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09/05/2019 | FRANCE | N°18NC02036

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 09 mai 2019, 18NC02036


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 août 2017 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1705690 du 14 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 juillet 2018 et u

n mémoire complémentaire enregistré le 30 janvier 2019, M.B..., représenté par Me Boukara, demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 7 août 2017 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1705690 du 14 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 juillet 2018 et un mémoire complémentaire enregistré le 30 janvier 2019, M.B..., représenté par Me Boukara, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 février 2018 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 7 août 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", à défaut de réexaminer sa situation, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros, à verser à son conseil, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

Sur la décision de refus de titre de séjour :

- l'avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne mentionne pas le nom du médecin qui a établi le rapport transmis au collège ;

- la composition du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration était irrégulière ;

- le médecin instructeur n'était pas habilité à établir le rapport ;

- le rapport établi n'était pas conforme aux dispositions de l'arrêté du 27 décembre 2016, notamment son annexe B ;

- l'avis rendu par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne comporte pas l'ensemble des indications requises ;

- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il souffre de deux pathologies sévères qui ne peuvent pas être traitées dans son pays d'origine ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, au regard de la durée de sa présence en France et de la gravité de son état de santé ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ; le préfet n'a pas procédé à un examen personnalisé de sa situation ;

- cette décision doit être annulée en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 octobre 2018, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête ;

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. B...n'est fondé.

M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle de Nancy du 19 juin 2018.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bauer a été entendu au cours de l'audience publique.

Une note en délibéré présentée par Me Boukara pour M. B...a été enregistrée le 12 avril 2019.

Considérant ce qui suit :

1. M.B..., ressortissant kosovar né le 6 mai 1957, est entré en France irrégulièrement le 27 novembre 2008 avec son épouse pour solliciter l'octroi du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 26 juin 2009, confirmée par décision de la Cour nationale du droit d'asile du 6 mai 2010. Parallèlement, le requérant a présenté en mars 2009 une demande de délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé. A la suite de l'avis favorable du médecin de l'agence régionale de santé, M. B...a bénéficié d'une carte de séjour temporaire en application de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile régulièrement renouvelé jusqu'au 6 avril 2017. Par arrêté du 7 août 2017, le préfet du Haut-Rhin a refusé de faire droit à sa demande de renouvellement de ce titre de séjour, en considération de l'avis défavorable du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 26 juin 2017. M. B...relève appel du jugement du 14 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. (...) ". L'article R. 313-22 du même code prévoit que : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu (...) d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...) ". Selon l'article R. 313-23 du même code, dans sa rédaction applicable : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. (...) Il transmet son rapport médical au collège de médecins. / Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. (...) ".

3. L'article 3 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose par ailleurs que : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical, conformément au modèle figurant à l'annexe B du présent arrêté. ". Son article 6 prévoit que : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. (...)".

4. Il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux produits par le cardiologue qui suit le requérant, que M. B...est atteint de deux pathologies sévères. Il souffre, d'une part, d'une cardiopathie ischémique avec atteinte coronaire, pour laquelle un traitement à vie est nécessaire, et qui se complique en raison d'une surcharge ventriculaire gauche en raison d'une hypertension artérielle. Il a été atteint, d'autre part, d'un cancer bronchique, découvert en 2013, pour lequel il a bénéficié d'une chimiothérapie.

5. En premier lieu, ainsi que le soutient le requérant par un moyen nouveau en appel, il ressort du rapport médical établi par le médecin instructeur que ce dernier ne comporte pas l'ensemble des précisions requises s'agissant des pathologies et complications dont souffre M. B.... L'intégralité du traitement médicamenteux suivi n'est par ailleurs pas mentionnée. Par suite, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a pas été mis en mesure de rendre un avis pertinent, alors qu'il est constant que le requérant a bénéficié pendant huit ans d'un titre de séjour pour raisons de santé, au motif que le traitement approprié à son état n'était pas disponible au Kosovo. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie dans le cadre de la saisine pour avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est établi. Ce vice de procédure a, en l'espèce, privé le requérant d'une garantie. Il suit de là que M. B...est fondé à demander pour ce premier motif l'annulation de la décision par laquelle le préfet du Haut-Rhin a refusé de renouveler son titre de séjour et, par voie de conséquence, celle des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.

6. En second lieu, il ressort des certificats médicaux produits que l'état de santé du requérant nécessite la poursuite des soins avec une surveillance régulière et une prise sans interruption de son traitement au risque d'une récidive pouvant se compliquer d'accident gravissime. Or, il ressort de la liste des médicaments enregistrés au Kosovo que certains des éléments du traitement prescrit au requérant n'y figurent pas, notamment les médicaments "Amlor ", " Hyperium ", " Crestor " ou " Duoplavin ", ainsi que l'a d'ailleurs relevé le cardiologue traitant du requérant. Il n'est pas établi que les principes actifs de ces médicaments seraient disponibles sous une autre appellation commerciale. Par ailleurs, les différents rapports et articles produits au dossier, notamment le rapport établi par l'organisation suisse d'aide aux réfugiés OSAR du 6 mars 2017, indiquent que la situation sanitaire de ce pays ne s'est pas améliorée, le Kosovo souffrant toujours de prestations de soins insuffisantes, d'un manque de médicaments et de personnel médical y compris dans la capitale. A supposer même établie la disponibilité des soins requis, il n'est nullement justifié que M. B...pourrait effectivement en bénéficier, alors qu'il est âgé de 61 ans et reconnu handicapé à 80%, de sorte que ses perspectives de trouver un emploi seraient compromises. Il ressort en effet des éléments produits au dossier que le Kosovo ne dispose toujours pas d'un système d'assurance-maladie, des coûts importants restant de ce fait à la charge des patients.

7. Il ressort de ces divers éléments produits par le requérant, et non sérieusement contestés par le préfet, que M. B...est fondé à soutenir que la décision lui refusant le renouvellement de son titre de séjour a, dans les circonstances de l'espèce, méconnu les dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle doit, pour ce second motif, être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions subséquentes.

8. Il résulte de tout ce qui précède et, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en annulation.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de délivrer à M. B...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait et de droit.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

11. Il y a lieu, en application des dispositions précitées, de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 1 500 euros à verser à Me Boukara, avocate de M.B..., sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1705690 du tribunal administratif de Strasbourg du 14 février 2018 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 7 août 2017 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé à M. B... la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Haut-Rhin de délivrer à M. B...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait et de droit.

Article 4 : L'Etat versera à Me Boukara, avocat de M.B..., une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...et au ministre de l'intérieur.

Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

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N° 18NC02036


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC02036
Date de la décision : 09/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. DHERS
Rapporteur ?: Mme Sandra BAUER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : BOUKARA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-05-09;18nc02036 ?
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