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20/06/2017 | FRANCE | N°16NC01184-16NC01185

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 20 juin 2017, 16NC01184-16NC01185


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C...et M. B...E...ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 17 mars 2015 par lesquels le préfet du Doubs a refusé de leur délivrer un titre de séjour, a assorti ces refus d'obligations de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'éventuelles mesures d'éloignement forcé.

Par des jugements n° 1500933 et n°1500934 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.r>
Procédure devant la cour :

I - Sous le n° 16NC01184, par une requête enregistrée le 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C...et M. B...E...ont demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 17 mars 2015 par lesquels le préfet du Doubs a refusé de leur délivrer un titre de séjour, a assorti ces refus d'obligations de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'éventuelles mesures d'éloignement forcé.

Par des jugements n° 1500933 et n°1500934 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I - Sous le n° 16NC01184, par une requête enregistrée le 13 juin 2016, Mme A... C..., représentée par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1500933 du tribunal administratif de Besançon du 1er octobre 2015 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 17 mars 2015 pris à son encontre par le préfet du Doubs ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer, dans un délai de huit jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros, ou de 1 200 euros en cas de jonction des dossiers, à verser à Me Bertin, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le refus de titre de séjour en litige méconnait le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il méconnaît également l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant compte tenu de l'état de santé de son enfant ;

- l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile devrait être interprété au regard des travaux parlementaires comme ne permettant pas au préfet de s'affranchir d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé favorable à l'étranger ;

- les documents produits par le préfet ne permettent pas d'établir la disponibilité dans le pays d'origine ;

- l'avis du conseiller santé du ministère de l'intérieur ne peut être pris en compte dès lors qu'il ne présente pas les garanties d'impartialité nécessaires ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 août 2016, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

II - Sous le n° 16NC01185, par une requête enregistrée le 13 juin 2016, M. B... E..., représenté par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1500934 du tribunal administratif de Besançon du 1er octobre 2015 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 17 mars 2015 pris à son encontre par le préfet du Doubs ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer, dans un délai de huit jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à Me Bertin, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français en litige méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 août 2016, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Mme C...et M. E...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 28 avril 2016.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Vu la décision du 16 mars 2017 de la présidente de la cour désignant M. Olivier Di Candia pour exercer les fonctions de rapporteur public, en application des dispositions des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Kohler, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant que les deux requêtes susvisées concernent les membres d'une même famille, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt ;

2. Considérant que Mme C...et M.E..., ressortissants kosoviens, sont entrés en France en juillet 2013 et ont déposé une demande d'asile ; qu'après le rejet de cette demande, Mme C... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en invoquant son état de santé ; que, par des arrêtés du 17 mars 2015, le préfet du Doubs a refusé de leur délivrer un titre de séjour, a assorti ces refus d'obligations de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination d'éventuelles mesures d'éloignement forcé ; que MmeD..., sous le n° 15NC01184 et M. E...sous le n° 15NC01185 relèvent appel des jugements par lesquels le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés ;

Sur la situation de MmeD... :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé (...) " ;

4. Considérant que sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle ;

5. Considérant que la partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour ; que, dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme C...souffre de troubles dépressifs caractérisés l'ayant notamment conduite à commettre une tentative de suicide ; que ces troubles psychiatriques ont une incidence sur ses relations avec sa fille, née en mars 2014 ce qui entraîne des conséquences sur le développement psychoaffectif de l'enfant qui nécessite elle-même un suivi psychiatrique périnatal particulier ; que, dans son avis du 6 novembre 2014, le médecin de l'agence régionale de santé a estimé que l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il n'existait pas de traitement approprié dans son pays d'origine ; que le préfet du Doubs, qui n'était pas lié par cet avis, a estimé, compte tenu des informations dont il disposait, que le traitement approprié à l'état de santé de Mme C...était en réalité disponible au Kosovo et a, en conséquence, refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

7. Considérant que pour remettre en cause la présomption d'indisponibilité des soins au Kosovo résultant de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé, le préfet du Doubs produit un courrier de l'attaché de sécurité intérieure au Kosovo adressé au préfet de l'Ain et au préfet du Haut-Rhin qui indique, dans des termes très généraux, la prise en charge par l'Etat du Kosovo de " l'ensemble de ses ressortissants souffrant de pathologies psychiatriques " ainsi que de " la totalité des médicaments nécessaires et indispensables au traitement psychiatrique " ; qu'il produit également un tableau mentionnant la possibilité de prise en charge des épisodes dépressifs, mais qui précise que les antidépresseurs et anxiolytiques ne sont pas inclus dans la liste essentielle des médicaments et que la psychothérapie ne peut s'effectuer que dans les établissements privés ; que le préfet produit également un courrier électronique émanant du conseiller santé auprès du directeur général des étrangers en France du ministère de l'intérieur qui, après avoir donné son avis sur la pathologie dont souffre l'intéressée et sur le traitement qu'elle implique, en minimisant l'obligation de suivi psychologique de l'enfant, indique que " le Kosovo dispose de services susceptibles d'assurer une prise en charge de ce type de situations " en mentionnant trois structures ; que ces éléments ne permettent pas, dans les termes généraux où ils sont rédigés et alors qu'ils ne se prononcent pas sur la pathologie particulière dont souffre la requérante, qui a des conséquences sur la santé de son enfant, d'établir que cette pathologie pourrait être prise en charge au Kosovo ; qu'en outre, le préfet ne produit aucun élément relatif à la disponibilité des médicaments prescrits à Mme C... ou à leurs principes actifs ; que Mme C...produit quant à elle un certificat émanant du ministère de la santé du Kosovo indiquant que certains des médicaments qui lui sont prescrits ne sont pas disponibles dans ce pays ; que, dans ces conditions, les éléments produits par le préfet sont insuffisants pour remettre en cause l'indisponibilité présumée, au Kosovo, des soins nécessaires au traitement de l'état de santé de MmeD... ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que MmeD... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande ;

Sur la situation de M.E... :

9. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. / 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 7 que l'arrêté du 17 mars 2015 relatif à la situation de l'épouse de M. E...doit être annulé ; que, dans ces conditions, celui-ci est fondé à soutenir que l'arrêté du 17 mars 2015 pris à son encontre par le préfet du Doubs porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Considérant qu'eu égard au motif d'annulation des arrêtés en litige, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet du Doubs délivre un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme C... et M.E... ; qu'il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet du Doubs de délivrer ces titres dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

13. Considérant que Mme C... et M. E...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Bertin, avocate des requérants, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Bertin de la somme de 1 200 euros ;

D É C I D E :

Article 1er : Les jugements nos 1500933 et 1500934 du 1er octobre 2015 du tribunal administratif de Besançon et les arrêtés du 17 mars 2015 du préfet du Doubs sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme C... et à M. E...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Bertin, avocate de Mme C... et de M.E..., la somme de 1 200 (mille deux cents) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Bertin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C..., à M. B...E...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

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Nos 16NC01184,16NC01185


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC01184-16NC01185
Date de la décision : 20/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: Mme Julie KOHLER
Rapporteur public ?: M. DI CANDIA
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-06-20;16nc01184.16nc01185 ?
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