Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... B...a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Reims à réparer les conséquences dommageables de la prise en charge défectueuse de sa mère, Mme C...B..., et de lui verser à ce titre la somme globale de 96 449,76 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du dépôt de sa demande.
Par un jugement n° 1501136 du 11 avril 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a limité à la somme globale de 4 054,20 euros l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Reims.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 juin 2017, Mme F...B..., représentée par la SCP ACG, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 11 avril 2017 ;
2°) de porter le montant de l'indemnisation mise à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Reims à la somme globale de 96 449,76 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'administration la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- un retard fautif est imputable au centre hospitalier dans le diagnostic de la dissection coronaire dont Mme C...B...est décédée le 25 février 2011 ;
- ce retard est à l'origine d'une perte de chance importante d'éviter le décès, qui ne saurait être évaluée à un taux inférieur à 76 % ;
- les souffrances endurées par la victime et le préjudice résultant pour elle de la conscience d'une mort imminente doivent être évalués, respectivement, aux sommes de 20 000 et 40 000 euros ;
- son préjudice d'affection et son préjudice d'accompagnement s'établissent à 25 000 euros et 5 000 euros ;
- des frais d'obsèques ont été exposés pour un montant de 5 542,03 euros ;
- son père, M. A...B..., a subi un préjudice d'affection évalué à 30 000 euros, avant de décéder le 29 novembre 2011 ;
- il a également exposé des frais d'assistance par une tierce personne pour un montant de 1 365,56 euros.
Par un courrier enregistré le 19 octobre 2017, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne a informé la cour qu'elle n'entendait pas intervenir dans la présente instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 novembre 2017, le centre hospitalier régional universitaire de Reims, représenté par MeE..., conclut au rejet de la requête et, par la voie d'un appel incident, demande à la cour de réduire le montant de l'indemnisation mise à sa charge.
Il soutient que :
- la chance perdue par Mme C...B...d'échapper au dommage ne saurait excéder un taux de 6 % ;
- les souffrances endurées justifient une indemnisation au plus égale à 1 200 euros ;
- la conscience d'une mort imminente n'est pas établie ;
- la somme accordée en réparation du préjudice moral subi par la requérante ne saurait excéder 5 000 euros ;
- le préjudice d'accompagnement n'est pas établi ;
- l'époux de la victime n'a subi aucun préjudice d'affection ;
- les frais exposés pour les repas de M. B...après le décès de son épouse sont sans lien avec le dommage.
Par un mémoire enregistré le 24 août 2018, l'Office national des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeD..., conclut à sa mise hors de cause et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la partie perdante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- aucune demande n'a été présentée contre lui ;
- les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- et les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C...B..., née le 29 septembre 1953, a été prise en charge par le service des urgences du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Reims le 22 février 2011 à 20 heures 50 en raison de douleurs thoraciques et abdominales, d'un trouble moteur de l'avant-bras et de la main droite et de troubles de la conscience. Après avoir diagnostiqué une crise d'angoisse dans un contexte conjugal difficile, le médecin interne du service des urgences a renvoyé l'intéressée à son domicile le même jour vers 23 heures. Mme C...B...a été retrouvée sans vie, le 25 février 2011, à son domicile. L'autopsie a permis de conclure que son décès était imputable à une dissection aigüe de l'aorte, compliquée d'un hémo-péricarde abondant. Mme F...B..., fille de la victime, a saisi le 13 avril 2012 la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) des accidents médicaux de Champagne-Ardenne qui, au vu de deux rapports d'expertise établis les 4 octobre 2012 et 10 septembre 2013, a estimé qu'un retard de diagnostic imputable au CHRU de Reims avait fait perdre à Mme C...B...une chance d'échapper au dommage et a fixé l'ampleur de cette perte de chance au taux de 76 %. L'assureur du CHRU de Reims ayant refusé de suivre l'avis de la commission favorable à une réparation, l'Office national des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a fait une proposition d'indemnisation à la requérante que celle-ci a refusée. Mme F... B...a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à la réparation de ses préjudices propres et de ceux de sa mère et de son père, décédé le 29 novembre 2011, pour un montant total de 96 449,76 euros. Elle relève appel du jugement du 11 avril 2017 par lequel le tribunal administratif a fixé le taux de perte de chance à 10 % et a limité l'indemnité mise à la charge du CHRU de Reims à la somme globale de 4 054,20 euros, et réitère devant la cour les conclusions indemnitaires présentées en première instance. Le CHRU de Reims demande à la cour, par la voie d'un appel incident, la réformation de ce jugement aux motifs que la perte de chance ne saurait excéder un taux de 6 % et que certains postes de préjudice ne sont pas établis. L'ONIAM, auquel la requête a été communiquée, conclut à sa mise hors de cause. La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, mise en cause dans l'instance, a informé la cour qu'elle n'entendait pas intervenir à l'instance.
Sur la perte de chance :
2. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 4 octobre 2012 déposé devant la CRCI, que les investigations nécessaires au diagnostic ont été insuffisantes lors de la prise en charge de Mme C...B...par le service des urgences du CHRU de Reims le 22 février 2011, alors que l'intéressée présentait notamment une douleur thoracique qui, chez une personne âgée de 58 ans souffrant d'hypertension, permettait d'évoquer une possible dissection aortique justifiant de réaliser une radiographie du thorax et de solliciter un avis cardiologique. Le manquement imputable au service hospitalier est à l'origine d'un retard fautif dans le diagnostic de la dissection aortique dont Mme B...est décédée, ce que le CHRU de Reims ne conteste pas en appel.
3. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge d'un patient dans un établissement public hospitalier ou de la mise en oeuvre d'un traitement par cet établissement a compromis les chances de ce patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par le service hospitalier et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. Lorsqu'une pathologie prise en charge dans des conditions fautives a entraîné une détérioration de l'état du patient ou son décès, c'est seulement lorsqu'il peut être affirmé de manière certaine qu'une prise en charge adéquate n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences que l'existence d'une perte de chance ouvrant droit à réparation peut être écartée.
4. Il résulte encore du rapport d'expertise précité et du second rapport du 10 septembre 2013 déposé devant la CRCI que le tableau clinique présenté par Mme C...B...lors de sa prise en charge était particulièrement fruste et trompeur et ne révélait aucun des signes classiques de la dissection aortique aiguë. Le premier expert en tire pour conséquence que la radiographie du thorax que le centre hospitalier aurait dû réaliser n'aurait pas apporté d'argument significatif permettant de confirmer le diagnostic d'une dissection aortique, et que le cardiologue, consulté sur la situation de la patiente, aurait très probablement considéré son état cardiologique comme normal. Il précise qu'aucune investigation complémentaire, notamment par voie de scanner ou d'imagerie par résonance magnétique, n'était justifiée au regard des symptômes présentés par MmeB.... Si le second expert indique ne pas être en mesure de se prononcer sur la possibilité qu'auraient eu les praticiens de diagnostiquer une dissection aortique au vu d'une radiographie et d'un avis cardiologique, il confirme le caractère trompeur du tableau clinique résultant d'une douleur thoracique relativement atypique, d'une symptomatologie abdominale mineure, de symptômes neurologiques relativement fugaces et frustes et de la crise d'angoisse présentée par la patiente dans un contexte de difficultés conjugales. Selon les constatations de cet expert, la dissection aortique dont a été victime Mme B...peut être qualifiée de gravissime, avec un risque de mortalité très élevé, alors que la survenance d'une telle dissection constitue une complication très rare de l'hypertension artérielle chez une femme. Il ressort des conclusions du premier expert que, eu égard à un tableau clinique initial extrêmement atypique, l'ampleur de la chance perdue par la victime est réduite. Pour autant, si le CHRU de Reims se prévaut d'un rapport critique établi le 30 septembre 2015 selon lequel le diagnostic d'une dissection aiguë de l'aorte ascendante n'est établi que dans 15 à 40 % des cas, avec un taux de mortalité hospitalière fixé à 50 %, il ne résulte pas de ces constatations que le taux de perte de chance d'éviter le décès de Mme C...B...serait limité à 6 %. Dans ces conditions, compte tenu des incertitudes importantes sur l'évolution de l'état de l'intéressée en cas de prise en charge appropriée, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte évaluation de la chance perdue par Mme B... en retenant, dans les circonstances de l'espèce, un taux de 10 %.
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne les préjudices subis par Mme C...B... :
5. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 4 octobre 2012, que les douleurs thoraciques de Mme C...B...ont persisté du 22 février 2011, date de son retour à domicile, au 25 février 2011, date de son décès, sans pouvoir être soulagées. Par ailleurs, il ressort suffisamment de l'attestation produite à l'instance et des déclarations de sa fille, reprises dans le rapport d'expertise précité, que Mme C...B...a craint de mourir à la suite de son malaise le 22 février 2011. Dans ces conditions, il y a lieu d'indemniser tant les souffrances physiques que la douleur morale éprouvées par la victime, résultant notamment de l'angoisse d'une issue fatale. Dans les circonstances très particulières de l'espèce, les premiers juges ont procédé à une exacte appréciation des souffrances de Mme C...B...en les évaluant à la somme globale de 25 000 euros et en allouant à ce titre, compte tenu de l'ampleur de la perte de chance, la somme de 2 500 euros.
En ce qui concerne les préjudices subis par Mme F...B... :
6. En premier lieu, il ressort des pièces produites à l'instance que la requérante entretenait des relations très étroites avec sa mère et a été particulièrement affectée par sa disparition. Le tribunal administratif n'a pas fait une inexacte appréciation du préjudice d'affection subi par la requérante en l'évaluant, dans les circonstances de l'espèce, à la somme de 10 000 euros et, compte tenu de la fraction indemnisable, en accordant une indemnité de 1 000 euros.
7. En second lieu, si Mme F...B...se prévaut d'un " préjudice d'accompagnement ", elle demande en fait l'indemnisation des troubles dans ses conditions d'existence résultant du décès de sa mère, lequel a contraint l'intéressée à prendre en charge son père jusqu'au décès de celui-ci le 29 novembre 2011. La requérante justifie de la réalité de ces troubles dont il sera fait une juste appréciation en les évaluant à la somme de 5 000 euros. Il y a donc lieu d'accorder la somme de 500 euros à la requérante.
8. Il résulte de ce qui précède, compte tenu des frais d'obsèques exposés par Mme F... B... pour un montant non contesté de 5 542,03 euros et qui doivent être indemnisés pour un montant de 554,20 euros, que l'indemnisation allouée en réparation des préjudices propres de la requérante doit être portée de la somme de 1 000 euros à celle de 2 054,20 euros.
En ce qui concerne les préjudices subis par M. A...B...:
9. Si M. B...présentait une addiction à l'alcool à l'origine de difficultés conjugales, cette circonstance ne fait pas obstacle à l'indemnisation du préjudice d'affection résultant pour lui du décès de son épouse. Au demeurant, le CHRU de Reims ne contestait pas l'existence de ce préjudice devant les premiers juges. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 15 000 euros et, eu égard au taux de perte de chance, en accordant la somme de 1 500 euros à la requérante, ayant droit de M.B....
10. La requérante réitère en appel sa demande tendant au remboursement des frais exposés par M. B...après le décès de son épouse, pour un montant de 1 365,56 euros, afin d'assurer la préparation de ses repas par un prestataire extérieur. Toutefois, en l'absence de lien direct avec la faute imputable au centre hospitalier, Mme B...n'est pas fondée à demander une indemnisation à ce titre.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a limité le montant de l'indemnisation à la somme globale de 4 054,20 euros, qu'il y a lieu de porter à celle de 6 054,20 euros.
Sur les conclusions de l'ONIAM :
12. En l'absence de toutes conclusions dirigées contre lui, l'ONIAM est fondé à demander la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il prononce sa mise hors de cause.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHRU de Reims une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B...et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante la somme dont l'ONIAM demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La somme que le CHRU de Reims a été condamné à verser à Mme B...par le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n° 1501136 du 11 avril 2017 est portée de 4 054,20 euros à 6 054,20 euros.
Article 2 : Le CHRU de Reims versera à Mme B...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n° 1501136 du 11 avril 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...B..., au centre hospitalier régional universitaire de Reims, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
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N° 17NC01369