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18/06/2019 | FRANCE | N°18NC01432

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 18 juin 2019, 18NC01432


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement public foncier de Lorraine a demandé au tribunal administratif de Nancy :

1°) de condamner les sociétés Pertuy Construction, Norpac et Bouygues Travaux Publics Régions France à reconstruire deux passerelles implantées à Homécourt et Moyeuvre-Grande ou au versement d'une indemnité globale de 660 000 euros toutes taxes comprises (TTC), au titre des dommages subis, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête, avec capitalisation ;

2°)

titre subsidiaire, de condamner solidairement la société Serue Ingénierie et les sociétés P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement public foncier de Lorraine a demandé au tribunal administratif de Nancy :

1°) de condamner les sociétés Pertuy Construction, Norpac et Bouygues Travaux Publics Régions France à reconstruire deux passerelles implantées à Homécourt et Moyeuvre-Grande ou au versement d'une indemnité globale de 660 000 euros toutes taxes comprises (TTC), au titre des dommages subis, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête, avec capitalisation ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la société Serue Ingénierie et les sociétés Pertuy Construction, Norpac et Bouygues Travaux Publics Régions France, à lui verser une indemnité globale de 660 000 euros toutes taxes comprises (TTC), au titre des dommages subis, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête, avec capitalisation.

Par un jugement n° 1600298 du 13 mars 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 mai 2018, l'établissement public foncier de Lorraine, représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1600298 du 13 mars 2018 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de condamner la société Bouygues Travaux Publics Régions France à reconstruire à neuf les deux passerelles ;

3°) subsidiairement, de condamner solidairement la société Serue Ingenierie et la société Bouygues Travaux Publics Régions France à lui verser une indemnité globale de 660 000 euros TTC, au titre des dommages subis, majorée des intérêts au taux légal à compter du 4 février 2016 avec capitalisation ;

4°) de mettre à la charge solidaire des parties désignées responsables la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'action en garantie décennale ne pouvait être regardée comme prescrite alors que son intention manifeste était de s'associer à la procédure ainsi que le révèlent les pièces versées au dossier et ainsi que son attitude pendant les opérations d'expertise ;

- toutes les conditions de mise en jeu de la responsabilité décennale des constructeurs sont remplies en l'espèce dès lors que les désordres constatés rendent l'immeuble impropre à sa destination et qu'ils en compromettent la solidité et la sécurité ;

- les désordres sont apparus en 2006-2007, soit deux ans après la date de réception des ouvrages ;

- sa demande principale porte sur la condamnation en nature de la société Bouygues à reconstruire à neuf les deux passerelles défectueuses dans la mesure où l'expert impute la totalité de la responsabilité à cette société ;

- si la cour estime que le maître d'oeuvre a une part de responsabilité, c'est une condamnation pécuniaire conjointe et solidaire des constructeurs qu'il lui faudra prononcer ;

- le préjudice s'élève à un montant de 660 000 euros TTC dès lors qu'il ne récupère pas la TVA ;

- ni la force majeure, ni une faute du maître de l'ouvrage ne peuvent être alléguées par les constructeurs en l'espèce.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 juillet 2018, la société Serue Ingénierie, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) à titre subsidiaire, d'écarter sa responsabilité en l'absence de faute ;

2°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner la société Bouygues Travaux Publics, ainsi que les sociétés Arcadis ESG et ISI à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) en tout état de cause, de condamner in solidum l'établissement public foncier de Lorraine et la société Bouygues Travaux Publics aux entiers frais et dépens ;

4°) à ce que le versement de la somme de 3 000 euros soit mis à la charge solidaire de l'établissement public foncier de Lorraine et de la société Bouygues Travaux Publics au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'établissement public foncier de Lorraine ne saurait faire valoir à son profit l'interruption du délai de prescription décennal alors qu'il n'est pas à l'origine de la demande de référé expertise, introduite en 2007 par la seule société Pertuy Construction et ne démontre pas avoir demandé expressément y être associé ;

- elle ne saurait voir sa responsabilité engagée dès lors que les désordres constatés sont la conséquence directe du choix de recourir à la boulonnerie ordinaire, en lieu et place de la boulonnerie haute résistance initialement prévue, pour procéder à la construction des deux passerelles litigieuses et que cette substitution a été retenue par la société Arcadis ESG, sous-traitant de la société Pertuy Construction, attributaire du lot n° 2, sur proposition de la société ISI ;

- la société Pertuy Construction a, en toute connaissance de cause, contrôlé et validé les études et les calculs réalisés par la société Arcadis ;

- s'agissant des ouvrages d'art, elle n'avait à sa charge qu'une mission VISA qui ne concernait que les plans d'assurance qualité (PAQ) en application du cahier des clauses administratives particulières du marché alors que selon l'article 1.3.2 du cahier des clauses techniques particulières, le titulaire du marché est " responsable de la qualité des produits qu'il fabrique et met en oeuvre " et que selon l'article 7 du même cahier " le titulaire du marché qui devra détecter toutes les non-conformités y compris celles de ses sous-traitants précisera dans son PAQ les conditions de traitement de non-conformité " ;

- si la cour devait condamner solidairement l'ensemble des constructeurs, elle serait fondée à appeler en garantie, sur un fondement délictuel, la société Arcadis ESG, sous-traitant de la société Pertuy Construction, ainsi que la société ISI.

Par un mémoire enregistré le 3 avril 2019, la société Arcadis ESG, représentée

par MeE..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) de rejeter les conclusions des parties dirigées à son encontre ;

2°) de condamner in solidum les sociétés Bouygues Travaux Publics Régions France, venant aux droits de la société Pertuy Construction Norpac, Serue Ingenierie et ISI à la relever et la garantir de toute condamnation en principal, intérêts, dommages et intérêts, frais et accessoires ;

3°) de mettre à la charge de la société Serue ou toute partie déclarée responsable à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de condamner la société Serue ou toute partie déclarée responsable, aux dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a regardé comme prescrite l'action de l'appelante ;

- les désordres ne lui sont pas imputables ;

- au regard de leurs obligations contractuelles, doivent être regardées comme responsables des dommages la société ISI, à l'origine de la modification des assemblages, l'entreprise Pertuy, spécialisée en la matière qui a accepté et est responsable de son sous-traitant, ainsi que la société Serue, maître d'oeuvre qui avait une mission de conception et de direction des travaux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2019, la société Bouygues Travaux Publics Régions France, représentée par MeG..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) à titre subsidiaire de condamner in solidum les sociétés Serue Ingenierie et Arcadis ESG à la relever et la garantir de toutes condamnations en principal, frais et accessoires qui pourraient être prononcées à son encontre ;

2°) de condamner in solidum les sociétés Serue Ingenierie et Arcadis ESG à lui rembourser les frais d'expertise judiciaire avancés par elle ;

3°) de mettre à la charge in solidum de l'EPFL et des sociétés Serue Ingenierie et Arcadis ESG, chacune la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la prescription est acquise ;

- aucun recours en garantie n'est susceptible d'être déclaré recevable à son égard.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Wallerich, président assesseur,

- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant l'établissement public foncier de Lorraine (EPFL), de MeF..., représentant la société Bouygues Travaux Publics Régions France, de Me Benhessareprésentant la société Serue Ingénierie et de Me Carrièrereprésentant la société Arcadis ESG.

Considérant ce qui suit :

1. L'établissement public foncier de Lorraine (EPFL) a confié à la société Serue Ingénierie la maîtrise d'oeuvre des travaux d'aménagement d'une promenade cyclable le long des berges de l'Orne entre Moineville et Rombas, comprenant notamment la construction de deux passerelles à treillis métalliques, destinées au passage de piétons, vélos et engins d'entretien et de secours, situées à Homécourt et à Moyeuvre-Grande. Le lot n° 2 " ouvrages de franchissement " a été attribué à la société Pertuy Construction, à laquelle s'est ensuite substituée la société Norpac, et aux droits de laquelle est venue la société Bouygues Travaux Publics Régions France. Cette société a sous-traité les études, calculs et l'établissement des plans de définition pour le bureau d'études à la société Arcadis ESG, et la construction de la structure métallique et la pose des passerelles à la société ISI. Les passerelles ont été réceptionnées sans réserve le 24 novembre 2005. Des désordres étant alors apparus sur ces passerelles, l'EPFL a, sur le fondement de la garantie décennale, demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la société Bouygues Travaux Publics Régions France à reconstruire à neuf les deux passerelles, ou subsidiairement, à lui verser une indemnité globale de 660 000 euros TTC. Cet établissement relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité décennale des constructeurs envers l'EPFL :

2. Il résulte des dispositions alors en vigueur de l'article 2244 du code civil, applicables à la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l'égard des maîtres d'ouvrage publics, que, pour les désordres qui y sont expressément visés, une action en justice n'interrompt la prescription qu'à la condition d'émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui là même qui en bénéficierait.

3. Il résulte de l'instruction que l'EPFL a réceptionné les deux passerelles métalliques litigieuses sans réserve le 24 novembre 2005. Si l'EPFL soutient que le délai de dix ans a été interrompu par une instance en référé engagée devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, il résulte toutefois de l'instruction que cette demande tendant à l'organisation d'une expertise afin de déterminer la nature des désordres affectant les passerelles, leurs causes et les remèdes à mettre en oeuvre, a été introduite devant cette juridiction, le 31 juillet 2007, par la seule société Pertuy Construction. Si l'EPFL fait valoir qu'il a versé de nombreuses pièces lors des opérations d'expertise auxquelles il ne s'est pas opposé et se prévaut d'un courrier adressé le 7 mai 2011 au président du tribunal de grande instance de Strasbourg dans lequel il se plaignait de la durée excessive des opérations, il ne résulte pas de l'instruction qu'alors qu'il avait été appelé à la cause par la société Pertuy, il aurait présenté des conclusions de nature à démontrer qu'il aurait entendu, au cours de cette procédure, s'associer à cette demande. Dans ces conditions, cette action en justice qui n'émanait pas de celui qui avait qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et ne visait pas celui-là même qui en bénéficiait, n'a pu, alors que l'EPFL ne s'y est pas associé, interrompre à son égard le délai de la garantie décennale. Ce délai de dix ans qui courait à compter du 24 novembre 2005 était déjà expiré le 4 février 2016, date à laquelle la requête de l'EPFL tendant à la condamnation des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nancy et l'action en garantie décennale était, par suite, prescrite.

4. Il résulte de tout ce qui précède que l'établissement public foncier de Lorraine n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge des sociétés Bouygues Travaux Publics Régions France et Serue Ingénierie, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que l'établissement public foncier de Lorraine demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de l'établissement public foncier de Lorraine le versement à la société Bouygues Travaux Publics Régions France et à la société Serue Ingénierie d'une somme de 1 500 euros chacune.

6. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de faire droits aux conclusions présentées par la société Arcadis ESG sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l'établissement public foncier de Lorraine est rejetée.

Article 2 : L'établissement public foncier de Lorraine versera à la société Bouygues Travaux Publics Régions France et à la société Serue Ingénierie, chacune, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement public foncier de Lorraine, à la société Bouygues Travaux Publics Régions France, à la société Serue Ingenierie et à la société Arcadis ESG.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2019 à laquelle siégeaient :

- M. Kolbert, président de chambre,

- M. Wallerich, président assesseur,

- M. Michel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 juin 2019.

Le rapporteur,

Signé : M. WallerichLe président,

Signé : E. Kolbert

La greffière,

Signé : F. Dupuy

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

F. Dupuy

2

N° 18NC01432


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC01432
Date de la décision : 18/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04-02 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. Responsabilité décennale. Délai de mise en jeu.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Marc WALLERICH
Rapporteur public ?: M. LOUIS
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS FIZELLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-06-18;18nc01432 ?
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