Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice du 8 juin 2006 prononçant son admission à la retraite pour invalidité en tant qu'il refuse de reconnaitre l'imputabilité de son invalidité au service, ensemble la décision implicite par laquelle le ministre a rejeté son recours gracieux du 31 décembre 2010, et de condamner l'Etat à réparer l'ensemble de ses préjudices pour un montant total de 440 581 euros, sauf à parfaire, cette somme étant assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts.
Par un jugement n° 1205762 du 7 juillet 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 9 septembre 2016, 17 octobre 2016 et 20 février 2017, M. A... B..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 7 juillet 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice du 8 juin 2006 en tant qu'il a refusé de reconnaitre l'imputabilité de son invalidité au service, ensemble la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre sur le recours gracieux formé le 31 décembre 2010 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser, à titre principal, une somme de 440 581 euros ou, à titre subsidiaire, celle de 250 000 euros, sauf à parfaire, en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2010 et de la capitalisation des intérêts échus ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il ressort des termes mêmes de l'arrêté du 8 juin 2006 le maintenant en congé de longue durée pour une période de six mois à compter du 14 mars 2006 que celle-ci correspondait à l'ultime période de congé rétribué à laquelle il pouvait prétendre ;
- en tout état de cause, l'agent peut toujours être placé en invalidité sans avoir préalablement épuisé ses droits à congés ;
- en l'espèce, l'arrêté contesté a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que l'administration a omis de consulter la commission de réforme, en méconnaissance de l'article L. 31 du code des pensions civiles et militaires de retraites, et qu'il n'a jamais été invité à prendre connaissance de son dossier et à faire valoir ses observations en méconnaissance de l'article R. 49 du même code ;
- le ministre ne pouvait refuser de le mettre à la retraite sur le fondement des articles L. 27 et L. 28 de ce code dès lors que son invalidité présente un lien direct et certain avec le service ;
- il reste recevable à demander l'annulation de l'arrêté contesté en tant qu'il refuse de reconnaitre l'imputabilité de son invalidité au service, quand bien même il a été admis à la retraite à sa demande ;
- la décision des chefs de la cour d'appel de Metz du 3 janvier 2005 ne fait pas obstacle à son recours dès lors que l'administration ne justifie pas de la notification de cette décision, laquelle est sans rapport avec son départ à la retraite pour invalidité ;
- l'expiration du délai d'un an dont il dispose pour demander la révision de sa pension de retraite ne fait pas obstacle à ce qu'il obtienne réparation des préjudices résultant de l'illégalité de l'arrêté prononçant son admission à la retraite sans reconnaître l'imputabilité au service de son invalidité ;
- l'illégalité de cet arrêté lui a fait perdre le bénéfice de la pension d'invalidité à laquelle il pouvait prétendre et justifie à ce titre le versement d'une indemnité d'un montant de 280 908,54 euros ;
- à supposer que l'invalidité ne présente pas de lien de causalité avec le service, il a au moins subi une perte de chance sérieuse que la commission de réforme admette l'imputabilité de son invalidité au service, évaluée au taux de 90 %, et justifiant une indemnisation de la pension d'invalidité dont il a été privé pour un montant de 250 000 euros ;
- les articles L. 27 et L. 28 précités ne font pas obstacle à ce qu'il obtienne, même en l'absence de faute de l'administration, une indemnité complémentaire réparant les préjudices extrapatrimoniaux distincts de l'atteinte à son intégrité physique et qu'il a subis du fait de son invalidité imputable au service ;
- il est donc en droit d'obtenir la réparation de ses souffrances évaluées à la somme de 60 000 euros et du préjudice moral résultant de l'interruption prématurée de sa carrière, évalué à la somme de 20 000 euros ;
- les articles L. 27 et L. 28 précités ne font pas non plus obstacle à ce qu'il obtienne la réparation intégrale de son préjudice dès lors que son invalidité est imputable à une faute de l'administration ;
- les décisions illégales prises à son encontre sont à l'origine de la dégradation de son état de santé et à un arrêt prématuré de son activité professionnelle en 2006, justifiant une indemnisation des traitements dont il a été privé jusqu'à l'âge normal de départ à la retraite en 2008 pour un montant évalué à 58 793 euros, et une réparation des pertes de pension de retraite pour un montant évalué à 20 880 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 février 2017, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- les conclusions à fin d'annulation sont irrecevables dès lors que le requérant n'a pas contesté la décision des chefs de la cour d'appel de Metz du 3 janvier 2005 refusant de reconnaitre l'imputabilité au service de sa pathologie ;
- les moyens tirés de l'inexacte appréciation de la non imputabilité au service de son invalidité, du non respect de la procédure et de la méconnaissance du principe du contradictoire sont inopérants dès lors que le requérant a été mis à la retraite pour invalidité à sa demande ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de la tardiveté des conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 juin 2006 prononçant la mise à la retraite de M. B...pour invalidité sans reconnaître celle-ci comme imputable au service et de la décision implicite rejetant sa demande tendant au retrait de cet arrêté. En effet, si l'intéressé soutient n'avoir jamais reçu notification de l'arrêté précité mentionnant les voies et délais de recours, il en a eu connaissance au plus tard le 31 décembre 2010, date à laquelle il a notifié au ministre de la justice sa demande de retrait de l'arrêté du 8 juin 2006 en tant que cet arrêté ne reconnaît pas l'imputabilité au service de son invalidité. Par ailleurs, il ressort des termes de cette demande, notifiée au ministre le 31 décembre 2010, que l'intéressé n'ignorait pas qu'en l'absence de réponse dans un délai de deux mois, l'administration serait réputée avoir pris une décision implicite de rejet. Le requérant a saisi le tribunal administratif d'une demande d'annulation de ces deux décisions au-delà d'un délai raisonnable qui, sauf circonstances particulières dont il se prévaudrait, ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle il est établi qu'il a eu connaissance de l'acte contesté.
Par un mémoire enregistré le 1er octobre 2018, M. B...a présenté ses observations sur le moyen relevé d'office.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de M.B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 8 juin 2006, le ministre de la justice a admis M.B..., magistrat judiciaire du second grade, à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 14 septembre 2006, pour invalidité non imputable au service. L'intéressé a demandé au ministre, le 31 décembre 2010, le retrait de cet arrêté en tant qu'il ne reconnaît pas son invalidité comme imputable au service, ainsi que l'indemnisation des préjudices résultant de sa maladie et de la privation de rente d'invalidité. Cette demande ayant été implicitement rejetée, M. B...a saisi le tribunal administratif de Strasbourg en vue d'obtenir l'annulation de l'arrêté du 8 juin 2006 en tant qu'il ne reconnaît pas l'imputabilité au service de son invalidité et celle de la décision implicite rejetant sa demande du 31 décembre 2010. Il a également demandé au tribunal administratif la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 159 673 euros en réparation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux qu'il impute à son invalidité et la somme de 280 908 euros à raison de la privation illégale de rente d'invalidité. M. B...relève appel du jugement du 7 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa version applicable au litige : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. "
3. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance. Cette règle, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d'un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs. Il appartient dès lors au juge administratif d'en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance.
4. Si M. B...soutient n'avoir jamais reçu notification de l'arrêté du 8 juin 2006 avec l'indication des voies et délais de recours, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a nécessairement eu connaissance de cet arrêté au plus tard le 31 décembre 2010, date à laquelle il a notifié au ministre de la justice une demande de retrait de cet arrêté en tant qu'il ne reconnaît pas l'imputabilité au service de son invalidité. Il ressort des termes de cette demande que l'intéressé n'ignorait pas qu'en l'absence de réponse dans un délai de deux mois, l'administration serait réputée avoir pris une décision implicite de rejet. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Strasbourg le 14 décembre 2012, plus d'un an après la date à laquelle il a eu connaissance de l'arrêté du 8 juin 2006 et de la décision rejetant sa demande de retrait de cet arrêté. M. B...ne se prévaut d'aucune circonstance particulière qui l'aurait empêché d'exercer son recours dans un délai raisonnable. La demande d'annulation partielle de l'arrêté du 8 juin 2006, ainsi que la demande d'annulation de la décision implicite rejetant sa demande de retrait, étaient donc tardives et, par suite, irrecevables lorsqu'elles ont été présentées devant le tribunal administratif de Strasbourg.
5. Il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions à fin d'annulation.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 8 juin 2006 :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladie contractées ou aggravées (...) en service (...) et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office à l'expiration d'un délai de douze mois à compter de sa mise en congé si cette dernière a été prononcée en application des 2° et 3° de l'article 34 de la même loi ou à la fin du congé qui lui a été accordé en application du 4° du même article ". Le premier alinéa de l'article L. 28 du même code dispose que " Le fonctionnaire civil radié des cadres dans les conditions prévues à l'article L. 27 a droit à une rente viagère d'invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services ". Aux termes de l'article L. 29 de ce code : " Le fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'une invalidité ne résultant pas du service et qui n'a pu être reclassé dans un autre corps en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée peut être radié des cadres par anticipation soit sur sa demande, soit d'office (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 31 du même code : " La réalité des infirmités invoquées, la preuve de leur imputabilité au service, le taux d'invalidité qu'elles entraînent, l'incapacité permanente à l'exercice des fonctions sont appréciés par une commission de réforme selon des modalités qui sont fixées par un décret en Conseil d'Etat ". L'article 13 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, qui s'applique aux magistrats de l'ordre judiciaire, dispose que " La commission de réforme est consultée notamment sur (...) 6. L'application des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite ". L'article 19 du même décret précise que : " L'avis formulé en application du premier alinéa de l'article L. 31 du code des pensions civiles et militaires de retraite doit être accompagné de ses motifs ".
7. M. B...soutient que l'arrêté du 8 juin 2006 est irrégulier dès lors qu'il n'a pas été précédé d'un avis de la commission de réforme et que l'invalidité justifiant son admission à la retraite est imputable au service. Il demande une indemnisation à raison de la rente d'invalidité prévue à l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite dont il estime avoir été irrégulièrement privé ou, à tout le moins, de la perte de chance sérieuse d'obtenir cette rente.
8. Il résulte des dispositions citées au point 6 qu'une radiation des cadres par anticipation prise en application de l'article L. 27 ou de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite doit être précédée d'un avis de la commission de réforme, quand bien même cette radiation interviendrait sur demande du fonctionnaire ou du magistrat intéressé. Il est vrai qu'en application des dispositions de l'article 42 du décret du 14 mars 1986 relatif, notamment, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, le comité médical doit, lorsque l'agent sollicite l'octroi de l'ultime période de congé rétribué à laquelle il peut prétendre, se prononcer non seulement sur cette ultime période mais également sur l'aptitude ou l'inaptitude présumée de l'agent à reprendre ses fonctions à l'issue de cette dernière prolongation. Il est alors prévu que, si l'agent n'est pas présumé définitivement inapte, le comité médical devra se prononcer à l'expiration de la période de congé rémunéré sur son aptitude à reprendre ses fonctions, alors que, s'il est présumé définitivement inapte, son cas sera soumis à la commission de réforme. Ces dispositions ont ainsi pour objet d'éviter une consultation du comité médical au terme de la dernière période de congé rémunéré compte tenu de l'état de santé présenté par l'agent avant même le début de cette période. Pour autant, ces mêmes dispositions ne sauraient avoir pour effet de dispenser l'administration de consulter la commission de réforme lorsque l'agent est mis à la retraite pour invalidité avant d'avoir bénéficié de sa dernière période de congé rémunéré.
9. Le ministre de la justice ne conteste pas avoir admis M. B...à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité non imputable au service à compter du 14 septembre 2006, en application de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite, sans avoir préalablement consulté la commission de réforme. La circonstance, invoquée par le ministre, que la déclaration d'accident de service présentée le 21 septembre 2004 par M. B... avait fait l'objet d'un refus d'imputabilité le 3 janvier 2005, plus d'un an avant son admission à la retraite, ne dispensait pas l'administration de saisir la commission de réforme afin qu'elle rende un avis dans les conditions fixées par l'article L. 31 du code précité. M. B... est donc fondé à soutenir que l'arrêté du 8 juin 2006 prononçant son admission à la retraite pour invalidité a été pris au terme d'une procédure irrégulière.
10. En second lieu, lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision entachée d'un vice de procédure, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer, en premier lieu, la nature de cette irrégularité procédurale puis, en second lieu, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision aurait pu être légalement prise dans le cadre d'une procédure régulière.
11. Il résulte de l'instruction que M. B...a été mis en cause dans une affaire judiciaire médiatisée qui a notamment conduit l'autorité compétente à lui infliger la sanction de mise à la retraite d'office puis à le radier des cadres le 18 juin 2002. A la suite de l'annulation de ces mesures, le requérant a été installé dans les fonctions de substitut du procureur près le tribunal de grande instance de Metz le 12 janvier 2004. L'intéressé, placé en congé de maladie puis de longue durée à compter de mars 2004, souffrait, lors de sa mise à la retraite pour invalidité en 2006, d'un syndrome anxio-dépressif qu'il impute aux difficultés professionnelles précitées. Si la commission de réforme a rendu un avis négatif le 15 novembre 2004 sur sa demande tendant à voir reconnaître l'imputabilité au service de son congé de longue durée, il ressort des certificats médicaux établis par un médecin psychiatre les 3 et 16 juin 2005 et le 12 juillet 2007 que M. B...a subi un effondrement psychologique à la suite de sa mise en cause dans l'affaire judiciaire précitée, caractérisé par un tableau anxio-dépressif sévère avec des idées de passage à l'acte, des conduites phobiques avérées, des bouffées d'angoisse très déstabilisantes et une aversion pathologique pour le cadre professionnel judiciaire. Appelé à donner son avis sur le renouvellement du congé de longue durée de M. B..., le médecin expert du comité médical indique, dans son rapport du 21 avril 2006, que l'intéressé a présenté, à la suite de ses difficultés professionnelles, un état dépressif anxieux majeur et des troubles psychiatriques marqués par des ruminations et par une grande agressivité à l'égard de sa hiérarchie. L'expert précise que ces troubles font obstacle à une reprise du travail, laquelle entraînerait selon lui une rechute dépressive, et donne un avis favorable au renouvellement du congé de longue durée jusqu'à la mise à la retraite du requérant pour " invalidité totale, absolue et définitive ". Si le médecin expert se borne à conclure que l'affection dont M. B... est atteint " semble devoir être imputable au service ", il n'est pas contesté que l'intéressé ne présentait aucune pathologie psychiatrique avant qu'il ne soit sanctionné et radié des cadres en 2002. Il ressort donc des éléments produits à l'instance, notamment les documents médicaux, que la maladie à l'origine de l'invalidité du requérant, et qui a fait obstacle à la poursuite de son activité, présente un lien direct et certain avec le service. Dans ces conditions, alors que la commission de réforme est chargée de se prononcer, notamment, sur la réalité des infirmités invoquées par l'agent et la preuve de leur imputabilité au service, il n'est pas établi que, si cette commission avait été consultée, la même décision admettant M. B... à la retraite sur le fondement de l'article L. 29 du code des pensions civiles et militaires de retraite aurait pu être légalement prise dans le cadre d'une procédure régulière. Par conséquent, le vice de procédure dont est entaché l'arrêté du 8 juin 2006 est de nature, en l'espèce, à ouvrir droit à réparation du préjudice résultant selon M. B...de la décision du ministre de la justice refusant de reconnaître son invalidité comme imputable au service.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions indemnitaires.
En ce qui concerne l'indemnisation du préjudice né de la privation de la rente d'invalidité :
13. Il résulte de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite que seuls les fonctionnaires civils et les magistrats radiés des cadres sur le fondement de l'article L. 27 du même code, c'est-à-dire en raison d'une incapacité permanente imputable au service, peuvent percevoir une rente viagère d'invalidité. Par ailleurs, en vertu des dispositions des articles R. 4 et R. 65 du même code, l'administration gestionnaire spécifie, dans l'acte de radiation des cadres, les circonstances susceptibles d'ouvrir le droit à pension ainsi que les dispositions légales invoquées au soutien de cette décision et propose les bases de liquidation de la pension ainsi que celles, le cas échéant, de la rente viagère d'invalidité au ministre du budget, qui effectue ensuite les opérations de liquidation et concède par arrêté la pension et la rente. Si, en cas de proposition d'octroi d'une rente viagère par l'administration gestionnaire, le ministre du budget n'est pas tenu par les énonciations de l'arrêté de radiation et les propositions de bases de liquidation, en revanche, le fait que l'arrêté de radiation des cadres ne soit pas pris sur le fondement de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite fait obstacle à ce qu'il puisse, en l'absence de proposition en ce sens de l'administration gestionnaire, concéder une rente viagère d'invalidité. Dès lors que le refus de l'administration gestionnaire de radier le fonctionnaire sur le fondement de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite fait obstacle à l'attribution d'une rente viagère d'invalidité, l'intéressé peut se prévaloir de l'illégalité fautive, dans cette mesure, de l'arrêté de radiation au soutien de conclusions indemnitaires tendant à l'indemnisation du préjudice né de la privation de cette rente.
14. En application de l'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le montant de la rente d'invalidité est fixé à la fraction du traitement de base défini à l'article L. 15 du même code, cette fraction étant égale au pourcentage d'invalidité. L'article L. 15 prévoit que le traitement de base est celui afférent à l'indice correspondant à l'emploi, grade, classe et échelon effectivement détenus depuis six mois au moins par l'agent au moment de la cessation des services. L'article L. 28 précise que si le montant de ce traitement de base dépasse un montant correspondant à la valeur de l'indice net majoré 681 au 1er janvier 2004, la fraction dépassant cette limite n'est comptée que pour le tiers. Ce même article prévoit encore que " la rente d'invalidité ajoutée à la pension ne peut faire bénéficier le titulaire d'émoluments totaux supérieurs aux émoluments de base visés à l'article L. 15 ".
15. Il résulte de l'instruction que M. B...détenait au moment de la cessation de son service l'indice net majoré 820 qui, compte tenu de la valeur annuelle du point d'indice majoré égale à 53,9795 euros en 2006, correspond à un traitement de base de 44 263,19 euros. Ce montant dépasse toutefois celui correspondant à la valeur de l'indice net majoré 681 au 1er janvier 2004, soit 36 760,04 euros. Il convient donc de prendre en compte, outre la somme de 36 760,04 euros, le tiers de la fraction correspondant à la différence entre cette dernière somme et celle de 44 263,19 euros, soit 2 501,05 euros, pour retenir un traitement de base annuel de 39 261,09 euros.
16. Il ressort de l'avis rendu par le comité médical le 11 mai 2006 sur le renouvellement du congé de longue durée de M. B... que celui-ci présente un taux d'invalidité de 46 %, lequel n'est pas contesté par l'administration. Appliqué au traitement de base de 39 261,09 euros, ce taux permet d'envisager une rente d'invalidité d'un montant de 18 060,10 euros. M. B...percevant une pension de retraite d'un montant de 31 495,03 euros, le montant de la rente d'invalidité ajoutée à cette pension, soit 49 555,13 euros, serait supérieur au traitement de base perçu par l'intéressé lorsqu'il était en activité, soit 44 263,19 euros. Le montant de la rente doit donc être ramené à 12 768,16 euros afin que le montant cumulé de la pension de retraite et de la rente d'invalidité ne dépasse pas celui du traitement de base que percevait le requérant.
17. L'espérance de vie de M.B..., né le 6 septembre 1947 et âgé de 59 ans lors de son départ à la retraite, peut être évaluée au regard des données statistiques publiées par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). D'après ces données statistiques, un homme âgé de 60 ans en 2005 avait une espérance de vie de 21,4 ans. Sur cette base, il y a donc lieu d'évaluer le montant de la rente dont le requérant a été irrégulièrement privé à la somme de 273 238,62 euros.
En ce qui concerne l'indemnisation des autres préjudices invoqués par M.B... :
18. En premier lieu, la rente d'invalidité doit être regardée, eu égard à son mode de calcul et aux conditions posées à son octroi, comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, qui instituent ces prestations, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les agents concernés peuvent prétendre au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche pas obstacle à ce que l'agent qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice.
19. Il résulte de ce qui a été dit au point 11 que l'invalidité de M. B...est imputable au service. Il est donc fondé à demander la réparation des préjudices personnels résultant de cette invalidité. Il sera fait une juste appréciation des souffrances subies par le requérant et de son préjudice moral en lui allouant la somme de 10 000 euros à ce titre.
20. En second lieu, la décision du ministre de la justice du 17 juin 2002 infligeant la sanction de mise à la retraite d'office de M. B...et le décret du Président de la République du 18 juin 2002 le radiant des cadres ont été annulés par une décision du Conseil d'Etat n° 248242 du 20 juin 2003 au motif notamment du caractère manifestement disproportionné de la sanction. Par une décision n° 264005 du 23 mars 2005, le Conseil d'Etat a annulé la décision du ministre de la justice du 5 septembre 2003 prononçant à l'encontre de l'intéressé un abaissement d'échelon à titre disciplinaire au motif que cette sanction était insuffisamment motivée. Invoquant le caractère irrégulier des sanctions précitées auxquelles il impute la dégradation de son état de santé, M. B... demande l'indemnisation des pertes de revenus et de pensions de retraite qu'il estime avoir subis à raison de la cessation prématurée de son activité professionnelle en 2006, avant d'avoir atteint la limite d'âge. Il résulte cependant de ce qui a été dit plus haut que l'intéressé est indemnisé par le présent arrêt pour avoir été illégalement privé d'une rente d'invalidité. Cette rente ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle consécutifs à l'invalidité, le requérant n'est donc pas fondé à demander une indemnisation supplémentaire à raison de ces mêmes préjudices patrimoniaux.
21. Il résulte de ce qui a été dit aux points 17 et 19 qu'il y a lieu de condamner l'Etat à verser la somme de 283 238,62 euros à M. B...en réparation de ses préjudices.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
22. M. B...a droit aux intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2010, date de réception de sa demande d'indemnisation par l'administration.
23. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Toutefois, cette demande ne prend effet au plus tôt qu'à la date à laquelle elle a été enregistrée et pourvu qu'à cette date, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 14 décembre 2012 devant le tribunal administratif de Strasbourg. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 14 décembre 2012, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. B...la somme de 283 238,62 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2010. Les intérêts échus à la date du 14 décembre 2012, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1205762 du 7 juillet 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. B...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
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N° 16NC02046