Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...D...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à l'indemniser des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, d'ordonner une expertise à cette fin et de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise.
Par un jugement n° 1202904 du 6 octobre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 décembre 2015, M. A...D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 octobre 2015 ;
2°) d'ordonner une expertise afin de déterminer l'origine de sa contamination par le virus de l'hépatite C et d'évaluer les préjudices subis ;
3°) dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, de condamner l'ONIAM à lui verser une indemnité provisionnelle de 25 000 euros.
Il soutient que :
- son action n'était pas prescrite ;
- les éléments médicaux qu'il apporte permettent de présumer que sa contamination par le virus de l'hépatite C a pour origine les nombreuses transfusions qu'il a subies au cours de son enfance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2016, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeB..., conclut à l'annulation du jugement, à la nécessité d'ordonner une expertise et au rejet de la demande d'indemnisation provisionnelle.
L'ONIAM soutient que :
- eu égard à la modification des délais de prescription par la loi du 28 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, l'action de M. D...n'était pas prescrite ;
- en l'absence de certitude sur l'origine de la contamination par le virus de l'hépatite C, la créance n'est, en l'état, pas certaine et la demande de provision est prématurée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Fuchs,
- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public.
1. Considérant que M.D..., né en 1967, présente une hémophilie sévère de type B ; que, le 21 novembre 1990, sa contamination par le virus de l'hépatite C a été mise en évidence, pathologie qui n'a été guérie qu'à la suite des traitements qu'il a suivis entre 1999 et 2002 ; que, le 3 mai 2012, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a rejeté la demande de M . D... tendant à ce qu'il soit indemnisé des préjudices subis du fait de sa contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C, au motif de la prescription de sa créance ; que le requérant relève appel du jugement du 6 octobre 2015 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande indemnitaire pour le même motif ;
Sur la prescription :
2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du I de l'article 188 de la loi du 26 janvier 2016 visée ci-dessus : " (...) les demandes d'indemnisation formées devant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application du II de l'article L. 1142-1 et des articles L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage " ; qu'aux termes du II du même article 188 de la loi du 26 janvier 2016, ces dispositions s'appliquent " lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de publication de la présente loi. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. / Toutefois, lorsqu'aucune décision de justice irrévocable n'a été rendue, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales applique le délai prévu au I aux demandes d'indemnisation présentées devant lui à compter du 1er janvier 2006 (...) " ;
3. Considérant que M. D...a saisi l'ONIAM d'une demande d'indemnisation des préjudices liés à une contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C le 2 août 2010, soit postérieurement à la date fixée par les dispositions du II de l'article 188 de la loi du 26 janvier 2016 ; que, par l'effet de son appel, le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 octobre 2015 n'est pas devenu irrévocable ; que, dans ces conditions, il y a lieu d'appliquer au litige le délai de prescription de dix ans à compter de la consolidation du dommage prévu par les dispositions précitées de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique modifié, alors même que ces dispositions ont été édictées postérieurement à la date à laquelle le tribunal administratif a statué ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. D...doit être regardé comme consolidé à la date du 5 août 2002 ; qu'ainsi, la demande d'indemnisation qu'il a présentée le 2 août 2010 auprès de l'ONIAM n'était pas prescrite ; que, par suite, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg s'est fondé sur la prescription de sa créance, au motif qu'elle n'a pas été présentée dans le délai de quatre ans prévu par la loi du 31 décembre 1968, pour rejeter sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'expertise :
5. Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) " ;
6. Considérant que si le dossier est composé de très nombreuses pièces médicales, une expertise est nécessaire, ainsi qu'en conviennent les parties, pour permettre de préciser l'origine de la contamination de M. D...par le virus de l'hépatite C ainsi que pour évaluer les préjudices qu'il a subis de ce fait ; que, dès lors, il y a lieu d'ordonner une expertise sur ces points avant de statuer, sauf en ce qui concerne les conclusions tendant à l'allocation d'une indemnité provisionnelle ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation d'une indemnité provisionnelle :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable " ;
8. Considérant que, pour l'application de ces dispositions, il appartient à la victime d'une contamination, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle cette contamination provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse un degré suffisamment élevé de vraisemblance ;
9. Considérant que les circonstances de l'espèce permettent de présumer, en l'état de l'instruction, que la contamination de M. D...par le virus de l'hépatite C, constatée en 1990, a pour origine les très nombreuses injections de produits dérivés du sang qu'il a reçues pour le traitement de son hémophilie sévère, en particulier au début des années 1980 ; que la circonstance qu'est ordonnée une expertise portant notamment sur l'origine de la contamination ne fait pas obstacle à ce que l'obligation de l'ONIAM d'en réparer les conséquences dommageables soit regardée, en l'état de l'instruction, comme n'étant pas sérieusement contestable ; qu'il y a lieu, dans ces conditions et au regard en particulier du caractère parcellaire des informations relatives aux préjudices dont dispose la cour à ce stade de l'instruction, de fixer à 10 000 euros le montant de l'indemnité provisionnelle mise à la charge de l'ONIAM en raison des préjudices subis par M.D... ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 octobre 2015 est annulé.
Article 2 : Il sera, avant dire-droit, procédé à une expertise avec pour mission pour l'expert de :
1°) préciser :
- les antécédents médicaux et chirurgicaux de M.D... ;
- la date, les conditions et les circonstances dans lesquelles sa contamination par le virus de l'hépatite C a été diagnostiquée ;
- l'évolution de la maladie jusqu'à sa guérison ;
- les traitements entrepris, leurs durées, résultats et éventuels effets secondaires ;
- la date, les conditions et les circonstances de sa guérison ainsi que la date de consolidation ;
2°) rappeler, compte tenu de la situation de l'intéressé, les différents modes et facteurs de risques de contamination par le virus de l'hépatite C ; recenser les produits sanguins labiles et / ou médicaments dérivés du sang effectivement administrés à M.D..., en précisant si possible la nature, les numéros, l'identité du distributeur et l'identité du fabricant ; dire si une enquête ascendante a été possible ; solliciter au besoin l'Etablissement français du sang ; dans le cas où l'enquête n'aurait pas démontré l'innocuité des produits administrés, donner toute précision utile sur la probabilité d'infectiosité par le virus de l'hépatite C des produits transfusés selon leur nombre, leur nature et leur date de fabrication ; préciser si d'autres facteurs de risque de transfusion par le virus de l'hépatite C peuvent être recensés dans l'histoire personnelle, médicale ou professionnelle de M.D... ; déterminer le degré d'imputabilité à l'administration de produits dérivés du sang de la contamination de la victime par le virus de l'hépatite C ;
3°) d'analyser les préjudices subis par M. D...qui découlent de sa contamination par le virus de l'hépatite C et des traitements subis, en faisant pour chacun la part entre les préjudices résultant de cette contamination et les préjudices imputables à une autre cause, en particulier son état de santé antérieur ; préciser, en particulier :
- les préjudices patrimoniaux subis par la victime et, notamment, faire état des conséquences de sa pathologie et des traitements sur la situation professionnelle de M. D... ;
- l'existence, le cas échéant, de préjudices extrapatrimoniaux temporaires (déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice esthétique temporaire, le cas échéant l'existence de troubles de toutes natures dans les conditions d'existence si son état de santé n'est pas consolidé mais stabilisé) et permanents (déficit fonctionnel permanent, préjudice d'agrément, préjudice esthétique permanent, préjudice sexuel et autres préjudices) ;
Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert prendra connaissance du dossier médical et de tous documents concernant M.D..., pourra se faire communiquer les documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics pratiqués qu'il estime nécessaire à l'accomplissement de sa mission et pourra entendre tous sachants. Il pourra procéder, s'il l'estime utile, à l'examen de M.D....
Article 4 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2, R. 621-9 et R. 621-14 du code de justice administrative. Il pourra, s'il l'estime nécessaire, s'adjoindre le concours d'un sapiteur, après avoir préalablement obtenu l'autorisation de la présidente de la cour. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans un délai de quatre mois à compter de la date de notification du présent arrêt. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.
Article 5 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statués en fin d'instance.
Article 6 : L'ONIAM versera à M. D...une indemnité provisionnelle de 10 000 euros.
Article 7 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...D...et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
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N° 15NC02400