Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Anagram a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la commune de Longlaville à lui payer une somme de 54 945 euros toutes taxes comprises (TTC), en réparation du préjudice subi du fait de la rupture unilatérale de son contrat, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réclamation préalable présentée le 12 janvier 2015.
Par un jugement n° 1501424 du 4 avril 2017, le tribunal administratif de Nancy a partiellement fait droit à sa demande en condamnant la commune de Longlaville à lui verser la somme de 49 950 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la réclamation du 12 janvier 2015.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête enregistrée sous le n° 17NC01311 le 1er juin 2017, la commune de Longlaville, représentée par Me Moitry, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1501424 du 4 avril 2017 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Anagram devant le tribunal administratif de Nancy ;
3°) de mettre à la charge de la société Anagram la somme de 3 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la résiliation était irrégulière alors que la société a commis des actes frauduleux en facturant des prestations non réalisées ;
- la société a été réglée pour les prestations réalisées la première année soit 23 518 euros, ainsi que celles réalisées le premier semestre de la seconde année ;
- le montant du préjudice n'est pas justifié par les seules pièces versées au dossier de première instance ;
- il n'est pas assuré que le motif de résiliation invalidé par les premiers juges était le seul qui aurait pu empêcher le marché d'être exécuté jusqu'à son terme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2018, la société Anagram, représentée par Me Rémy, conclut au rejet de la requête et à ce que la commune de Longlaville soit condamnée à lui verser une somme de 50 635,85 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2015 et une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de rupture unilatérale du marché public est irrégulière et constitue une faute génératrice de responsabilité ;
- la résiliation n'est motivée par aucun manquement de sa part à l'exécution du marché public ;
- elle a subi une perte de chiffre d'affaires de 54 945 euros, un manque à gagner de 49 950 euros et un préjudice financier, au titre des intérêts d'emprunt, de 685,58 euros.
II - Par une ordonnance du 17 avril 2018, la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy a, sous le n°18NC01245, ouvert une procédure juridictionnelle pour statuer sur la demande présentée le 9 février 2018 par la société Anagram, représentée par Me Rémy et tendant à ce que la cour ordonne l'exécution du jugement n° 1501424 du 4 avril 2017 du tribunal administratif de Nancy.
La société Anagram soutient que le jugement du tribunal n'a pas été exécuté malgré le rejet de la requête de la commune tendant au sursis à l'exécution de ce jugement.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 avril 2018, la commune de Longlaville conclut à ce que la cour sursoie à statuer sur la requête de la société Anagram.
Elle soutient que si le jugement est exécuté elle ne sera pas en mesure de recouvrer les sommes versées à la société Anagram.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.A...,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me Moitry, avocat de la commune de Longlaville et les observations de Me Rémy, avocat de la société Anagram.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Longlaville a conclu, le 14 décembre 2012, avec la société Anagram un marché portant sur la conception et la réalisation de supports de communication et d'information. Estimant que la société Anagram avait commis des fautes dans l'exécution du contrat, elle a, par décision du 29 avril 2014, prononcé la résiliation de ce marché aux torts exclusifs de la société. Par une réclamation du 12 janvier 2015, la société Anagram a demandé à la commune de l'indemniser des préjudices subis du fait de cette résiliation dont elle conteste les motifs, et en l'absence de réponse, elle a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande de condamnation de la commune de Longlaville à lui verser la somme de 54 945 euros TTC à ce titre. Par jugement du 4 avril 2017, le tribunal administratif de Nancy a partiellement fait droit à cette demande et a condamné la commune au versement d'une somme de 49 950 euros TTC, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la réclamation du 12 janvier 2015. Sous le n° 17NC01311, la commune de Longlaville relève appel de ce jugement et par la voie de l'appel incident, la société Anagram demande que cette condamnation soit portée à la somme de 50 635,85 euros TTC.
2. Par un arrêt n° 17NC01039 du 28 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté la requête de la commune de Longlaville tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement du 4 avril 2017 du tribunal administratif de Nancy sur le fondement de l'article R. 811-16 du code de justice administrative. Par un courrier enregistré le 9 février 2018, la société Anagram a demandé à la cour d'ordonner l'exécution du jugement du 4 avril 2017 du tribunal administratif de Nancy et par ordonnance du 17 avril 2018, une procédure juridictionnelle a été ouverte sur le fondement des dispositions de l'article R. 921-6 du code de justice administrative.
3. Les requêtes de la commune de Longlaville et de la société Anagram tendent respectivement à l'annulation et à l'exécution du même jugement. Elles ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur la requête n° 17NC01311 :
En ce qui concerne la résiliation :
4. Aux termes de l'article 29 du cahier des clauses administratives générales " Fournitures Courantes et Services " , applicable au marché litigieux : " Le pouvoir adjudicateur peut mettre fin à l'exécution des prestations faisant l'objet du marché avant l'achèvement de celles-ci, soit à la demande du titulaire dans les conditions prévues à l'article 31, soit pour faute du titulaire dans les conditions prévues à l'article 32, soit dans le cas des circonstances particulières mentionnées à l'article 30. (...) ". Aux termes de l'article 32.1 du même cahier : " 32.1. Le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché pour faute du titulaire dans les cas suivants : a) Le titulaire contrevient aux obligations légales ou réglementaires relatives au travail ou à la protection de l'environnement ; b) Des matériels, moyens, objets et approvisionnements ont été confiés au titulaire ou des bâtiments et terrains ont été mis à sa disposition, et il se trouve dans un des cas prévus à l'article 17.7 ; c) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels ; d) Le titulaire a fait obstacle à l'exercice d'un contrôle par le pouvoir adjudicateur dans le cadre des articles 16 et 21 ; e) Le titulaire a sous-traité en contrevenant aux dispositions législatives et réglementaires relatives à la sous-traitance, ou s'il ne respecte pas les obligations relatives aux sous-traitants mentionnées à l'article 3.6 ; f) Le titulaire n'a pas produit les attestations d'assurances dans les conditions prévues à l'article 9 ; g) Le titulaire déclare, indépendamment des cas prévus à l'article 30.1, ne pas pouvoir exécuter ses engagements ; h) Le titulaire n'a pas communiqué les modifications mentionnées à l'article 3.4.2 et ces modifications sont de nature à compromettre la bonne exécution du marché ; i) Le titulaire s'est livré, à l'occasion de l'exécution du marché, à des actes frauduleux ; j) Le titulaire ou le sous-traitant ne respecte pas les obligations relatives à la confidentialité, à la protection des données à caractère personnel et à la sécurité, conformément à l'article 5 ; k) Dans le cas de prestations de maintenance, l'indisponibilité est constatée pendant trente jours consécutifs ; l) L'utilisation des résultats par le pouvoir adjudicateur est gravement compromise, en raison du retard pris par le titulaire dans l'exécution du marché. m) B...à la signature du marché, le titulaire a fait l'objet d'une interdiction d'exercer toute profession industrielle ou commerciale ; n) B...à la signature du marché, les renseignements ou documents produits par le titulaire, à l'appui de sa candidature ou exigés préalablement à l'attribution du marché, s'avèrent inexacts. Enfin selon l'article 32.2. de ce cahier, en dehors des cas prévus aux points i), m) et n) de l'article 32.1, une mise en demeure assortie d'un délai d'exécution doit, à peine d'irrégularité de la décision de résiliation, avoir été préalablement notifiée au titulaire du marché et être restée infructueuse.
5. Il résulte des termes de la décision du 29 avril 2014 que le pouvoir adjudicateur a entendu résilier le marché litigieux pour faute du titulaire au motif que la société Anagram avait facturé des prestations prévues par les stipulations contractuelles alors qu'elle ne les avait pas exécutées.
6. D'une part, il résulte de l'article 2 du cahier des clauses techniques particulières du marché litigieux que la société Anagram avait en charge la conception, la rédaction et la réalisation du bulletin d'information communal, dans une limite de 104 pages par an. Par conséquent, en réalisant 76 pages au titre de l'année 2013, la société Anagram, n'a pas méconnu les stipulations contractuelles qui ne lui imposaient nullement d'en réaliser 104. Il n'est par ailleurs pas contesté que la précédente municipalité avait décidé, avant les élections municipales, de suspendre la parution du bulletin municipal élaboré par la société Anagram.
7. D'autre part, la société Anagram avait en charge la conception et la réalisation d'un site internet au cours de la première année d'exécution du contrat, puis l'entretien de ce site au cours des trois années suivantes. S'il est constant qu'aucun nouveau site internet n'a été mis en service avant la résiliation du marché litigieux, il résulte toutefois de l'instruction que la société Anagram avait commencé à concevoir et réaliser le nouveau site dès l'année 2013, selon les voeux de la commune. Une maquette du site avait d'ailleurs déjà été réalisée mais cette prestation a également été suspendue, à la demande des élus de la commune, pendant la campagne électorale qui a précédé les élections municipales.
8. Il résulte de ce qui précède et compte tenu également des nouvelles pièces versées en appel qui sont de nature à établir la réalité des prestations exécutées conformément au cahier des clauses techniques particulières du marché, que la société Anagram ne peut être regardée comme ayant méconnu ses obligations contractuelles. La mesure de résiliation pour faute prise à son encontre par la commune de Longlaville était donc injustifiée.
9. En outre, contrairement à ce que soutient la commune de Longlaville, la facturation par la société Anagram de prestations en cours d'exécution n'est pas, par elle-même, révélatrice d'actes frauduleux au sens du i) de l'article 32 du cahier des clauses administratives générales eu égard aux motifs, énoncés aux points 6 et 7, pour lesquels cette exécution a été suspendue. Dans ces conditions, la commune ne pouvait se dispenser, d'adresser à la société Anagram préalablement à la notification de la décision du 29 avril 2014, une mise en demeure, assortie d'un délai d'exécution et d'une demande d'observations. La mesure de résiliation prise par la commune de Longlaville était donc également entachée d'irrégularité.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la résiliation du marché en litige, tout à la fois irrégulière et injustifiée, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Longlaville.
En ce qui concerne le préjudice :
11. La société Anagram a demandé à être indemnisée de son manque à gagner. L'indemnité due à ce titre, qui ne constitue pas la contrepartie de la perte d'un élément d'actif mais est destinée à compenser une perte de recettes commerciales, doit être regardée comme un profit de l'exercice au cours duquel elle est allouée et elle est soumise, à ce titre, à l'impôt sur les sociétés. L'indemnisation du manque à gagner de la société Anagram doit ainsi être exclusivement calculée sur la base de la marge nette qu'aurait dégagée la complète exécution des prestations prévues par le marché s'il n'avait pas été résilié. Si la société produit l'attestation de son cabinet comptable estimant la marge nette à un montant de 49 950 euros, il n'apparaît pas que cette évaluation ait pris en compte la déduction de tous les frais et charges engagées pour l'exécution du contrat. Il résulte de l'instruction que la commune de Longlaville a payé à la société Anagram les prestations qu'elle a réalisées jusqu'à la résiliation du marché litigieux. Le contrat devait encore se poursuivre pendant deux ans et demi moyennant un prix de 53 446,30 euros TTC. Eu égard aux justificatifs comptables présentés en première instance et en appel, la société Anagram ne justifie que d'un taux de marge nette moyen de 5,42% au titre des exercices 2014 à 2016. Dans ces conditions, elle ne peut prétendre à l'indemnisation de son manque à gagner au titre de la période du marché restant à courir qu'à hauteur d'une somme de 2 896 euros.
12. La société justifie par ailleurs que la résiliation brutale du contrat l'a contrainte à recourir à un emprunt bancaire afin de faire face aux difficultés de trésorerie en résultant. Elle a, par conséquent, droit à l'indemnisation, à hauteur de 685 euros, du préjudice correspondant aux intérêts mis à sa charge au titre de cet emprunt.
13. Il résulte de ce qui précède que d'une part, la commune de Longlaville est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué le tribunal administratif n'a pas limité le montant de la condamnation prononcée à son encontre, en principal, à la somme de 3 581 euros, et que d'autre part, l'appel incident présenté par la société Anagram doit être rejeté.
En ce qui concerne les frais liés à l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Anagram, qui n'est pas, pour l'essentiel, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Longlaville demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Longlaville le versement à la société Anagram d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.
Sur la requête 18NC01245 :
15. Aux termes de l'article L. 911-9 du code de justice administrative : " Lorsqu'une décision passée en force de chose jugée a prononcé la condamnation d'une personne publique au paiement d'une somme d'argent dont elle a fixé le montant, les dispositions de l'article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, ci après reproduites, sont applicables. " Art. 1er. (...)- II. Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement dans ce délai, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle procède au mandatement d'office... ".
16. Dès lors que les dispositions de l'article L. 911-9 du code de justice administrative permettent à un requérant, en cas d'inexécution d'une décision passée en force de chose jugée condamnant une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont elle fixe le montant, d'obtenir le mandatement d'office de cette somme, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Anagram tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de Longlaville de payer les sommes en cause.
D E C I D E :
Article 1er : la somme que la commune de Longlaville a été condamnée à verser, en principal, à la société Anagram par le jugement n° 1501424 du tribunal administratif de Nancy est ramenée à 3 581 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 4 avril 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune de Longlaville versera à la société Anagram une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune de Longlaville est rejeté.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Anagram présentées dans l'instance n° 17NC01311 et sa requête n° 18NC01245 sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Longlaville et à la société Anagram.
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Nos 17NC01311-18NC01245