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21/03/2017 | FRANCE | N°15NC02367

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 21 mars 2017, 15NC02367


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de la Meuse a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la société Signaux Girod à lui verser une indemnité de 730 615,80 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi en raison des surprix pratiqués par cette société lors de la passation de trois marchés publics en 1997, 1999 et 2003.

Par un jugement n° 1301531 du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregi

strée le 30 novembre 2015, le département de la Meuse, représenté par Me C...de la SELARL Helios...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de la Meuse a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la société Signaux Girod à lui verser une indemnité de 730 615,80 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi en raison des surprix pratiqués par cette société lors de la passation de trois marchés publics en 1997, 1999 et 2003.

Par un jugement n° 1301531 du 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 novembre 2015, le département de la Meuse, représenté par Me C...de la SELARL Helios Avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 29 septembre 2015 ;

2°) de condamner la société Signaux Girod à lui verser la somme de 730 615,80 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi ;

3°) de mettre à la charge de la société Signaux Girod une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges ont commis une erreur de droit en considérant que son action était fondée sur la responsabilité contractuelle alors qu'elle était située sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle ;

- le lien de causalité entre la faute commise par la société Signaux Girod et son préjudice est établi dès lors que cette société a été condamnée à payer une amende de 6,94 millions d'euros par une décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010, confirmée par la cour d'appel de Paris le 29 mars 2012, du fait de sa participation à un système d'entente ayant conduit à un renchérissement du coût des marchés ; cette condamnation établit l'existence des manoeuvres dolosives qui ont conduit l'acheteur public à conclure des marchés à des conditions de prix désavantageuses ;

- son préjudice est certain pour les marchés passés au cours de la période de l'entente, de 1997 à 2006, et correspondant aux surprix pratiqués ; selon la décision de l'Autorité de la concurrence le surprix est vraisemblablement compris dans un ordre de grandeur de 5 à 10 % a minima et à la suite de l'éclatement du cartel de 10 à 20 % ;

- sur la base de ces données, son préjudice financier est compris entre 188 259,45 euros et 376 518,91 euros a minima ; il convient de le porter à 20 % soit 753 037,81 euros, correspondant au préjudice potentiel maximum ;

- une expertise n'est pas opportune pour chiffrer son préjudice.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2016, la société Signaux Girod, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête, à la condamnation du département de la Meuse aux dépens et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge du département de la Meuse sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est incompétente pour connaître de l'action du département de la Meuse ;

- la demande du département de la Meuse est prescrite au regard des dispositions de l'article 2224 du code civil ;

- l'action du département de la Meuse est mal dirigée ;

- le département de la Meuse n'apporte pas la preuve qui lui incombe de manoeuvres dolosives ;

- il n'établit pas le lien de causalité entre le préjudice et la faute allégués ;

- il ne justifie pas d'un préjudice ;

- il ne justifie pas du quantum de ce préjudice ;

- elle justifie de l'absence de surprix résultant de l'entente litigieuse.

Par ordonnance du 28 juin 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 27 juillet 2016.

Un mémoire présenté pour le département de la Meuse a été enregistré le 28 juillet 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de M. Laubriat, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour le département de la Meuse ainsi que celles de Me B... pour la société Signaux Girod.

1. Considérant que par une décision du 22 décembre 2010, confirmée par la cour d'appel de Paris le 29 mars 2012, l'Autorité de la concurrence a condamné huit opérateurs économiques du secteur de la signalisation routière, dont la société Signaux Girod et ses filiales, au paiement d'une sanction financière de 52,7 millions d'euros pour pratiques anticoncurrentielles ayant permis à ces entreprises de surévaluer leurs prix dans le cadre de marchés publics dont elles ont été titulaires entre 1997 et 2006 ; que le département de la Meuse s'estimant victime de cette pratique pour la passation au cours de cette période de trois marchés publics de fourniture et de pose d'équipements de signalisation routière verticale a demandé le 22 novembre 2012 à la société Signaux Girod de l'indemniser du préjudice qu'elle estimait avoir subi en raison des surprix pratiqués par cette société pour ces trois marchés ; que par un jugement du 29 septembre 2015, dont le département de la Meuse relève appel, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande indemnitaire ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, que les litiges nés à l'occasion du déroulement de la procédure de passation d'un marché public relèvent, comme ceux relatifs à l'exécution d'un tel marché, de la compétence des juridictions administratives, que ces litiges présentent ou non un caractère contractuel ;

3. Considérant que le présent litige a pour objet l'engagement de la responsabilité de la société Signaux Girod en raison d'agissements dolosifs susceptibles d'avoir conduit le département de la Meuse à contracter avec elle à des conditions de prix désavantageuses et tend à la réparation d'un préjudice né des stipulations du contrat lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l'être dans des conditions normales ; qu'un tel litige relève ainsi de la compétence des juridictions administratives, alors même qu'il met en cause une méconnaissance par la société de son obligation de respecter les règles de la concurrence sur un fondement quasi-délictuel et non une faute contractuelle ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le tribunal administratif de Nancy n'a pas entaché son jugement d'irrégularité en retenant la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la demande indemnitaire du département de la Meuse ;

5. Considérant, en second lieu, que le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient commis une erreur de droit en estimant à tort que la demande du département de la Meuse se fondait sur le terrain de la responsabilité contractuelle alors qu'elle se situait sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle concerne le bien-fondé du jugement contesté qui n'est ainsi pas de nature à en affecter la régularité ;

Sur la responsabilité :

6. Considérant, en premier lieu, que le département de la Meuse dirige son action en responsabilité à l'encontre de la société Signaux Girod pour le préjudice qu'il estime avoir subi en raison des surprix pratiqués lors de la passation entre 1997 et 2006 de trois marchés publics de fourniture et de pose d'équipements de signalisation routière verticale conclus en 1997, 1999 et 2003 ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le marché attribué le 17 avril 1997 à la société Signal Est, dont la société Signaux Girod détenait alors une partie du capital social, ainsi que le marché conclu le 14 décembre 1999 avec la société Signal Est, qui a été transféré en cours d'exécution à la société Est Girod, filiale de la société Signaux Girod, n'ont pas été conclus par le département de la Meuse avec la société Signaux Girod ; qu'il suit de là que l'action en responsabilité intentée par le département de la Meuse à l'encontre de la société Signaux Girod au titre des deux marchés précités ne peut qu'être rejetée comme mal dirigée ;

8. Considérant, en revanche, qu'il résulte de l'instruction que le troisième marché, n° 2003-003, a été conclu par le département de la Meuse avec la société Signaux Girod le 4 février 2003 ; que la circonstance invoquée par la société Signaux Girod que le règlement du prix de ce marché aurait bénéficié à une société tierce, la société Est Girod, est sans incidence quant à la responsabilité encourue par la société Signaux Girod en raison d'agissements qu'elle aurait commis lors de la conclusion de ce marché ; que, dès lors, doit être écarté, pour ce marché, le moyen tiré de ce que l'action en responsabilité du département de la Meuse à l'encontre de la société Signaux Girod est mal dirigée ;

9. Considérant, en deuxième lieu, que selon l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, entré en vigueur le 19 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer " ; qu'aux termes de l'article 2222 du même code : " En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure " ;

10. Considérant que la société Signaux Girod soutient que l'action en responsabilité du département de la Meuse à son encontre était prescrite en application des dispositions susmentionnées du code civil dès lors que le département a connu ou aurait dû connaître les faits à l'origine du dommage qu'il invoque à la suite de l'ouverture d'une procédure judiciaire en février 2006 par le parquet de Nantes pour des pratiques anticoncurrentielles d'entente à l'endroit de huit sociétés dans le secteur de la signalisation routière ainsi que de la publication dans la presse d'articles en faisant état à compter 22 juillet 2006 ; que ces éléments ne sont toutefois pas suffisants pour que le département de la Meuse puisse être regardé comme ayant pu avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature ainsi que de l'ampleur des faits relevant d'agissements dolosifs commis par la société Signaux Girod lors de la conclusion du marché du 4 février 2003, susceptibles d'avoir conduit le département de la Meuse à contracter avec elle à des conditions de prix désavantageuses ; que, dans les circonstances de l'espèce, le département de la Meuse doit être regardé comme n'ayant connu ou dû connaître les faits lui permettant d'exercer une action en responsabilité à l'encontre de la société Signaux Girod qu'à compter du 22 décembre 2010, date à laquelle l'Autorité de la concurrence a rendu sa décision relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale ; que, par suite, l'action en responsabilité du département de la Meuse à l'encontre de la société Signaux Girod n'était pas prescrite en application des dispositions susmentionnées du code civil au 5 juillet 2013, date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif de Nancy de ses demandes tendant à la condamnation de la société ; qu'il suit de là que l'exception de prescription opposée par la société Signaux Girod à l'action en responsabilité du département de la Meuse doit être écartée ;

11. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 1116 du code civil : " Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas. Il doit être prouvé " ; que l'action du département de la Meuse à l'encontre de la société Signaux Girod tend à l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de cette société en raison d'agissements dolosifs susceptibles d'avoir conduit le département à contracter avec elle à des conditions de prix désavantageuses ; que le département invoque au soutien de sa prétention les faits relevés par le juge de la concurrence ;

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la cour d'appel de Paris a confirmé, par un arrêt du 29 mars 2012 devenu définitif, la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010, condamnant la société Signaux Girod à une amende de 6,94 millions d'euros, pour violation de l'article L. 420-1 du code du commerce prohibant les ententes anticoncurrentielles ; qu'il résulte des faits relevés par le juge de la concurrence, qui constituent le support même de la sanction prononcée, que la société Signaux Girod a pris une part active dans le " cartel de la signalisation verticale " qui a mis en place, entre 1997 et 2006, une entente de répartition concernant notamment " la quasi-totalité des marchés triennaux départementaux " de signalisation routière verticale tendant à fixer les prix et à répartir les parts de marchés et ayant conduit à un surprix dans les marchés des panneaux de signalisation verticale ; que le président de la société Signaux Girod a d'ailleurs reconnu devant l'Autorité de la concurrence (point n° 223 de la décision du 22 décembre 2010) avoir participé à l'entente qui concernait tant le prix des marchés que leur répartition entre les sociétés par départements ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 8, la société Signaux Girod a conclu le 4 février 2003 avec le département de la Meuse un marché triennal à bons de commande n° 2003-003 pour les années 2003 à 2005, de fourniture, de transport et livraison de dispositifs de signalisation verticale, lors de la période au cours de laquelle le juge de la concurrence a caractérisé une pratique d'entente ; que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, et alors que la société Signaux Girod n'a pas contesté que le marché triennal à bons de commandes n° 2003-003 susmentionné avait fait partie de l'entente, le département de la Meuse, qui apporte la preuve qui lui incombe, est fondé à soutenir que la responsabilité quasi-délictuelle de la société Signaux Girod est susceptible d'être engagée en raison de ses agissements dolosifs susceptibles d'avoir conduit le département à contracter avec elle à des conditions de prix désavantageuses ;

Sur le lien de causalité :

13. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des faits relevés par le juge de la concurrence que l'entente a entraîné sur le marché de la fabrication de panneaux de signalisation routière un surprix, d'un ordre de grandeur, a minima, de 5 à 10 % ainsi que le corrobore plus particulièrement la baisse des prix à la suite de l'éclatement du " cartel de la signalisation verticale " ; qu'il suit de là que, contrairement à ce que soutient la société Signaux Girod, le lien de causalité entre l'agissement dolosif de la société et l'existence d'un prix conclu à des conditions désavantageuses pour le marché n° 2003-003 doit être regardé comme établi ;

Sur le préjudice :

14. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des éléments relevés par le juge de la concurrence, dont l'étude menée par le cabinet d'audit Deloitte, que le surprix pratiqué s'élève au plus à 7 % du prix qui aurait résulté du jeu normal de la concurrence ; que les résultats de cette étude ne sont pas sérieusement remis en cause par la société Signaux Girod ; qu'il résulte de l'instruction que le prix des commandes passées de 2003 à 2005 par le département de la Meuse au titre du marché triennal n° 2003-003 susmentionné est de 1 189 598,37 euros ; que compte tenu du taux précité, le préjudice subi par le département peut être évalué à la somme 83 271,89 euros ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le département de la Meuse est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant que les dispositions des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du département de la Meuse, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les dépens de l'instance ainsi que le versement de la somme demandée par la société Signaux Girod au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Signaux Girod une somme de 1 500 euros à verser au département de la Meuse sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1301531 du 29 septembre 2015 du tribunal administratif de Nancy est annulé.

Article 2 : La société Signaux Girod est condamnée à verser au département de la Meuse une somme 83 271,89 euros.

Article 3 : La société Signaux Girod versera au département de la Meuse une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société Signaux Girod présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Meuse et à la société Signaux Girod.

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N° 15NC02367


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