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17/01/2019 | FRANCE | N°18NC00049

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 17 janvier 2019, 18NC00049


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er avril 2016 par laquelle le maire de la Chapelle-Saint-Luc a rejeté son recours gracieux dirigé contre une décision du 13 janvier 2016 lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement no 1601038 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 1er avril 2016 et a enjoint au maire de la Chapelle-Saint-Luc d'attribuer à M. B...le b

énéfice de la protection fonctionnelle et des droits qui s'y attachent.

Procédu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er avril 2016 par laquelle le maire de la Chapelle-Saint-Luc a rejeté son recours gracieux dirigé contre une décision du 13 janvier 2016 lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Par un jugement no 1601038 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 1er avril 2016 et a enjoint au maire de la Chapelle-Saint-Luc d'attribuer à M. B...le bénéfice de la protection fonctionnelle et des droits qui s'y attachent.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 janvier, 26 juin et 11 septembre 2018, la commune de la Chapelle-Saint-Luc, représentée par la SCP Bergeret et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement no 1601038 du 7 novembre 2017 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B...;

3°) de mettre à la charge de M. B...une somme de 1 500 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de la Chapelle-Saint-Luc soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que le harcèlement moral allégué par M. B...était établi ;

- la décision attaquée n'est pas entachée d'erreur de droit, d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 mars, 16 juillet et 26 septembre 2018, M. D... B..., représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la commune de la Chapelle-Saint-Luc à lui verser une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. B...soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rees, premier conseiller,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., pour la commune de la Chapelle-Saint-Luc, ainsi que celles de MeC..., pour M. D...B....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 9 décembre 2010, le maire de La-Chapelle-Saint-Luc a nommé M. D... B..., rédacteur territorial principal de première classe, qui occupait jusqu'alors l'emploi de responsable adjoint du service " enseignement ", en qualité de responsable du service " démocratie locale ", à compter du 15 décembre 2010. Le 26 novembre 2015, M. B...a présenté une demande tendant à ce que la commune lui accorde le bénéfice de la protection fonctionnelle en raison du harcèlement moral dont il s'estimait victime dans l'exercice de ses fonctions. Par un courrier du 13 janvier 2016, le maire a rejeté cette demande. Le 1er avril 2016, le maire a rejeté le recours gracieux formé par l'intéressé contre cette décision.

2. La commune de la Chapelle-Saint-Luc relève appel du jugement du 7 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 1er avril 2016.

Sur la légalité de la décision attaquée :

3. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, dans sa version applicable au litige : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ".

4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la même loi, alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ". Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

5. Il ressort des pièces du dossier que la création du service " démocratie locale " est concomitante à l'affectation de M. B...à ce service, le 15 décembre 2010, pour en prendre la responsabilité et en assurer la mise en place. La commune fait valoir que cette création répondait à un besoin effectif de remplir une mission de service public lui incombant, notamment à travers l'institution de conseils de quartier. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, en particulier des déclarations d'un adjoint au maire devant le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail, que le projet, inscrit dans le programme de la majorité municipale, a été abandonné au lendemain des élections. Sa création n'a été à nouveau envisagée qu'au printemps 2010, en même temps que la nomination de M. B...à sa tête, alors qu'au sein du service " enseignement ", une situation de conflit opposait ce dernier à sa supérieure hiérarchique et à l'élue de référence du service. En outre, la fiche de poste définitive de M. B...n'a été établie que le 13 janvier 2011, un mois après sa prise de fonctions, et le directeur général des services ne lui a adressé une première lettre de mission que le 22 mars 2011. Par ailleurs, jusqu'à la date de la décision attaquée, les missions confiées à ce service se sont limitées à l'organisation de la fête annuelle des voisins et à la rédaction de trois rapports entre le début de l'année 2011 et mai 2012, en vue de définir concrètement la mise en place des organes de démocratie locale, notamment les conseils de quartier. Si l'insuffisance de ces rapports a été reprochée à M. B...par le directeur général des services dans un courrier du 7 mai 2012, puis par le directeur général des services et par le maire dans un courrier du 16 juillet 2012, aucune suite n'a été donnée à ces reproches. M. B... n'a pas non plus obtenu de réponse à ses demandes tendant à obtenir des précisions sur les insuffisances des rapports. Il n'a pas davantage obtenu de réponse à ses demandes, répétées à partir du 25 mai 2012, tendant à ce que ses supérieurs hiérarchiques lui fournissent des directives pour la mise en oeuvre concrète des conclusions de ces rapports. Le maire s'est borné, dans une lettre du 30 avril 2013, à renvoyer M. B...vers son élu de secteur, lequel lui a indiqué que la mise en place des conseils de quartier était suspendue en raison d'échéances électorales. La circonstance, invoquée par la commune, que le service " démocratie locale " ait été étoffé par l'arrivée d'un troisième agent en avril 2016 et qu'il se soit ultérieurement développé n'est pas de nature à démontrer la réalité de sa substance auparavant, et en particulier à la date du premier refus de protection fonctionnelle opposé à M. B.... Enfin, il ressort des pièces du dossier que le service " démocratie locale " a été installé dans un bâtiment distinct de la mairie et n'abritant aucun autre service municipal, que M. B...n'était pas habituellement destinataire des messages envoyés aux autres responsables de services municipaux entre 2012 et 2014 et qu'il est demeuré l'unique agent de son service jusqu'à l'affectation d'une secrétaire en juin 2014.

6. En revanche, contrairement à ce que soutient M.B..., il ressort des pièces du dossier que sa mutation a été décidée non pas en raison de son activité syndicale, mais en raison, d'une part, de ses absences qui, ajoutées à celles de la responsable du service " enseignement " en raison de son état de santé, perturbaient le fonctionnement de ce service, et d'autre part du conflit qui l'opposait, au sein de ce service, à sa supérieure hiérarchique et à l'élue de référence du service. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport établi par la responsable du service " enseignement " le 21 juillet 2010, que M. B...a fait preuve, dans l'exercice de ses fonctions de responsable adjoint du service, de rigidité et d'insubordination par rapport à certaines instructions qu'il refusait d'exécuter, ainsi que d'agissements traduisant un manque de loyauté et de respect à son égard et vis-à-vis de l'élue de référence du service. M. B...ne conteste pas sérieusement les éléments de ce rapport, qui présente de manière très précise et circonstanciée plusieurs séries de faits. Ces comportements de M. B...se sont poursuivis de 2010 à 2015, comme le montrent de nombreuses pièces du dossier, notamment les échanges de courriers électroniques relatifs à ses refus de se rendre à des convocations du directeur général des services ou du directeur des ressources humaines, ou imposant des conditions pour ces entretiens, le recours régulier à des arguties pour justifier son comportement ou ses prétentions, ou encore son refus, opposé au conseiller municipal délégué en charge du dossier, d'associer son service à la création du conseil citoyen qui entrait pourtant dans ses compétences, en invoquant son " faible niveau de connaissance du dossier ". Les fonctions syndicales exercées par M.B..., dont il se prévaut, ne sont pas de nature à justifier de tels comportements, et la circonstance que ces derniers n'aient donné lieu à aucune poursuite disciplinaire ne saurait conduire à les regarder comme normaux au regard des obligations d'obéissance, de loyauté et de réserve pesant sur tout fonctionnaire.

7. Néanmoins, bien que ces comportements ne soient ainsi pas étrangers à la situation de M.B..., ils ne suffisent pas à justifier que celui-ci ait été placé et maintenu pendant plus de cinq ans à la tête d'un service, dépourvu de réelle substance et dont il est demeuré longtemps l'unique agent, physiquement et fonctionnellement isolé par rapport aux autres services de la mairie, et ne suscitant qu'un intérêt ponctuel et distant pour son activité. Dans ces conditions, la commune a pris à son égard des mesures disproportionnées, qui constituent une réponse abusive à ses comportements professionnels. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, en particulier des certificats médicaux qu'il produit et de l'avis de la commission départementale de réforme du 1er février 2018, que M. B...fait l'objet, depuis 2014, d'un suivi médical pour des troubles anxio-dépressifs réactionnels en lien avec sa situation professionnelle.

8. Au total, il ressort ainsi des pièces du dossier que M. B...a subi des agissements répétés de harcèlement moral qui ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail ayant porté atteinte à sa santé. Par suite, la commune, qui ne peut pas utilement faire valoir l'absence d'intention de nuire à l'intéressé, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision attaquée, le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de ce que cette décision était entachée d'une erreur dans l'appréciation de la situation de M. B...au regard des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 précité.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de la Chapelle-Saint-Luc n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision attaquée. Dès lors, ses conclusions à fin d'annulation ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B...qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de la Chapelle-Saint-Luc demande au titre des frais exposés par elle en appel et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la commune de la Chapelle-Saint-Luc une somme à verser à M. B...au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la commune de la Chapelle-Saint-Luc est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de M. D...B...tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de la Chapelle-Saint-Luc et à M. D... B....

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N° 18NC00049


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC00049
Date de la décision : 17/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Garanties et avantages divers. Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : Mme STEFANSKI
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : BERGERET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-01-17;18nc00049 ?
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