes que la société Iserba demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Iserba le versement à l'office public de l'habitat " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat " et à la société Stihlé d'une somme de 1 500 euros chacun sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement nos 1605537 - 1605538 du 14 mars 2018 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par la société Iserba devant le tribunal administratif de Strasbourg et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : La société Iserba versera à l'office public de l'habitat " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat " et à la société Stihlé SAV Sud une somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Iserba, à l'office public de l'habitat " Mulhouse Alsace Agglomération Habitat " et à la société Stihlé SAV Sud.

2

Nos 18NC01517 - 18NC01518


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC01517-18NC01518
Date de la décision : 23/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-08-01-03 Marchés et contrats administratifs. Règles de procédure contentieuse spéciales. Recevabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: M. LOUIS
Avocat(s) : LEONEM AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-07-23;18nc01517.18nc01518 ?
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