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02/08/2018 | FRANCE | N°18NC02046

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 02 août 2018, 18NC02046


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet du Haut-Rhin a déféré au tribunal administratif de Strasbourg, en vue de son annulation, la délibération du 31 mai 2018 par laquelle le conseil municipal de Steinbrunn-le-Bas a refusé de déclasser les compteurs d'électricité existants dans la commune, d'interdire leur élimination et leur remplacement par des compteurs communicants " Linky " sans le consentement préalable de la commune et une désaffectation par le conseil municipal.

Le préfet du Haut-Rhin a assorti ce déféré d'une

demande de suspension, en référé, de l'exécution de cette délibération.

Par une ordo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet du Haut-Rhin a déféré au tribunal administratif de Strasbourg, en vue de son annulation, la délibération du 31 mai 2018 par laquelle le conseil municipal de Steinbrunn-le-Bas a refusé de déclasser les compteurs d'électricité existants dans la commune, d'interdire leur élimination et leur remplacement par des compteurs communicants " Linky " sans le consentement préalable de la commune et une désaffectation par le conseil municipal.

Le préfet du Haut-Rhin a assorti ce déféré d'une demande de suspension, en référé, de l'exécution de cette délibération.

Par une ordonnance n° 1803958 du 10 juillet 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a suspendu l'exécution de la délibération du 31 mai 2008.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2018 sous le n° 18NC02046 la commune de Steinbrunn-le-Bas, représentée par MeA..., de l'AARPI D... etA..., demande au juge des référés de la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 10 juillet 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat, le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la délibération du 31 mai 2018 n'est pas entachée d'incompétence dès lors que, selon les statuts du syndicat d'électricité et du gaz du Rhin, les ouvrages concédés sont seulement mis à sa disposition par les communes membres, conformément d'ailleurs aux dispositions des articles L. 1321-1 et L. 1321-2 du code général des collectivités territoriales, ce qui implique que les communes en demeurent... ;

- contrairement à ce que soutenait également le préfet dans son déféré, la délibération litigieuse n'empêche pas l'application d'une loi qui n'est opposable qu'aux tiers qu'elle vise, aucun texte ne prévoyant, au demeurant, une date limite impérative pour l'installation des compteurs " Linky " et a fortiori sur le territoire communal ;

- le calendrier prévu à l'article R. 341-8 du code de l'énergie n'a pas de valeur contraignante et se borne à définir des objectifs ;

- il appartient au maire, dans le cadre de son pouvoir de police, de prendre les mesures nécessaires pour préserver la tranquillité et la salubrité publiques conformément aux dispositions des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales et il apparaît que les compteurs " Linky " présentent, au regard de la technologie CPL qu'ils utilisent, un risque qui est reconnu par les juridictions judiciaires et certaines administrations, ce qui justifiait l'intervention de la délibération contestée ;

- le pouvoir de police du maire doit également s'entendre comme lui permettant d'intervenir pour préserver la sécurité numérique des citoyens et en particulier le respect, par les dispositifs qui y sont soumis, tels les compteurs " Linky ", du règlement n° 2016-679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, dit RGPD, à la lumière des injonctions prises par la Commission nationale de l'informatique et des libertés n° 2018-007 du 5 mars 2018 ;

- à la date de la délibération, la société Enedis n'avait fourni aucune assurance sur la nature des garanties exigées, notamment pour obtenir le consentement préalable des personnes visées.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 juillet 2018, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'adhésion de la commune de Steinbrunn-le-Bas au syndicat d'électricité et du Gaz du Rhin a transféré sa compétence d'autorité organisatrice du réseau de distribution publique d'électricité et conformément aux dispositions dérogatoires de l'article L. 322-4 du code de l'énergie, les ouvrages des réseaux publics de distribution appartiennent aux établissements publics de coopération auxquels les communes ont transféré cette compétence d'autorité organisatrice ;

- la commune n'avait donc plus compétence pour intervenir sur les ouvrages de distribution d'électricité ;

- l'article L. 341-4 du code de l'énergie issu de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 fait obligation aux gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité de mettre en oeuvre des dispositifs permettant aux fournisseurs de proposer à leurs clients des prix différents suivant les période de l'année ou de la journée et incitant les utilisateurs des réseaux à limiter leur consommation pendant les périodes les plus chargées et la délibération litigieuse fait illégalement obstacle à la mise en application de cette loi qui est également opposable aux communes ;

- les pouvoirs de police énoncés aux articles L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales appartiennent au maire et non au conseil municipal, ces dispositions n'étant au demeurant pas applicables en Alsace-Moselle ;

- dans l'hypothèse où l'intervention du maire s'exercerait sur le fondement des seules dispositions applicables des articles L. 2542-2 et suivants, les risques sanitaires allégués ne sont pas avérés ainsi que le Conseil d'Etat l'a déjà admis, au regard des seuils réglementaires et de ceux qui sont admis par l'Organisation mondiale de la santé ;

- l'atteinte à la vie privée des usagers ne saurait constituer, en tout état de cause, un trouble à la sécurité, à la tranquillité ou à la salubrité publiques, susceptible de justifier l'intervention du maire en vertu de ses pouvoirs de police.

Par un mémoire enregistré le 1er août 2018, la société Enedis, représentée par Me C..., de la SELAS Adamas, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution relève des autorités organisatrice de la distribution, conformément aux dispositions de l'article L. 322-4 du code de l'énergie et en l'espèce, l'établissement public de coopération intercommunale, à savoir le syndicat d'électricité et de gaz du Rhin, est seul compétent pour se prononcer sur la gestion du réseau, à l'exclusion de la commune ;

- la délibération contestée a pour effet de faire obstacle au déploiement des compteurs " Linky ", lequel répond bien à une obligation légale prévue à l'article L. 341-4 du cde de l'énergie et s'inscrivant elle-même dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive européenne n° 2009-72 ;

- le dispositif mis en place a été conçu en tenant compte de l'ensemble des principes de sécurité des données, et respecte notamment les référentiels certifiés par l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2009/72/CE du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité ;

- le code de l'énergie ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Par décision du 11 avril 2018, la présidente de la cour a désigné M. Kolbert, premier vice-président, pour statuer en appel sur les décisions des juges des référés en application des dispositions de l'article L. 555-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le juge des référés a, au cours de l'audience publique, présenté son rapport et entendu :

- les observations de MeA..., pour la commune de Steinbrunn-le-Bas, qui a repris oralement le contenu de son mémoire et a ajouté que la délibération contestée est intervenue sur la demande exprimée par de nombreux habitants de la commune et qui maintient que les compteurs, qui n'ont fait l'objet que d'une mise à disposition du syndicat d'électricité et du gaz du Rhin, demeurent... ;

- les observations de MeB..., de la SELAS Adamas, pour la société Enedis, qui a repris le contenu de son mémoire.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération n° 2018/05/05 du 31 mai 2018, le conseil municipal de Steinbrunn-le-Bas (Haut-Rhin) a décidé de refuser le déclassement des compteurs d'électricité implantés sur le territoire de la commune et d'interdire leur élimination et leur remplacement par des compteurs communicants de type " Linky ", sans consentement ni déclassement préalables de la part de la commune. Le préfet du Haut-Rhin a introduit, devant le tribunal administratif de Strasbourg, un déféré, enregistré le 26 juin 2018, sous le n° 1803957, tendant à l'annulation de cette délibération. Il a également, par demande séparée présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 554-1 du code de justice administrative, introduit un déféré, enregistré le même jour sous le n° 1803958, tendant à ce que soit ordonnée, en référé, la suspension de l'exécution de cette délibération. La commune de Steinbrunn-le-Bas fait appel de l'ordonnance du 10 juillet 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande en suspendant l'exécution de cette délibération.

2. Aux termes de l'article L. 555-1 du code de justice administrative : " Sans préjudice des dispositions du titre II du livre VI du présent code, le président de la cour administrative d'appel ou le magistrat qu'il désigne à cet effet est compétent pour statuer sur les appels formés devant les cours administratives d'appel contre les décisions rendues par le juge des référés". L'article L. 554-1 du même code dispose que : " Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3e alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ci-après reproduit : " Art. L. 2131-6, alinéa 3.-Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué (...). Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes d'autres collectivités ou établissements suivent, de même, les règles fixées par les articles L. 2541-22, L. 2561-1, L. 3132-1, L. 4142-1, L. 4411-1, L. 4421-1, L. 4431-1, L. 5211-3, L. 5421-2, L. 5711-1 et L. 5721-4 du code général des collectivités territoriales (...) ".

Sur l'intervention de la société Enedis :

3. La délibération attaquée concerne le déploiement des compteurs " Linky " sur le territoire de la commune de Steinbrunn-le-Bas. Il résulte des dispositions des articles L. 111-52 et L. 341-4 du code de l'énergie que la société Enedis, gestionnaire national du réseau public, est investie d'une mission de service public impliquant notamment le déploiement des compteurs " Linky ". Elle justifie ainsi d'un intérêt suffisant, eu égard à la nature et à l'objet du litige, pour intervenir à l'instance.

Sur l'appel de la commune :

4. Aux termes de l'article L. 322-4 du code de l'énergie : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 324-1, les ouvrages des réseaux publics de distribution, y compris ceux qui, ayant appartenu à Electricité de France, ont fait l'objet d'un transfert au 1er janvier 2005, appartiennent aux collectivités territoriales ou à leurs groupements désignés au IV de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales (...) ". Aux termes du IV de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales : " Un réseau public de distribution d'électricité a pour fonction de desservir les consommateurs finals et les producteurs d'électricité raccordés en moyenne et basse tension. L'autorité organisatrice d'un réseau public de distribution, exploité en régie ou concédé, est la commune ou l'établissement public de coopération auquel elle a transféré cette compétence, ou le département s'il exerce cette compétence à la date de publication de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (...) " .

5. Au regard de ces dispositions combinées, le moyen tiré par le préfet du Haut-Rhin de ce que le transfert, par la commune de Steinbrunn-le-Bas, de sa qualité d'autorité organisatrice des réseaux publics de distribution d'électricité au syndicat d'électricité et de gaz du Rhin dont elle est membre l'a privée de la compétence attachée à la qualité de propriétaire des ouvrages affectés à ces réseaux et notamment des compteurs, est, à lui seul, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la délibération contestée.

6. Si, dans son appel, la commune de Steinbrunn-le-Bas se prévaut des dispositions des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales relatives à l'exercice des pouvoirs de police dans la commune, ces dispositions ne sont pas applicables dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. En tout état de cause, les dispositions des articles L. 2542-2 et suivants du même code, seules applicables dans ces départements, réservent exclusivement au maire l'exercice des pouvoirs de police sur lesquels la commune appelante entend appuyer son argumentation et cette dernière ne saurait donc les invoquer, par voie de substitution de base légale, pour justifier, au titre de la police municipale, les mesures adoptées par le conseil municipal.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des parties, que la commune de Steinbrunn-le-Bas n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a décidé de suspendre l'exécution de la délibération du 31 mai 2018, jusqu'à ce que le tribunal ait statué sur la requête n° 1803957 du préfet du Haut-Rhin.

Sur les frais de l'instance :

8. L'Etat n'étant pas partie perdante à la présente instance, les conclusions présentées à son encontre par la commune de Steinbrunn-le-Bas sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

ORDONNE :

Article 1er : L'intervention de la société Enedis est admise.

Article 2 : La requête de la commune de Steinbrunn-le-Bas est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Steinbrunn-le-Bas, au ministre de l'intérieur et à la société Enedis.

Copie en sera transmise au préfet du Haut-Rhin.

2

N° 18NC02046


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02046
Date de la décision : 02/08/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric KOLBERT
Avocat(s) : LANDBECK

Origine de la décision
Date de l'import : 14/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-08-02;18nc02046 ?
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