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25/06/2019 | FRANCE | N°17NC01389

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 25 juin 2019, 17NC01389


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...D..., néeB..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la communauté de communes du pays de Brisach à lui verser la somme de 24 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont elle estime avoir été victime.

Par un jugement no 1407174 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 juin 2017 et le 19 décembre 201

7, Mme A...D..., représentée par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...D..., néeB..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la communauté de communes du pays de Brisach à lui verser la somme de 24 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont elle estime avoir été victime.

Par un jugement no 1407174 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 juin 2017 et le 19 décembre 2017, Mme A...D..., représentée par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 13 avril 2017 ;

2°) de condamner la communauté de communes Pays Rhin-Brisach à lui verser la somme de 24 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont elle a été victime ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Pays Rhin-Brisach la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête d'appel est recevable ;

- elle a été victime d'un harcèlement moral à compter de février 2012 de la part de sa supérieure hiérarchique ;

- les griefs invoqués par la communauté de communes ne sont pas justifiés ;

- la communauté de communes n'a pas réagi pour mettre fin à la situation de harcèlement ;

- elle a dû quitter son emploi en sollicitant une mise en disponibilité ;

- elle a subi un préjudice moral évalué à la somme de 24 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 octobre 2017 et le 21 mars 2018, la communauté de communes Pays Rhin-Brisach, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de MmeD..., en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête qui ne comporte aucune critique du jugement est irrecevable ;

- la requérante ne s'est jamais plainte d'un harcèlement moral ; les faits qu'elle invoque n'établissent pas un harcèlement moral ;

- la baisse de ses notations est justifiée par ses manquements ;

- aucun lien direct n'est établi entre le préjudice allégué et les agissements en cause ;

- le préjudice moral n'est pas démontré et le montant de l'indemnité est disproportionné.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Barteaux,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour la communauté de communes Pays Rhin-Brisach.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D...a été recrutée le 1er mars 2006 par la communauté de communes du Pays de Brisach, devenue le 1er janvier 2017 la communauté de communes Pays Rhin-Brisach, en qualité d'éducatrice de jeunes enfants. Placée sous la responsabilité de la directrice adjointe des services, responsable du pôle culture, animation et solidarité ainsi que du secteur de la petite enfance de la communauté de communes, Mme D...a été chargée de la responsabilité du centre multi-accueil " les Mickalas ". Le 21 juillet 2011, elle a été victime d'un accident de service. Le 9 février 2012, la commission de réforme du département du Haut-Rhin a rendu un avis favorable à la reprise d'activité de l'intéressée à partir du 20 février 2012 à mi-temps thérapeutique. Le 20 février, le médecin du travail a confirmé l'aptitude physique de l'intéressée à reprendre le service en préconisant une répartition du temps de travail sur quatre jours, un fractionnement de la période assise et la mise à disposition d'un repose-pieds et d'un siège avec appui cervical. A sa demande, la requérante a été placée en disponibilité pour convenances personnelles par un arrêté du président de la communauté de communes du Pays de Brisach du 26 juin 2012. Estimant avoir été victime d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique, en particulier après sa reprise de service, Mme D...a adressé une réclamation indemnitaire à la communauté de communes le 5 septembre 2012. Par une décision du 20 octobre 2014, la communauté de communes du Pays de Brisach a rejeté cette demande. Par un jugement du 13 avril 2017, dont Mme D...fait appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

5. En premier lieu, Mme D...fait valoir qu'à la suite de sa mise en disponibilité, elle a sollicité la communication de son dossier administratif et a pu constater une diminution de sa notation trimestrielle, auparavant excellente. Elle estime que sa supérieure hiérarchique a procédé à la baisse de sa notation à la suite d'évènements, indépendants de sa volonté.

6. D'une part, si la notation de la requérante est passée de 20 à 19,56 au 2ème trimestre 2010, cette baisse, au demeurant très modérée, ne s'est pas poursuivie le trimestre suivant pour lequel la note de 19,78 lui a été attribuée. En outre, aucun élément ne démontre que cette baisse serait la conséquence du mouvement de grève, survenu en avril 2010, auquel l'intéressée n'a même pas participé. D'autre part, s'il est vrai que la notation de Mme D...a également baissé de plusieurs points en 2012, passant à 16,89 au 1er trimestre 2012 puis à 15,11 le trimestre suivant, il ressort des pièces du dossier qu'au cours de cette période, sa supérieure hiérarchique lui a reproché à plusieurs reprises un manque de rigueur dans l'accomplissement de ses tâches administratives, notamment dans l'établissement des attestations de facturation, le pointage des tableaux de recettes ainsi que le non-respect de consignes concernant les tâches prioritaires qu'elle devait accomplir. Ces faits sont corroborés par le témoignage de la secrétaire du pôle solidarité qui a assuré, pendant son absence puis à la suite de sa reprise à temps partiel, une partie de ses attributions. Sa supérieure hiérarchique a par ailleurs constaté, au cours de cette période, la surfacturation des services à l'un des usagers au titre des années 2010 et 2011 ayant entraîné le remboursement d'un trop-perçu. Si l'intéressée conteste certains des griefs invoqués par la communauté de communes, il ne résulte pas de l'instruction que cette diminution de sa notation ne serait pas justifiée par sa manière de servir. Enfin, la circonstance que la communauté de communes du Pays de Brisach a versé à l'intéressée un rappel de primes pour la période 2011-2012 ne suffit pas à établir qu'en diminuant sa notation, sa supérieure aurait excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite de sa reprise de service à mi-temps thérapeutique, en février 2012, Mme D...a été reçue, à sa demande, par sa supérieure hiérarchique pendant environ une heure. La circonstance que cet entretien aurait été, selon la requérante, insuffisant au regard des changements intervenus dans la structure n'est pas de nature à caractériser un harcèlement. Il est, en outre, constant qu'un second entretien a eu lieu avec la directrice le 5 avril 2012. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, notamment d'un courriel du 13 février 2012, que la directrice a précisé à Mme D... que la secrétaire du pôle solidarité resterait à temps plein au centre multi-accueil pour lui transmettre toutes les informations relatives à la nouvelle organisation du travail mise en place pendant son absence. Elle était également destinataire des comptes-rendus de réunions par le truchement de la messagerie du responsable du centre. Si Mme D...fait valoir que la directrice refusait de la recevoir, elle n'apporte aucun élément probant pour l'établir. Il résulte également de l'instruction que la requérante communiquait régulièrement, par messagerie, avec sa directrice. Eu égard au mi-temps thérapeutique dont Mme D...bénéficiait, qui impliquait un intérim assuré par sa supérieure, et compte tenu des changements survenus lors de son absence de six mois dans l'organisation du centre, sa supérieure hiérarchique a pu, dans l'intérêt du service, exiger qu'elle se consacre dans un premier temps principalement à des tâches administratives, notamment à la maîtrise d'un nouveau logiciel, qui relèvent, selon le règlement intérieur, de celles que doit accomplir le responsable d'un centre multi-accueil. La requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir que sa supérieure hiérarchique l'aurait cantonnée à des tâches d'exécution sans rapport avec celles qui étaient auparavant les siennes.

8. En troisième lieu, Mme D...soutient qu'elle a été mise à l'écart par la directrice qui lui a interdit d'assister aux réunions et d'avoir des contacts avec les membres de l'équipe. Cependant, le refus de la directrice de laisser l'intéressée participer à une réunion le mercredi 22 février 2012, jour habituellement non travaillé par la requérante, n'a pas outrepassé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique dès lors que ce choix a été justifié par son absence aux précédentes réunions et à la nécessité pour elle de se consacrer à la maîtrise du nouveau logiciel mis en place durant son congé de maladie. S'il est vrai que, dans un courriel du 23 février 2012, la directrice a assez sèchement reproché à l'intéressée sa participation à cette réunion malgré ses directives, il n'en demeure pas moins que ce message est resté courtois. Il ne ressort pas davantage de l'instruction, notamment du courriel précité et de l'attestation d'une collègue retraitée, que la directrice aurait voulu isoler Mme D...de l'équipe. Des témoignages démontrent au contraire qu'elle avait des contacts avec les autres agents. Si l'intéressée allègue que sa supérieure hiérarchique a également interdit à ses collègues de la contacter pendant son arrêt de maladie, la seule production d'une attestation d'une collègue à la retraite, qui au demeurant a pris de ses nouvelles, n'est pas suffisante pour l'établir alors que la requérante reconnaît que ses relations avec la directrice étaient très bonnes jusqu'à sa reprise du travail en février 2012. Enfin, s'il ressort du compte-rendu de la réunion du 3 avril 2012 que la directrice a rappelé au personnel que, durant le mi-temps thérapeutique de MmeD..., il devait s'adresser à elle ou, selon les domaines concernés, aux autres agents chargés d'assurer l'intérim, cette directive, justifiée par la reprise partielle d'activité de l'intéressée, n'excède pas les limites normales de l'exercice du pouvoir hiérarchique. Dans ces conditions, la requérante n'établit pas sa mise à l'écart.

9. En quatrième lieu, la requérante fait valoir qu'elle a été, durant environ un mois, dans l'incertitude concernant ses horaires de travail, que la directrice a voulu lui imposer de reprendre le service à temps partiel à concurrence de 14 heures et de poser ses congés annuels le mercredi matin. Elle soutient également qu'elle n'a pas bénéficié de l'aménagement de poste préconisé par le médecin du travail. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'avant même la reprise effective du service, la directrice avait accepté, après avoir reconnu une erreur sur la quotité de travail à mi-temps, la proposition de l'intéressée de travailler 4 jours par semaine à raison de 17 heures 30, à l'exclusion du mercredi. Si ses horaires ne lui ont été transmis officiellement par le service des ressources humaines qu'en mars 2012, ce fait ne révèle pas un harcèlement moral imputable à sa supérieure hiérarchique. De plus, il ressort des échanges de courriels que cette dernière n'a pas imposé à la requérante de prendre ses congés annuels le mercredi mais le lui a seulement proposé pour lui permettre de les utiliser. Enfin, il résulte de l'instruction qu'en mars 2012, un fauteuil ergonomique a été mis à la disposition de MmeD.... Si cette dernière fait valoir qu'elle a dû acquérir, à ses frais, une souris et un tapis ergonomiques, ces matériels, qu'elle a commandés le 7 janvier 2012, soit avant même la reprise du service, n'étaient pas préconisés par le médecin du travail. Par suite, Mme D...n'est pas fondée à soutenir que sa supérieure hiérarchique aurait pris des mesures pour détériorer ses conditions de travail.

10. En cinquième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la supérieure hiérarchique de Mme D...aurait, de manière répétée, dénigré son travail. La requérante, dont les compétences ne sont d'ailleurs pas remises en cause pour les années antérieures à la réorganisation du centre multi-accueil, ne produit aucun élément suffisamment probant pour établir que son travail aurait été systématiquement décrié. Par ailleurs, si la directrice du service a rappelé à Mme D...son manque de rigueur dans un mail du 20 avril 2012 et déploré, dans deux autres mails d'avril 2012, notamment les conditions dans lesquelles s'achevait leur collaboration, ces remarques, qui sont mesurées, ne révèlent pas des faits constitutifs d'un harcèlement moral.

11. En dernier lieu, la requérante soutient que l'absence de paiement de l'allocation temporaire d'invalidité à laquelle elle a droit compte tenu du taux d'invalidité que lui a reconnu la commission de réforme lors de sa séance du 22 mai 2014, caractérise également un fait constitutif d'un harcèlement moral. Cependant, un tel fait, à le supposer établi, ne saurait révéler un fait de harcèlement imputable à sa supérieure hiérarchique, qui était décédée à la date à laquelle le bénéfice de cette allocation lui a été reconnu. En outre, la communauté de communes soutient, sans être utilement contredite, que le dossier de demande de cette allocation a été transmis pour signature à l'intéressée qui ne l'a jamais retourné.

12. Il s'ensuit que les faits évoqués par MmeD..., pris isolément ou dans leur ensemble, ne peuvent être regardés comme des agissements répétés, constitutifs d'un harcèlement moral. Par suite, la communauté de communes Pays Rhin-Brisach n'a pas commis de faute à l'égard de l'intéressée de nature à engager sa responsabilité.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande indemnitaire fondée sur l'existence d'un harcèlement moral.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes Pays Rhin-Brisach, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme D...demande au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D...la somme que demande la communauté de communes Pays Rhin-Brisach au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la communauté de communes Pays Rhin-Brisach présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D...et à la communauté de communes Pays Rhin-Brisach

N° 17NC01389 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17NC01389
Date de la décision : 25/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : SOUCHAL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-06-25;17nc01389 ?
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