Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Société Alsace Trading a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2007.
Par un jugement n° 1100507 du 27 novembre 2014, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir réduit la base d'imposition des rappels en litige de 35 563 euros, a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 janvier 2015 et un mémoire en réplique, enregistré le
26 octobre 2016, la société Alsace Trading, représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1100507 du tribunal administratif de Strasbourg du
27 novembre 2014 ;
2°) de prononcer la décharge, en droit et pénalités, des impositions demeurant... ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la société ADE, qui exerçait une activité et disposait d'une dispense de caution de la part de l'administration fiscale, ne peut être regardée comme une société fantôme ;
- contrairement à ce que soutient l'administration, l'interposition d'une société de droit français ne l'a pas avantagée mais au contraire pénalisée, de sorte qu'elle ne peut être regardée comme ayant pris part à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ;
- le service n'établit pas que le vérificateur a effectivement acheté auprès d'ADE des véhicules à des prix artificiellement bas ;
- l'administration ne pouvait estimer qu'elle avait participé consciemment à une opération de fraude dès lors que le circuit auquel se réfère le vérificateur lui est étranger et que la société Agdal n'est en rien le principal fournisseur de la société ADE ;
- la circonstance que le siège social de la société ADE se situe au domicile de leur représentant légal est sans incidence ;
- elle ne s'est pas interrogée sur le personnel et les moyens d'exploitation de la société ADE dès lors que celle-ci s'est présentée à elle par l'intermédiaire d'un commercial, qu'elle était dispensée de caution de la part de l'administration fiscale et que la société Volskwagen Audi Espana l'a renvoyée vers elle ;
- elle ignorait que le gérant de la société ADE agissait sous une fausse identité ;
- son interlocuteur exclusif était M.B..., se présentant comme le commercial de la société ADE ;
- dès lors que c'est le client qui assure le transport des biens achetés du fait du paiement préalable aux fournisseurs, il était normal qu'elle ne prenne part à aucune intervention dans le transfert des marchandises ;
- elle a rempli ses obligations de précaution ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- dès lors que la société requérante ne pouvait ignorer que la société ADE n'était pas le fournisseur des véhicules, elle n'était pas en droit de déduire la taxe afférente à des achats réellement effectués, conformément aux dispositions des articles 272-2, 272-3 et du 4 bis de l'article 283 du code général des impôts ;
- la question de savoir si la société a tiré ou non un bénéfice de la revente des biens est sans incidence ;
- l'implication de M.A..., associé à hauteur de 10 %, suffit à elle seule à prouver que la société requérante avait un intérêt particulier dans la société ADE et qu'elle ne pouvait ignorer ses agissements ;
- la société requérante ne peut utilement se fonder sur les contrats conclus entre les sociétés Volkswagen Audi Espana et ADE dès lors que ces pièces ne permettent pas d'établir que la société ADE est le fournisseur réel, pour ces opérations, de la société requérante ;
- la société requérante n'a pu fournir un seul document formalisant ses relations commerciales avec la société ADE alors que plus d'une centaine de véhicules ont été enregistrés dans sa comptabilité comme acquis auprès de ladite société ;
- en se prévalant de la dispense de visa et de caution dont la société ADE a bénéficié, la société requérante démontre la réalité des relations qu'entretiennent ces deux sociétés dès lors que de telles dispenses sont couvertes par le secret professionnel ;
- la circonstance que la société ADE ait obtenu une dispense au titre de l'année 2006 ne peut être considérée comme un gage de la bonne moralité fiscale de l'entreprise pour les années ultérieures ;
- compte tenu de l'existence de liens personnels entre les opérateurs participant à la fraude, de l'adresse du fournisseur de la requérante, du personnel et des moyens d'exploitation, sans rapport avec le volume des transactions alléguées de la part de la société ADE, de ce que le gérant de la société ADE était inconnu de l'état civil et agissait sous une fausse identité, de ce que la société et son gérant étaient inconnus des principaux opérateurs économiques, et enfin de ce que la société ADE n'intervenait pas dans le transfert des marchandises, la société requérante ne pouvait ignorer qu'elle participait à une fraude à la TVA ;
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ; n,
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 16 novembre 2016 :
- le rapport de M. Di Candia,
- et les conclusions de Mme Peton-Philippot, rapporteur public.
1. Considérant que la SARL Alsace Trading a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007 ; qu'à la suite de cette vérification, l'administration fiscale, estimant que la société avait ou aurait dû savoir qu'elle était impliquée dans un circuit frauduleux, a notamment remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée opérée par la société Alsace Trading correspondant aux factures d'acquisition, en 2007, de cent trente-cinq véhicules auprès de la société Auto Distribution Européenne (ADE), les uns expédiés de l'Espagne vers la France, les autres de l'Espagne vers l'Allemagne, pour un montant total de 176 359 euros ; qu'à l'issue d'une procédure de rectification contradictoire, l'administration fiscale a en conséquence mis à la charge de la SARL Alsace Trading des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du
1er janvier au 31 décembre 2007 ; que la société Alsace Trading relève appel du jugement du
27 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir réduit de 35 563 euros la base d'imposition concernant les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge en ce qui concerne un autre chef de redressement, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande relatif à la remise en cause de ces droits à déduction ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) II 1. (...) la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures d'achat qui leur sont délivrées par leurs vendeurs, dans la mesure où ces derniers étaient légalement autorisés à la faire figurer sur lesdites factures (...)" ; qu'en vertu du 2 de l'article 272 dudit code : " La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ou le document en tenant lieu " ; que selon le 4 de l'article 283 du même code : " Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée " ; qu'enfin, aux termes du 3 de l'article 272 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2007 : " La taxe sur la valeur ajoutée afférente à une livraison de biens ne peut faire l'objet d'aucune déduction lorsqu'il est démontré que l'acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le bénéfice du droit à déduction doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que cet assujetti savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, alors même que cette opération satisferait aux critères objectifs sur lesquels sont fondées les notions de livraisons de biens effectuées par un assujetti agissant en tant que tel et d'activité économique ;
4. Considérant, d'une part, que si la société requérante conteste l'existence d'un circuit frauduleux dont la société ADE se serait rendue responsable en faisant valoir que ladite société exerçait une activité réelle, les contrats conclus entre la société Volskwagen Audi Espana et la société ADE ne peuvent par eux-mêmes suffire à établir la réalité d'une telle activité ; que, d'autre part, la société requérante, qui ne peut utilement se prévaloir de ce que la société ADE avait obtenu de l'administration fiscale une dispense de caution et de visa tacitement renouvelable par décision du 6 novembre 2006, ne conteste pas que la société ADE n'a pas reversé au Trésor la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle avait collectée auprès de ses clients ; que, dès lors, la circonstance qu'elle n'aurait elle-même tiré aucun avantage du circuit frauduleux dont la société ADE se serait rendue responsable, notamment à travers une activité de revente à perte, est sans incidence sur l'appréciation qu'a portée l'administration en ce qui concerne la réalité de ce circuit ;
5. Considérant d'autre part, qu'il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 8 juin 2009, que la société ADE a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au terme de laquelle il est apparu qu'elle a été immatriculée en décembre 2005 à partir d'une simple adresse de domiciliation correspondant à un immeuble d'habitation à Béziers dépourvue de ligne téléphonique ; que le gérant de droit mentionné sur les déclarations adressées au greffe du tribunal de commerce étaient inconnus des services de l'état civil ; que ladite société, qui n'a déclaré qu'un seul salarié en 2006, était dépourvue de moyens matériels, en particulier d'établissement à partir duquel elle pouvait exercer son activité d'achat vente de véhicules de toutes marques neufs et occasions ; que l'administration a relevé dans les documents comptables de la société Alsace Trading que la société ADE n'apparaissait jamais comme l'expéditeur des véhicules et qu'elle n'assurait jamais leur livraison, ceux-ci transitant directement du fournisseur d'origine vers les clients ; que la société Alsace Trading prenait d'ailleurs elle-même en charge le transport des véhicules à partir de l'Espagne ; que les commandes d'achat établies par la société Alsace Trading ne font état ni d'un contact auprès de la société ADE, ni du délai souhaité pour la livraison des véhicules, ni de la date de signature des parties ; qu'au cours des opérations sur place, la société requérante n'a été en mesure de produire qu'une télécopie non signée, ne mentionnant aucun correspondant et ne portant que sur quatre véhicules et un montant global figurant toute taxe comprise, sans plus de précision, pour attester la réalité de ses relations commerciales avec la société ADE ; qu'enfin, M.A..., détenant 10 % de son capital social, procédait pour le compte de la société Alsace Trading aux négociations avec la société ADE alors qu'il était également intervenu pour le compte d'autres sociétés fournissant des véhicules à la société ADE ; que, dans ces conditions, l'administration apporte la preuve que la société Alsace Trading savait ou aurait dû savoir, en effectuant les diligences nécessaires, que, par ses acquisitions, elle était impliquée dans un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Alsace Trading n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ; que par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ne peuvent être accueillies ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Alsace Trading est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Alsace Trading et au ministre de l'économie et des finances.
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15NC00188