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28/05/2019 | FRANCE | N°18NC00501-18NC00502

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 28 mai 2019, 18NC00501-18NC00502


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société ID Verde a demandé au tribunal administratif de Strasbourg :

1°) d'annuler le titre exécutoire, émis le 6 novembre 2015 à son encontre par la commune de Gandrange, pour un montant de 88 800 euros correspondant aux pénalités de retard relatives à son marché et de la décharger de l'obligation de payer cette somme ;

2°) de condamner la commune de Gandrange à lui verser, au titre du règlement de son marché, une somme de 88 800 euros, augmentée des intérêts moratoires au taux

de 8,15 % à compter du 26 décembre 2014 avec capitalisation de ces intérêts ;

3°) de condamn...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société ID Verde a demandé au tribunal administratif de Strasbourg :

1°) d'annuler le titre exécutoire, émis le 6 novembre 2015 à son encontre par la commune de Gandrange, pour un montant de 88 800 euros correspondant aux pénalités de retard relatives à son marché et de la décharger de l'obligation de payer cette somme ;

2°) de condamner la commune de Gandrange à lui verser, au titre du règlement de son marché, une somme de 88 800 euros, augmentée des intérêts moratoires au taux de 8,15 % à compter du 26 décembre 2014 avec capitalisation de ces intérêts ;

3°) de condamner la commune de Gandrange à lui verser, au titre de la restitution de la retenue de garantie, une somme de 17 701,27 euros toutes taxes comprises, augmentée des intérêts moratoires au taux de 8,05 % à compter du 12 janvier 2015.

Par un jugement nos 1600525 - 1604332 du 10 janvier 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé un non lieu à statuer sur la demande de la société ID Verde tendant à la restitution de la retenue de garantie, a annulé le titre exécutoire du 6 novembre 2015, l'a déchargée de l'obligation de payer la somme de 88 800 euros, a condamné la commune de Gandrange à lui verser au titre du règlement du marché une somme de 88 800 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires à compter du 1er janvier 2015 avec capitalisation des intérêts échus au 1er janvier 2016 et l'a condamnée à verser à la société ID Verde des intérêts moratoires sur la somme de 17 005,92 euros toutes taxes comprises pour la période allant du 18 mai 2016 au 22 août 2017.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 février 2018 et 10 septembre 2018, sous le n° 18NC00501, la commune de Gandrange, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 10 janvier 2018 en tant qu'il a annulé le titre exécutoire du 6 novembre 2015, a déchargé la société ID Verde de l'obligation de payer la somme de 88 800 euros, l'a condamnée à verser à cette société une somme de 88 800 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires avec capitalisation et l'a condamnée à lui verser des intérêts moratoires sur la somme de 17 005,92 euros toutes taxes comprises du 18 mai 2016 au 22 août 2017 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par la société ID Verde ;

3°) de mettre à la charge de la société ID Verde le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal n'a pas accueilli sa fin de non-recevoir opposée aux demandes de la société ID Verde et tirée de l'absence de saisine préalable du comité consultatif de règlement amiable des différends ou litiges relatifs aux marchés publics, en méconnaissance des dispositions de l'article 127 du code des marchés publics ;

- le titre exécutoire, qui comporte la qualité, le prénom, le nom et la signature de son auteur, ne méconnaît pas les dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 ;

- le tribunal n'a pas répondu à son moyen de défense selon lequel l'avis des sommes à payer étant une ampliation du titre de recettes émis par l'ordonnateur, il n'a pas à être signé par ce dernier ;

- le titre exécutoire n'est pas entaché d'un défaut de motivation quant à la mention des bases de la liquidation de la créance ;

- il était accompagné de l'instruction du 21 mars 2011 ainsi que de la partie du décompte général relative aux délais et pénalités faisant apparaître le décompte de 88 800 euros de pénalités pour cent quarante-huit jours de retard ;

- elle a suivi les instructions du trésorier de Moyeuvre-Grande dans un courriel du 10 août 2015 selon lesquels les travaux étaient à mandater dans leur totalité sur l'opération, les pénalités devaient faire l'objet d'un titre de recettes émis simultanément et appuyé d'un décompte et les intérêts moratoires étant justifiés, ils devaient être également mandatés ;

- c'est sur instruction expresse du trésorier de Moyeuvre-Grande qu'elle n'a pas fait figurer les pénalités dans le décompte général qu'elle a signé et transmis à la société ID Verde ;

- s'il était fait droit à la demande indemnitaire de la société ID Verde, la commune ne saurait dès lors être déclarée responsable, cette situation engageant la responsabilité de l'Etat à l'égard de la commune et le tribunal n'a pas répondu à ce moyen ;

- les pénalités de retard sont justifiées, la société ID Verde n'ayant pas respecté les délais d'exécution du marché ;

- la société ID Verde a été destinataire de comptes-rendus de chantier faisant état des retards et avait ainsi une connaissance précise du décompte des retards qui lui étaient reprochés de sorte que les réserves que la société a émises sur le décompte général ne peuvent être regardées comme sans rapport avec les pénalités de retard prononcées à son encontre et les conséquences de celles-ci sur le calcul figurant au décompte général ;

- s'agissant des intérêts moratoires et la capitalisation de ces intérêts, les décomptes fournis par la société sont inexactes et elle en justifie par la production des états de calcul ;

- elle produit le bordereau du titre de recettes comportant la signature du maire ;

- la totalité du marché a été réglée selon le décompte général définitif, après exécution des travaux et les pénalités de retard ont fait l'objet d'un titre de recettes et d'une autre procédure.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 avril 2018 et le 3 octobre 2018, la société ID Verde, représentée par MeC..., de la SERLARL C...Riquelme Associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la commune de Gandrange le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le bordereau de titre de recettes produit en cas de contestation doit être signé, y compris si le bordereau avait précédemment été dématérialisé ;

- le titre exécutoire notifié ne comportait pas de mention des bases de liquidation de la créance, ni de document joint détaillant les modalités de calcul des pénalités de retard et, au demeurant, aucun poste du décompte général ne fait état de pénalités de retard ;

- le décompte général qui lui a été notifié ne comportait aucune mention des pénalités de retard et, si elle l'a signé en l'assortissant de deux réserves, celles-ci ne concernaient pas les pénalités de retard et n'ont pu faire obstacle à ce que les éléments de ce décompte deviennent définitifs ;

- le seul fait qu'elle ait eu connaissance de comptes-rendus de chantier faisant état de son prétendu retard ne permet pas de la faire regarder comme ayant émis des réserves sur les pénalités ;

- la commune ne pouvait donc émettre à son encontre, postérieurement à la notification du décompte général, un titre exécutoire relatif à des pénalités de retard ;

- il ne résulte pas du courriel du trésorier de Moyeuvre-Grande que celui-ci a demandé à la commune de ne pas mentionner les pénalités de retard dans le décompte général ;

- il appartient à la commune si elle considère que le trésorier a commis une erreur, de mettre en jeu sa responsabilité conformément aux dispositions des articles 17 et suivants du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 et de l'article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 mais elle ne saurait s'exonérer de sa propre responsabilité à son égard ;

- l'existence de lettres et de comptes-rendus de chantier mentionnant son retard ne dispensait pas de l'obligation de faire figurer les pénalités dans le décompte général ;

- le moyen tiré de ce que ses décomptes seraient inexacts est insuffisamment précis ;

- le bordereau de titre de recettes n° 48 signé produit par la commune n'a pas été notifié à la société ;

- la signature par le maire de ce bordereau n'est pas de nature à régulariser, de surcroît a posteriori, le défaut de signature de l'avis des sommes à payer notifié à la société ;

- les documents produits par la commune concernant les " états de calcul et de versement des intérêts " moratoires s'apparentent au calcul des intérêts moratoires qui auraient été dus à la société si le montant total de la situation de travaux n° 7 apparaissant dans ce document lui avait été réglé le 13 mai 2015 ;

- le tableau produit par la commune représente un calcul théorique des intérêts de retard et ne constitue pas la preuve d'un versement ;

- la commune n'établit pas que les mandatements ont été effectivement ordonnés au bénéfice de la société ;

- sa comptabilité indique qu'elle reste redevable de la somme de 88 800 euros correspondant au solde non versé de la situation de travaux n° 7.

II. Par une requête enregistrée le 26 février 2018, sous le n° 18NC00502, la commune de Gandrange, représentée par MeB..., demande à la cour de prononcer sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 10 janvier 2018.

Elle présente les mêmes moyens que dans la requête n° 18NC00501 et soutient, en outre, que :

- l'exécution du jugement aurait des conséquences difficilement supportables pour la commune qui a une capacité d'autofinancement négative et ne dispose, compte tenu de ses charges incompressibles, d'aucune capacité pour investir ou emprunter et ne peut s'acquitter de la somme mise à sa charge par le jugement du tribunal.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 avril 2018 et le 3 octobre 2018, la société ID Verde, représentée par MeC..., de la SERLARL C...Riquelme Associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la commune de Gandrange le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir les mêmes moyens que ceux qu'elle a présentés dans l'instance n° 18NC00501 et soutient, en outre, que :

- les moyens tirés de l'irrégularité du jugement tenant à l'omission de répondre à ses arguments sont inopérants dès lors qu'ils ne sont pas de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par le tribunal ;

- les conditions posées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative ne sont pas remplies.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,

- et les observations de Me B...pour la commune de Gandrange.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 18NC00501 et n° 18NC00502 de la commune de Gandrange sont dirigées contre un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.

2. Par un marché conclu le 1er juillet 2013, la commune de Gandrange a confié à la société ISS Espaces Verts l'aménagement d'un parc paysager pour un montant initial de 239 027,97 euros toutes taxes comprises (TTC). La société a présenté un décompte final le 13 mai 2015 et la commune de Gandrange a établi le 25 juillet 2015 un projet de décompte général et arrêté le montant des travaux à une somme de 340 813,56 euros TTC. La société a accepté ce décompte général le 6 janvier 2016, mais en l'assortissant de deux réserves tirées de ce que la totalité du montant des acomptes qui y figurent ne lui avait pas été versée et de ce que la retenue de garantie opérée n'était pas justifiée, réclamant par conséquent à la commune de Gandrange le versement d'une somme supplémentaire de 106 501,27 euros TTC. Par ailleurs, au vu des retards constatés dans la réalisation du parc paysager, le maître d'ouvrage, postérieurement à l'établissement du décompte général, a décidé d'infliger à la société des pénalités de retard d'un montant de 88 800 euros, a émis le 6 novembre 2015 un titre exécutoire de ce montant et l'a notifié à la société le 18 décembre 2015. La société ID Verde, venant aux droits de la société ISS Espaces Verts, a, d'une part, contesté ce titre exécutoire devant le tribunal administratif de Strasbourg, et a demandé à ce dernier, d'autre part, de condamner la commune de Gandrange à lui verser une somme totale de 106 501,27 euros TTC au titre du règlement du marché. La commune de Gandrange, qui avait en cours d'instance restitué à la société, la retenue de garantie d'un montant de 17 005,92 euros, fait appel du jugement du 10 janvier 2018 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif a annulé le titre exécutoire du 6 novembre 2015, l'a déchargée de l'obligation de payer la somme correspondante, l'a condamnée à verser à la société ID Verde une somme de 88 800 euros toutes taxes comprises, avec intérêts et capitalisation, et l'a également condamnée à lui verser les intérêts moratoires sur le montant de la retenue de garantie. Elle demande également à la cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

En ce qui concerne le titre exécutoire :

3. Le tribunal administratif, pour accueillir le moyen soulevé par la société ID Verde tiré de la méconnaissance des dispositions du 4° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales présenté à l'appui de sa contestation du titre exécutoire, a, dans les points 5 et 6 de son jugement, répondu de manière suffisamment motivée aux éléments opposés en défense par la commune de Gandrange en indiquant notamment qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier, en cas de contestation d'un titre de recettes individuel, que le bordereau de ce titre comporte la signature de l'émetteur. Le jugement n'est donc pas irrégulier à cet égard.

En ce qui concerne le règlement du marché :

4. Il ressort du dossier de première instance que la commune de Gandrange avait soulevé en défense le moyen tiré de ce qu'elle devait être exonérée de sa responsabilité au motif qu'elle s'était bornée à suivre les instructions du trésorier de Moyeuvre-Grande en ne faisant pas figurer les pénalités de retard dans le décompte général notifié à la société. Le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à la demande de la société ID Verde tendant à la condamnation de la commune de Gandrange à lui verser une somme de 88 800 euros sans répondre à ce moyen en défense qu'il n'a d'ailleurs pas visé dans le jugement attaqué lequel est, par suite, entaché d'irrégularité et doit être annulé dans cette seule mesure.

5. Il y a lieu, par la voie de l'évocation, de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société ID Verde au titre du règlement du marché devant le tribunal administratif de Strasbourg et, par la voie de l'effet dévolutif, sur les autres conclusions des parties.

Sur le titre exécutoire du 6 novembre 2015 :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée en première instance par la commune de Gandrange :

6. Aux termes du 2° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite (...) ".

7. Si les stipulations de l'article 50.4 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) des marchés publics de travaux, qui est applicable au marché en litige, permettent aux parties de soumettre les différends susceptibles de les opposer au comité consultatif de règlement amiable des litiges, dans les conditions mentionnées à l'article 127 du code des marchés publics, et si l'exercice d'une telle faculté permet de suspendre les délais de prescription, il ne saurait, en l'absence de toute disposition législative ou réglementaire en ce sens ou de toute stipulation dérogatoire, constituer une formalité obligatoire préalable à l'exercice d'un recours contentieux dirigé contre un titre exécutoire, quand bien même celui-ci aurait-il été émis, comme en l'espèce, en vue du recouvrement d'une créance née de l'exécution du marché.

8. Il résulte de ce qui précède que la commune de Gandrange n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a écarté sa fin de non-recevoir tirée de ce que la société ID Verde l'avait directement saisi de sa contestation dirigée contre le titre exécutoire du 6 novembre 2015 sans avoir préalablement soumis cette dernière au comité consultatif de règlement amiable des différends ou litiges relatifs aux marchés publics.

En ce qui concerne la régularité du titre exécutoire :

9. Aux termes du 4° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Une ampliation du titre de recettes individuel ou de l'extrait du titre de recettes collectif est adressée au redevable sous pli simple. Lorsque le redevable n'a pas effectué le versement qui lui était demandé à la date limite de paiement, le comptable public compétent lui adresse une mise en demeure de payer avant la notification du premier acte d'exécution forcée devant donner lieu à des frais. / En application de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis ainsi que les voies et délais de recours. / Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation ". Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif adressé au redevable doit mentionner les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis et, d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier en cas de contestation que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de l'émetteur.

10. Il résulte de l'instruction que le titre de recettes adressé à la société ID Verde mentionnait qu'il était émis par le maire de Gandrange, dont il précisait le nom et le prénom. Le bordereau de titre de recettes n° 48, du 6 novembre 2015, produit en appel par la commune de Gandrange, comporte la signature de l'émetteur, M. A...D..., maire de Gandrange. Il s'ensuit que la commune est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler le titre exécutoire en litige, le tribunal administratif a retenu un premier moyen tiré de ce que ce dernier avait été émis en méconnaissance des dispositions précitées du 4° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales.

11. Toutefois, aux termes du second alinéa de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation (...) ". Tout état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur.

12. Il résulte de l'examen du titre exécutoire contesté qu'il se borne à indiquer le montant de la somme due, soit 88 800 euros, et ne comporte, dans la rubrique " objet ", que la mention " concerne pénalités SARL ID Verde - parc paysager - décompte des pénalités ", sans préciser les bases et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde pour constituer débitrice de cette somme la société ID Verde. Par ailleurs, la commune de Gandrange n'établit pas, comme elle le soutient, avoir joint à la notification de ce titre le document intitulé " décompte des délais et pénalités " qu'elle produit à l'instance ou que ce document, d'ailleurs non daté, aurait été précédemment adressé à la société ID Verde. Par suite, le titre exécutoire contesté qui n'indique pas suffisamment les bases de liquidation de la créance est entaché d'une irrégularité substantielle de nature à justifier son annulation.

13. Il résulte de ce qui précède que la commune de Gandrange n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a également retenu ce second motif pour annuler le titre exécutoire en litige d'un montant de 88 800 euros et décharger la société ID Verde de l'obligation de lui payer cette somme.

Sur le règlement du marché :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la commune de Gandrange :

14. Ainsi qu'il a été dit au point 7 ci-dessus, la société ID Verde n'était pas tenue de former un recours devant le comité consultatif de règlement amiable des différends ou litiges relatifs aux marchés publics avant de saisir le tribunal administratif de son différend relatif au paiement des sommes dues en exécution de son marché. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en ce sens par la commune de Gandrange doit être écartée.

En ce qui concerne le règlement des sommes restant dues en exécution du marché :

15. L'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. L'ensemble des conséquences financières de l'exécution du marché sont retracées dans ce décompte même lorsqu'elles ne correspondent pas aux prévisions initiales. Il revient notamment aux parties d'y mentionner les conséquences financières de retards dans l'exécution du marché ou le coût de réparations imputables à des malfaçons dont est responsable le titulaire. Après la transmission au titulaire du marché du décompte général qu'il a établi et signé, le maître d'ouvrage ne peut réclamer à celui-ci, au titre de leurs relations contractuelles, des sommes dont il n'a pas fait état dans le décompte, nonobstant l'engagement antérieur d'une procédure juridictionnelle ou l'existence d'une contestation par le titulaire d'une partie des sommes inscrites au décompte général. Il ne peut en aller autrement, dans ce dernier cas, que s'il existe un lien entre les sommes réclamées par le maître d'ouvrage et celles à l'égard desquelles le titulaire a émis des réserves.

16. Il résulte du décompte général notifié à la société ID Verde que l'exécution de son marché a donné lieu au paiement de sept acomptes. Toutefois, s'agissant de la situation n° 7, arrêtée le 22 juillet 2015 par le maître d'oeuvre à la somme de 107 968,75 euros TTC, il résulte de l'instruction, et notamment des pièces comptables produites par la société ID Verde que ce montant intégralement repris par le maître d'ouvrage dans le décompte général qu'il a été établi et signé, n'a pas été complètement réglé, la commune de Gandrange ne lui ayant versé au titre de cette situation qu'une somme de 20 092,75 euros TTC.

17. En premier lieu, si la commune soutient que la somme de 88 800 euros dont elle a retenu le versement correspond aux pénalités de retard infligées à la société ID Verde, il lui appartenait, dans le respect des règles énoncées au point 15 ci-dessus, de faire figurer le montant de ces pénalités, dont le fait générateur procède de l'exécution du marché, dans le décompte général avant de transmettre ce dernier, revêtu de sa signature, au titulaire du marché. Or, il est constant que ce décompte ne comporte pas la mention de l'existence et du mode de calcul de ces pénalités. Contrairement à ce que soutient la commune, la circonstance que la société ID Verde aurait eu connaissance de son intention de lui infliger des pénalités par les comptes rendus de chantier ne saurait suppléer une telle omission, alors en outre qu'ainsi qu'il a été dit au point 12 ci-dessus, il n'est pas davantage établi qu'elle aurait préalablement communiqué à la société le décompte des délais et pénalités qu'elle produit à l'instance.

18. En deuxième lieu, si la commune de Gandrange soutient qu'elle n'a pas fait figurer les pénalités de retard dans le décompte général en raison des instructions du trésorier de Moyeuvre-Grande, le fait du tiers ainsi invoqué par le maître de l'ouvrage n'est pas susceptible de l'exonérer de sa responsabilité vis-à-vis de son cocontractant.

19. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que les réserves émises par la société ID Verde, le 6 janvier 2016, sur le décompte général établi et signé par le maître d'ouvrage, relatives, d'une part, à la restitution de la retenue de garantie et, d'autre part, à l'absence de paiement du solde de la situation n° 7 à la suite de sa demande de paiement du 25 novembre 2014, sont sans lien avec les pénalités de retard que le maître d'ouvrage a mises à la charge de la société ID Verde après l'établissement du décompte général où elles ne figurent pas. Dans ces conditions, la société ID Verde dont il n'est pas contesté qu'elle a réalisé les prestations dont elle réclame le règlement, est fondée à demander le paiement par la commune de Gandrange de la somme de 88 800 euros TTC.

En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :

20. Selon le I de l'article 8 du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique, applicable au marché en litige : " Le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage. / Les intérêts moratoires courent à compter du jour suivant l'échéance prévue au contrat ou à l'expiration du délai de paiement jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse. / Les intérêts moratoires appliqués aux acomptes ou au solde sont calculés sur le montant total de l'acompte ou du solde toutes taxes comprises, diminué de la retenue de garantie, et après application des clauses d'actualisation, de révision et de pénalisation ". Et selon le I de l'article 2 de ce décret : " Le délai de paiement court à compter de la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur ou, si le contrat le prévoit, par le maître d'oeuvre ou toute autre personne habilitée à cet effet. / Toutefois : (...) 2° Pour le paiement du solde des marchés de travaux soumis au code des marchés publics, le délai de paiement court à compter de la date de réception par le maître de l'ouvrage du décompte général et définitif établi dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (...) ". Aux termes du II de cet article : " (...) La date de réception de la demande de paiement et la date d'exécution des prestations sont constatées par les services du pouvoir adjudicateur ou, le cas échéant, par le maître d'oeuvre ou la personne habilitée à cet effet. A défaut, c'est la date de la demande de paiement augmentée de deux jours qui fait foi. En cas de litige, il appartient au créancier d'apporter la preuve de cette date ". Et selon le b) de l'article 1er du même décret, le délai de paiement pour une collectivité territoriale est de trente jours. Enfin, selon l'article 8.70 du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché : " Les paiements seront effectués par acomptes mensuels d'après les décomptes mensuels présentés par l'entrepreneur et arrêté par le maître d'oeuvre. / Le mandatement de l'acompte interviendra dans les 30 jours au plus tard après la date à laquelle le projet de décompte est remis par l'entrepreneur au maître d'oeuvre ".

21. Si la commune de Gandrange fait valoir pour contester le droit aux intérêts de la société ID Verde et leur quantum que les décomptes mensuels de la société ID Verde sont inexacts, en produisant au soutien de ce moyen un état de calcul et de versement des intérêts moratoires des situations n° 2, n° 4, n° 5, n° 6 et n° 7, il résulte de l'instruction que la société ID Verde a remis au maître d'oeuvre son décompte relatif à la situation n° 7, le 1er décembre 2014, d'un montant de 107 968,75 euros. Ainsi qu'il a été dit au point 19 ci-dessus, le maître d'ouvrage a irrégulièrement retenu sur ce montant une somme de 88 800 euros qui n'a pas été réglée à la société ID Verde. Aussi, la société a droit aux intérêts moratoires à compter seulement du 1er janvier 2015, date à laquelle expirait le délai de paiement de trente jours imparti à la commune, au taux prévu par les dispositions du I de l'article 8 du décret du 29 mars 2013 sur la somme de 88 800 euros.

22. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts moratoires sur la somme de 88 800 euros a été demandée par la société ID Verde dans sa demande de première instance, enregistrée au greffe du tribunal le 29 juillet 2016. Elle peut donc y prétendre à compter du 1er janvier 2016, date à laquelle il était dû une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les intérêts dus sur le montant de la retenue de garantie :

23. Il résulte de l'instruction que la réception des travaux ayant été prononcée sans réserves le 17 avril 2015, la société ID Verde a droit, en application des dispositions de l'article 103 du code des marchés publics applicable au marché, au versement des intérêts moratoires au taux prévu par les dispositions du I de l'article 8 du décret du 29 mars 2013 sur la somme de 17 005,92 euros à compter du 18 mai 2016, date d'expiration du délai de garantie jusqu'au 22 août 2017, date à laquelle la retenue de garantie a été libérée, en cours d'instance.

24. Il résulte de ce qui précède que la commune de Gandrange n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 4 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg l'a condamnée à verser à la société ID Verde des intérêts moratoires sur la somme de 17 005,92 euros pour la période allant du 18 mai 2016 au 22 août 2017.

Sur les conclusions à fins de sursis à exécution du jugement :

25. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement nos 1600525 - 1604332 du tribunal administratif de Strasbourg du 10 janvier 2018. Il n'y a, par suite, plus lieu de statuer sur les conclusions de la commune de Gandrange à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur les frais liés aux instances :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société ID Verde, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Gandrange demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Gandrange le versement à la société ID Verde d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 3 du jugement nos 1600525 - 1604332 du 10 janvier 2018 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : La commune de Gandrange est condamnée à verser à la société ID Verde une somme de 88 800 euros toutes taxes comprises.

Article 3 : La somme de 88 800 euros toutes taxes comprises portera intérêts à compter du 1er janvier 2015, au taux prévu par les dispositions du I de l'article 8 du décret n° 2013-269 du 29 mars 2013. Les intérêts échus porteront à leur tour intérêts à compter du 1er janvier 2016 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 4 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18NC00502 de la commune de Gandrange à fins de sursis à exécution du jugement du 10 janvier 2018.

Article 5 : La commune de Gandrange versera à la société ID Verde une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus de la demande présentée par la société ID Verde devant le tribunal administratif de Strasbourg et le surplus des conclusions d'appel des parties sont rejetés.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Gandrange et à la société ID Verde.

2

Nos 18NC00501 - 18NC00502


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC00501-18NC00502
Date de la décision : 28/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Créances des collectivités publiques - Recouvrement - Procédure - État exécutoire.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Rémunération du co-contractant - Pénalités de retard.

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Règlement des marchés - Décompte général et définitif.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: M. LOUIS
Avocat(s) : MERTZ

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-05-28;18nc00501.18nc00502 ?
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